
Le gouvernement persiste et signe : sa réforme de l’audiovisuel public doit revenir dans les prochaines semaines à l’Assemblée nationale, poussée à la truelle dans un calendrier parlementaire dantesque.
Par Warzo
Au menu de la « réforme » de l’audiovisuel : mutualisation, sous-traitance, précarisation… et surtout, le contrôle des contenus et la mise au pas de l’information, dont les choix de sujets, de traitement, et leur hiérarchisation, sont devenus avec le temps, le domaine réservé d’une minorité décisionnaire, au mépris de personnels effarés. Mais cela pourrait bien changer.
Le président n’aime pas l’audiovisuel public, ça se sent déjà dans les rédactions
Dernier exemple en date : Anne-Sophie Lapix, débarquée du journal de 20 heures de France 2. Son tort ? Être perçue comme pugnace, au point qu’Emmanuel Macron la boycotte depuis des années et a même refusé qu’elle anime le débat d’entre-deux-tours en 2022.
Cela pourrait prêter à rire mais nous en sommes là : dans un monde où la star de la maison fait les frais de l’hostilité présidentielle et de sa – relative – autonomie éditoriale. Au sein de la rédaction nationale, cela fait longtemps que les efforts de mise au pas sont perceptibles et que les cadres les plus droitiers tentent de s’imposer chaque jour davantage.
Lorsque début mai, Benjamin Netanyahou décide d’une « extension de la guerre » à Gaza, pour envahir l’enclave, que son ministre des Finances, le suprémaciste sioniste Bezalel Smotrich, annonce que Gaza sera « totalement détruite », pas un titre dans le JT de 20 heures.
Seul un duplex d’une minute depuis Israël permettra de mentionner la politique israélienne en reprenant ses termes sans aucun recul : il sera expliqué que l’opération vise à « conquérir » un territoire.
Sur Franceinfo, hiérarchie pesante et autocensure conduisent aux mêmes aberrations : on ne discute pas de qui est otage et qui est prisonnier, on ne mentionne pas les arrestations extra-judiciaires par Israël, la question de la colonisation en Cisjordanie est quasi inexistante à l’antenne, et mettre en place un plateau d’invités pour envisager Gaza comme « Riviera », ne fait pas moufter la chefferie.
La chaîne d’information s’est aussi illustrée par le choix éditorial des « extrêmes », mettant LFI et RN sur le même plan depuis la dissolution, contribuant ainsi à la dialectique du bloc central, sans aucun recul, et surtout en contredisant la décision du Conseil d’État qui avait pourtant acté que les insoumis ne pouvaient être qualifiés ainsi.
Autre fait marquant : les journalistes de France 3 signataires de l’appel pour un front contre l’extrême droite l’année dernière, ont ensuite été sanctionnés par une interdiction de couvrir les législatives.
Les dérives ont une explication de classe : la minorité qui vit dans un entre-soi bourgeois s’est imposée, dans un très court laps de temps, à la majorité sur le terrain, par des méthodes brutales, dans une production verticalisée. De nombreux reporters sont aujourd’hui fragilisés, placardisés, réduits à enchaîner les micro-trottoirs ou des bouts de reportages dont ils n’auront pas le droit de finaliser le rendu global.
Dans ce contexte, on pourrait croire que les journalistes se sont résignés. Pourtant, la mobilisation contre le projet de holding semble avoir fait précisément le contraire : les actions se multiplient pour dénoncer les errements, dont la gravité a rendu indispensable un retour à une forme de démocratie éditoriale.
Les travailleurs se battent aussi pour que les conditions de travail low cost qui ont produit des crashs éditoriaux ne soient pas un modèle. Leur combat a permis de mettre en avant le déséquilibre et de commencer à peser.
Casser le service public, faire main basse sur les contenus et faire des cadeaux au privé
La verticalisation en marche, c’est précisément le projet du sénateur Lafon et de Rachida Dati. La proposition de loi prévoit une holding dont la tête sera une personnalité désignée par un conseil d’administration restreint et très politique, sans même avoir à présenter un projet, comme c’est le cas actuellement. On n’ose imaginer ce que cela pourrait signifier en cas de victoire de l’extrême droite.
Ne nous leurrons pas : la ministre de la Culture s’inscrit dans une lutte contre les contre-pouvoirs et contre l’accès de tous à l’information. Alors que presque partout ailleurs l’extrême droite la plus crasse et la plus raciste s’exprime à robinet ouvert, la seule évocation d’un pluralisme sur le service public exaspère une classe politique vulgaire, malhonnête, et finalement peu attachée aux valeurs démocratiques.
