« Mercosur du thon » : l’accord de libre-échange avec la Thaïlande inquiète les pêcheurs européens (OF.fr-29/01/25)

L’Union européenne importe 10 000 tonnes par an de thon en conserve depuis la Thaïlande. | MARTIN ROCHE / OUEST-FRANCE

La Commission européenne négocie depuis deux ans un accord de libre-échange avec la Thaïlande, plus gros producteur mondial de thon en boîte. Les pêcheurs européens de thon craignent une distorsion de concurrence et demandent l’exclusion du thon des discussions.

Par Jean-Marie CUNIN.

Après les agriculteurs, l’Union Européenne (UE) va-t-elle se mettre à dos les pêcheurs de thons tropicaux ? Début décembre 2024, la Commission européenne a annoncé un accord sur le Mercosur, un traité de libre-échange entre l’UE et des pays d’Amérique du Sud, comme le Brésil et l’Argentine.

Un accord paraphé (mais pas encore ratifié) contre l’avis de la France et de ses agriculteurs. Ceux-ci craignent une concurrence déloyale et l’arrivée en Europe, grâce à des droits de douane réduits voire supprimés, de produits ne respectant pas les mêmes exigences sociales, sanitaires et environnementales.

Début 2025, c’est de l’autre côté du globe que lorgne la Commission européenne, vers la Thaïlande plus précisément. L’UE a commencé les négociations pour un accord de libre-échange dès 2013, mais le coup d’État en 2014 dans le pays asiatique avait grandement freiné les négociations.

Selon une note du service économique de l’ambassade de France en Thaïlande publiée début 2024, « l’Union Européenne et la Thaïlande ont officiellement annoncé le 15 mars (2023) la reprise des négociations en vue d’un accord de libre-échange, avec l’objectif de conclure ces discussions dans les deux prochaines années ».

Prochaines négociations fin mars

Un tel « deal » est-il possible dès mars 2025 ? A priori non car « le quatrième cycle de négociations a eu lieu en novembre 2024, le prochain cycle de négociations est prévu pour la semaine du 31 mars 2025 », répond la Commission européenne à Ouest-France.

Celle-ci précise que la reprise des négociations « confirme l’importance capitale de la région indo-pacifique pour le programme commercial de l’UE. Elle ouvre la voie à l’approfondissement des liens commerciaux avec la deuxième économie d’Asie du Sud-Est et renforce l’engagement stratégique de l’UE dans cette région clé ». La note de l’ambassade en Thaïlande précisait aussi qu’« outre l’intérêt pour les entreprises françaises d’une plus grande ouverture du secteur des services et des marchés publics en Thaïlande, actuellement très restreints, cet accord, s’il est conclu, devrait permettre d’améliorer l’accès au marché des biens, notamment dans le domaine agricole ».

À noter que si cet accord est signé par la Commission européenne, il faudra encore l’accord du Parlement européen et des États membres pour qu’il entre en vigueur.

Numéro un mondial du thon en conserve

Moins médiatisé que le Mercosur, il inquiète les pêcheurs européens de thons tropicaux, qui expriment la même crainte que les agriculteurs. La Thaïlande est le premier producteur mondial de thon en conserve, avec environ 450 000 tonnes exportées par an, dont « environ 10 000 tonnes à destination de l’UE en 2023 », souligne Anne-France Mattlet. Les compagnies de pêche européennes produisent, elles, « à peu près l’équivalent de 300 000 tonnes de thon en conserve », ajoute celle qui est la directrice d’Europêche Tuna Group.

Elle porte la voix de l’association des organisations de pêcheurs européens de thons tropicaux. La nomination, à la tête de ce lobby, de cette ex-fonctionnaire en 2022 avait fait grand bruit, et l’ONG Anticor avait déposé une plainte contre elle. « L’enquête préliminaire est toujours en cours et nous espérons que les investigations puissent se terminer dans les prochains mois », indique à Ouest-France le parquet national financier.

Standards de production « faibles »

Aujourd’hui, « les droits de douane sur les conserves de thon sont de 24 %. Si la Thaïlande venait à bénéficier d’exemptions tarifaires, la compétitivité européenne disparaîtrait : nous craignons alors une augmentation massive des importations de thon en conserve depuis ce pays. Les consommateurs risquent de retrouver sur leurs étagères des produits avec des standards bien plus faibles que ceux respectés par la flotte thonière européenne », affirme-t-elle.

Les thoniers européens, notamment français, de l’océan Indien déchargent en grande majorité leurs prises « aux Seychelles, à une usine Thaï Union ». Ce groupe thaïlandais est le leader mondial du thon en conserve et possède par exemple la marque Petit Navire depuis 2010.

Mais cette usine des Seychelles « n’a pas du tout les mêmes standards de production que celles en Thaïlande », selon Anne-France Mattlet. Or les conserves qui en sont issues sont considérées comme étant d’origine européenne et exemptées de droit de douane.

Les thoniers européens respectent « leurs quotas et un grand nombre de standards, comme la géolocalisation 24 heures /24, ou encore la paye électronique des marins, qui ont tous des contrats », affirme Anne-France Mattlet.

Le thonier « Via Mistral », de l’armement Via Océan (ex-armement Saupiquet), désormais liquidé. | ARCHIVES SAUPIQUET

Profession déjà touchée

À l’inverse, « nous demandons que la Thaïlande respecte les conventions internationales sur les conditions d’emplois et de lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (dite pêche INN) », ajoute la directrice.

Un « afflux trop rapide de produits exemptés de droit de douane serait très dur pour la pêche européenne qui ne va déjà pas bien », poursuit-elle. Côté français, la pêche au thon tropical, basée historiquement à Concarneau (Finistère) traverse en effet une passe bien compliquée. Fin janvier 2025, la CFTO, le plus grand des trois armateurs thoniers français, s’est séparée de trois navires. Il y a un an, c’est Via Océan qui avait cessé ses activités.

Dans un communiqué commun, Europêche et deux associations professionnelles de thoniers français demandent purement et simplement « l’exclusion des produits à base de thon des discussions ». De son côté, la Commission européenne se dit « consciente de ces sensibilités » et s’efforce « toujours de parvenir à un résultat équilibré avec des opportunités et des avantages pour nos États membres et l’UE dans son ensemble ».

°°°

Source: https://www.ouest-france.fr/mer/peche/mercosur-du-thon-laccord-de-libre-echange-avec-la-thailande-inquiete-les-pecheurs-europeens-7e169a76-dd63-11ef-810a-106aa4bdccb7

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/mercosur-du-thon-laccord-de-libre-echange-avec-la-thailande-inquiete-les-pecheurs-europeens-of-fr-29-01-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *