« Mille encoches font une brèche » – L’analyse de Jean-Luc Mélenchon après le succès du 10 septembre (LI.fr-11/09/25)

10 septembre. 500 000 personnes se sont déployées hier aux quatre coins du pays, dès l’aube : opérations de solidarité sur des ronds-points, barrages filtrants, blocages des boulevards périphériques, piquets de grève, rassemblements, manifestations… Très loin des 100 000 attendues par le ministère de l’Intérieur, incapable de saisir ce qui se joue dans le pays. La nomination de Sébastien Lecornu comme Premier ministre la veille, fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, a sans aucun doute joué sur l’ampleur de la mobilisation. Le slogan « Macron démission » était sur toutes les lèvres. « Ce 10 septembre était la plus grosse manifestation auto-organisée depuis celle des Gilets Jaunes le 17 novembre 2018, analyse Jean-Luc Mélenchon. L’insoumission republie dans ses colonnes son analyse sur cette journée de mobilisation.

« Dans la vraie vie, le 10 septembre est le symptôme clair de l’exaspération sociale hégémonique dans les profondeurs du pays »

Par Jean-Luc MELENCHON

La journée du 10 est un évènement extrêmement significatif du moment politique. Les habillages politiques n’y ont rien fait. On le sait : la veille, la journée était annoncée sous influence russe, selon ceux-ci, de l’ultra-gauche selon les autres centristes de droite extrême. On l’annonça comme une journée où l’on refuserait la présence des gentils « journalistes » accusés par des « antivax » d’avoir « pourri la société » selon « Le Monde ». À la télé, sur France 2, Léa Salamé m’avait déjà  demandé de condamner des violences du lendemain avant même qu’elles aient lieu. Suprême et caricatural réflexe de la propagande typique de la bonne société des gavés. Puis, le matin même, à mesure que se mettaient en place les 80 000 policiers annoncés par Retailleau, divers blocages s’opéraient sans aucune violence, mais sauvagement agressés sur ordre du centre ministériel. Mais à Brétigny, ce sont les policiers qui allument l’incendie du terre-plein. À Paris, l’incendie d’une façade leur est peut-être dû… En tout cas, les manifestants n’y sont pour rien, nonobstant les jacasseries des chaînes d’info à genoux devant chaque cageot en feu quand il y en a. Bien vite, les comptabilités de personnes arrêtées pleuvaient sur les chaînes d’info qui les répétaient sans vérification ni explication pour aider le travail d’intimidation des manifestants et d’affolement des téléspectateurs. Sur les réseaux, Retailleau redoublait d’injures et de mises en cause des Insoumis. Il allumait ainsi une déferlante de propos délirants sur ce thème. La compétition de Retailleau avec Wauquiez donna ensuite encore la pire stupidité de la part de ce dernier avec une déclaration spécialement ridicule : « Derrière tous ces visages cachés, c’est l’ombre de la France Insoumise, c’est la main de Jean-Luc Mélenchon. C’est lui qui nourrit le chaos parce qu’il espère la révolution. » Cette musique fut la construction médiatique de la journée.  

Dans la vraie vie, le 10 est le symptôme clair de l’exaspération sociale hégémonique dans les profondeurs du pays. Il a été considérablement encouragé par l’effondrement du gouvernement Bayrou. Le soulagement de savoir son plan cruel aux oubliettes est immense. Chacun y a puisé l’énergie pour l’action. Et la nomination de Lecornu dès le lendemain y a ajouté l’aliment d’une provocation aussitôt ressentie comme telle. La demande de destitution de Macron est désormais ancrée et elle fut criée partout. Elle rassemble aussi déjà plus des deux tiers des sondés !

