Mercosur : des centaines de paysans manifestent contre une «agriculture bradée» (Reporterre-14/10/25)

Le 14 octobre 2025, des agriculteurs et leurs soutiens ont défilé jusqu’au Champ-de-Mars, à Paris, contre le traité UE-Mercosur. – © NnoMan Cadoret / Reporterre

Plusieurs centaines de paysans ont manifesté contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris. Ils crient à la « concurrence déloyale » et militent pour la « dignité des travailleurs » partout dans le monde.

Par Jeanne CASSARD & NnoMan CADORET.

Paris, reportage

Devant le dôme doré des Invalides, la colère agricole, reflétée par le jaune vif des drapeaux de la Confédération paysanne, s’est ravivée. Ce mardi 14 octobre à Paris, plusieurs centaines de paysans et leurs soutiens ont manifesté contre le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le marché commun sud-américain du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie).

Le texte, qui prévoit de supprimer 90 % des droits de douane entre les deux zones, doit permettre aux pays membres d’exporter plus de voitures, machines, vins et spiritueux et facilite en échange l’importation de viande bovine, volaille, sucre, miel, riz et soja sud-américains.

Plusieurs centaines d’agriculteurs et leurs soutiens se sont rendus sur le Champ de mars le 14 octobre 2025 pour protester contre le traité Mercosur. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Tandis que des tracteurs stationnent le long de la pelouse des Invalides avant le départ du cortège, une rangée de camions de CRS se tient bien en évidence juste derrière. De la foule, s’élèvent des pancartes « Sauvons les paysan(ne)s et le vivant », « Mercosur mort à coup sûr » ou encore « Libre circulation, pas libre-échange ». La mobilisation, organisée par la Confédération paysanne, fait suite à l’accélération du calendrier : le traité a été validé le 3 septembre par la Commission européenne, mais il doit encore être signé par les États membres, si possible avant la fin de l’année 2025.

La date de la manifestation n’a pas été choisie par hasard : le même jour se tient le procès de deux membres du syndicat agricole, jugés pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion » à la suite d’une action contre le traité du Mercosur à Paris, en décembre 2024.

L’accord de libre-échange va introduire une concurrence déloyale pour les agriculteurs. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Si personne ici n’espère quoi que ce soit d’Emmanuel Macron ou du nouveau gouvernement pour s’opposer à cet accord, tous restent mobilisés. « Si nous ne contestons pas le Mercosur, qui d’autre le fera ? On brade l’agriculture pour vendre des services et des voitures », se désole Nicolas Fortin, secrétaire national de la Confédération nationale.

Une concurrence déloyale

Éleveur de bovins et de porcs dans la Vienne, il critique le double jeu du chef de l’État disant être contre l’accord « en l’état » au dernier Salon de l’agriculture de Paris, sans avoir repris la parole depuis les dernières annonces de la Commission européenne en septembre.

« Presque toute la classe politique refuse le traité du Mercosur, mais rien ne change, les clauses de sauvegarde [qui permettent de suspendre des importations en cas de déstabilisation de filières européennes] sont extrêmement complexes à mettre en œuvre et on ne sait pas comment elles pourraient être activées. »

«  Si nous ne contestons pas le Mercosur, qui d’autre le fera  ? On brade l’agriculture pour vendre des services et des voitures  », se désole Nicolas Fortin. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Comme beaucoup, l’éleveur estime que l’accord de libre-échange va introduire une concurrence déloyale : « On nous met en concurrence avec des produits qui ne répondent pas aux mêmes normes ni aux mêmes coûts de production. »

Si à 56 ans, en fin de carrière, il parvient à se dégager un revenu, il craint que l’arrivée de viande sud-américaine fasse s’écrouler les prix. « Le prix de la carcasse a progressé ces deux dernières années pour atteindre entre 6,50 et 7 euros le kilo, on sortait enfin la tête de l’eau, mais ça risque de ne pas durer. » Même s’il fait de la vente directe et travaille avec des coopératives, « la baisse des prix dans la grande distribution aura forcément un impact sur tout le secteur ».

C’est aussi ce que redoute Didier Marion. Dans le Gard, l’homme aux cheveux et à la barbe fournis élève environ 850 volailles en plein air et produit 4 tonnes d’huile d’olive par an qu’il vend ensuite en circuit court. S’il espérait atteindre un Smic d’ici un an, avec l’arrivée de volailles sud-américaines, « ce sera impossible, je vends mes volailles à 14,50 euros le kilo, c’est un public déjà restreint qui fait un effort financier pour manger mieux ».