Si Rachida Dati multiplie les piques contre les équipes de Radio France ou de France Télévisions, c’est parce qu’elle les estime trop critiques. Une rhétorique habituelle : on tente de délégitimer le travail journalistique sous prétexte de partialité supposée. D’ailleurs, l’investigation a reculé, et les documentaires politiques ont tout simplement été suspendus l’été dernier en raison des échéances électorales.
Rachida Dati aime faire passer les salariés de l’audiovisuel public pour des nantis. Elle feint d’oublier à quel point les salaires sont bas, et la précarité, énorme. Derrière les spotlights se cache une armée de personnels mal traités, mal payés et de précaires – jusqu’à un tiers dans certaines rédactions. Quand Rachida Dati parade à Cannes avec bijoux non déclarés – elle a caché plus de 400 000 euros de breloques à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) –, on comparera ces montants aux émoluments des pigistes de la radio qui, pour un article de 1 500 signes, sont rémunérés 57,69 € bruts, aux correspondants payés 63,35 € bruts pour un direct qui demandera des heures de travail, ou aux journalistes de télévision rémunérés moins de 150 € bruts la journée de dix heures.
Les réformes de structure menées ces dernières années ont fortement dégradé les conditions de travail et abouti à des pertes massives de contenus. Alors que le coût de la holding est évalué à 150 millions d’euros annuels, comment absorber ces dépenses supplémentaires alors que les sociétés de l’audiovisuel public sont en déficit ? Celui de France Télévisions est estimé à 76 millions d’euros pour 2025, celui de Radio France à 4,9 millions d’euros et celui de France Médias Monde à 2,9 millions d’euros.
Radio France vient d’acter la fermeture des radios de Mouv’, dont 31 antennes FM vont être rendues alors que le public jeune est supposé être prioritaire. Les locales de Radio France ont particulièrement souffert : programmation musicale archaïque imposée, disparition des journaux l’après-midi et le soir, épuisement de salariés sous-staffés. Pourtant, sans ces antennes, qui aurait présenté les brebis galeuses candidates aux dernières législatives ? Plus grand monde. La majeure partie des rédactions n’a même plus assez de personnel pour produire des journaux le soir ou l’après-midi.
Face à l’urgence démocratique, le contre-feu s’organise
Quand Rachida Dati parle de gouvernance, elle veut un plus grand contrôle sur les rédactions, quand elle affirme que les équipes seront « plus fortes ensemble », elle veut dire mutualisations à tout va… La façade technocratique masque évidemment un projet idéologique : contrôle politique, centralisation, suppressions de postes, destruction des accords collectifs, perte d’identité des chaînes et affaiblissement de la diversité des voix.
Pourtant le paysage informationnel français a subi une dégradation massive. À eux seuls, une poignée de milliardaires, dont deux catholiques réactionnaires, détiennent plus de 90 % des médias privés du pays : maisons d’édition, think tanks, instituts de sondage, sites internet, journaux, chaînes de télévision, stations de radio… Parmi eux, Vincent Bolloré ou encore Pierre-Édouard Stérin dont le projet, aux relents trumpistes, de manipulation des opinions, ne fait aucun doute.
Les réseaux sociaux sont eux aussi des menaces, graves, systémiques, sur l’information. Ils transforment déjà notre rapport au réel, à la démocratie et au débat public. Leurs algorithmes privilégient la polarisation. L’information y est noyée dans un flux où les fake news circulent bien plus que les faits. Ce sont aussi des outils politiques redoutables, que l’IA va démultiplier.
Le chercheur David Chavalarias (CNRS) estime qu’en infléchissant l’opinion de 10 % des utilisateurs de X en France, soit 900 000 personnes, il est possible de faire basculer une élection. À titre de comparaison, il y a eu seulement 420 000 voix d’écart entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2022.
Les salariés de l’audiovisuel public, eux, ont déjà gagné plusieurs batailles : le documentaire sur Rachida Dati sera bien diffusé le 5 juin après un an de blocage, la motion de défiance à Franceinfo a abouti à la mutation de son directeur ainsi qu’à la mise en œuvre d’une nouvelle gouvernance, et surtout, la grève des salariés en mars et avril dernier s’est conclue par le retrait à l’Assemblée du texte visant à instaurer une holding.
La perspective de sa remise à l’agenda parlementaire, fin juin ou début juillet, prépare les salariés, encore plus déterminés, à un nouveau mouvement social pour défendre le modèle du service public, celui destiné à toutes et tous, forcer le débat démocratique dans les rédactions, et pour porter une autre vision : sociale, de la culture, de l’information, et du bien commun.
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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/06/15/menaces-sur-laudiovisuel-public-cest-reparti-pour-un-tour/
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