Béatrice Martin, éleveuse de bovins, et Joanie Chamard, qui produit des légumes près de Poitiers. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Le porte-parole de la Confédération paysanne du Gard milite pour la Sécurité sociale de l’alimentation, afin que même les enfants des quartiers populaires puissent avoir accès à une nourriture de qualité. Mais pour cela, il faut des règles du jeu équitables, ce qui n’est pas le cas. « Au Brésil, ils élèvent 100 000 à 200 000 volailles par bâtiment avec des ouvriers agricoles payés même pas 150 euros par mois, comment voulez-vous qu’on lutte ? » S’il constate que le système actuel est en train de s’effondrer, « il y a quelque chose à construire derrière, alors il ne faut rien lâcher ».

« Je n’ai pas envie de travailler
que pour les riches »

À côté, Béatrice Martin, éleveuse de bovins, dénonce le deux poids deux mesures. « On nous demande des efforts sur l’environnement et le bien-être animal et en face on importe du bœuf aux hormones. » La porte-parole de la Confédération paysanne de la Vienne redoute que le traité avec le Mercosur creuse le fossé dans l’accès à l’alimentation : « Les plus pauvres n’auront d’autres choix que d’acheter de la mauvaise viande pas chère au supermarché tandis que nos produits iront pour les aisés. Moi, je n’ai pas envie de travailler que pour les riches. »

Didier Marion élève environ 850 volailles en plein air. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Crainte de la fermeture des abattoirs de proximité

À la tête d’un troupeau de 30 vaches Salers, la quinquagénaire craint en outre l’effet domino que pourrait avoir la mise en concurrence avec la viande sud-américaine. « Ça va entraîner une baisse du volume de viande produite localement, mais aussi la fermeture des abattoirs de proximité. Celui à côté de chez moi ne fonctionne que trois jours par semaine faute de demande. S’il ferme, tout le circuit court s’effondre. »

Les éleveurs ne sont pas les seuls mobilisés, à côté, nombre de maraîchers ont fait le déplacement en soutien. C’est le cas de Joanie Chamard, qui produit des légumes près de Poitiers. « Même si on est désabusés, on ne peut pas laisser faire », dit-elle. Pour Thomas, éleveur de brebis itinérant : « Nous ne sommes pas dans un moment politique très favorable, mais il faut être là pour montrer qu’on propose un modèle différent. Je suis persuadé que les questions de santé liées à l’alimentation vont prendre plus de place dans le débat, on l’a vu cet été avec la loi Duplomb. »

Les agriculteurs mobilisés souhaitent la mise en place d’un prix minimum d’entrée des marchandises venant des pays sud-américains. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Pour la « dignité des travailleurs partout dans le monde »

La foule s’élance, direction le Champ-de-Mars. Les membres du collectif Planète Boum Boum, perchés sur une estrade tirée par un tracteur, scandent sur des gros BPM de techno : « UE, Mecosur, c’est pas du fumier mais ça pue pareil et ça fait rien pousser ! On veut la souveraineté alimentaire pas des traités qui nous enterrent ! » Des paroles bientôt reprises en cœur par les manifestants, ravis de faire la fête.

Au premier rang, avec sa pancarte « Mercosur, Macron, Von Der Leyen, ça dégage vite ! », Romain Henry, apiculteur de 47 ans en Indre-et-Loire, défend une vision solidaire de l’agriculture et du commerce mondiaux. « On regrette qu’un ouvrier brésilien soit payé 1 euro de l’heure pour produire du miel de qualité inférieure dans des conditions sociales hyperdégradantes. On se bat pour la dignité de tous les travailleurs, partout dans le monde. »

C’est pourquoi avec la Confédération paysanne et d’autres mouvements comme Via Campesina, il souhaite la mise en place d’un prix minimum d’entrée : « Aucun produit ne devrait pouvoir entrer en France à un prix inférieur à ce que nous coûte la production ici, on veut tirer tout le monde vers le haut. On doit se battre ensemble, pas les uns contre les autres. »

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Source: https://reporterre.net/Mercosur-des-centaines-de-paysans-manifestent-contre-une-agriculture-bradee

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