Pour aller plus loin : « Le 10 septembre, il faut virer Macron ! » – 67 % des Français appellent à la démission du chef de l’État

Comme toujours dans ce genre de circonstances, le traitement médiatique est un symptôme supplémentaire. C’est le signal du blocage par le haut que les possédants de ces journaux espèrent maintenir sur les esprits, contre vents et marées. La caste qui les dirige, en complicité avec les états-majors politiques du système, atteste l’intensité du pressentiment des dominants. Ils sentent bien que leur verrouillage va mal tourner. Il nous suffit de laisser mûrir. Deux gouvernements sont déjà tombés, prouvant le niveau de déstabilisation de ceux d’en haut. Avec un bon plan d’action, nous avons fourni une simple poussée pour y parvenir. Le résultat est sans proportion avec les moyens déployés. Le 10, c’est le deuxième mouvement venu d’en bas sous le régime macroniste. « En haut, on ne peut plus, en bas, on ne veut plus ». Le dire, le montrer, l’analyser et l’épouser, ce serait être « un esthète de la violence » comme l’a éructé Retailleau. Ce serait être un suppôt du chaos comme le répètent en boucle tous les bonzes et supplétifs macronistes et assimilés. Inutile de se fatiguer à en faire davantage. Ils s’aveuglent eux-mêmes et se montrent donc incapables d’affronter la réalité qui se dessine toute seule contre eux. La révolution citoyenne qui mûrit dans les esprits s’apparente davantage à une force élémentaire de la nature plutôt qu’à n’importe quel complot imaginé par des vieux bourgeois tremblant devant leur télé. 

Le point fort de ce type de journée, ce sont les apprentissages de masse qu’elles rendent possible. L’auto-organisation, comme on le sait, est le chemin privilégié par la vision Insoumise de l’action de masse. De leur côté, les fachos ont des séances dans les bois et s’entraînent en bandes impunies contre les noirs et les arabes. Le silence, l’impunité et même la complicité du système les encouragent. Pour nous, c’est autre chose, totalement. Les cinq cents membres du service d’ordre national des Insoumis n’ont aucun plan comparable. Ils sont exclusivement voués à la tranquillité de nos réunions et à la sécurité rapprochée de nos porte-paroles. Il faut bien mesurer ce que cela signifie pour nous. Cela détermine que nous ne croyons à rien d’autre qu’aux capacités d’auto-organisation populaire pour toute l’action politique populaire à caractère de masse. Des journées comme celle-ci en sont de formidables moments d’apprentissage et de création. Les innombrables initiatives locales en attestent. La culture locale de l’action s’en nourrit et forme alors une tradition, qu’il s’agisse des formes de l’action comme des lieux où elle se concentre. Cette fois encore, l’imagination n’a pas été en reste. En ce sens, chacun de ces moments est une sorte de « répétition générale » de masse. Tout ce qui est appris alors se retrouvera aux moments décisifs. Et cette stratégie spontanée par elle-même n’est pas seulement moins routinière, monotone et maîtrisable que les traditionnels défilés. Elle constitue en soi une stratégie de lutte.

Mille encoches sont plus efficaces pour affaiblir l’adversaire, le désorienter et le déséquilibrer que de se mettre à disposition de ses nasses, arrestations et garde à vue. Ce 10 septembre est la plus grosse manifestation auto-organisée depuis celle des Gilets Jaunes du 17 novembre. Retailleau, le ministre illégitime et son frère jumeau, le président du groupe LR, se sont brisés les dents sur quelque chose dont ils ne comprennent pas les ressorts et les modalités et les oblige à imaginer un complot qu’ils ne peuvent vaincre pour la raison qu’il n’existe pas. Tant qu’ils ne comprennent pas les ressorts de l’auto-organisation, celle-ci aura les mains libres. Le mécanisme des révolutions citoyennes se reproduit en France par des franchissements d’étapes désormais classiques. Au Népal et en Indonésie, la même chose est en cours. Comme en Thaïlande, où les privilégiés, les fortunes sont gavées et comme ici, refusent de prendre leur part d’effort. Elles mesureront ici aussi bientôt avec effroi l’ampleur de la colère que le monarque présidentiel déchaîne et fortifie à chaque décision. 

Une fois de plus, je pense à cette formule de Pierre Bayle, philosophe des Lumières : « il est ridicule de discuter les effets d’une cause qui n’existe pas ». Même s’il faut reconnaitre combien l’insigne stupidité de ce procédé nous sert, venant de personnages que les milieux réactionnaires, eux aussi, considèrent souvent comme des esprits attardés dans les obscurités les moins glorieuses du passé.

Cela ne règle pas tous les problèmes posés par la coupure maintenue entre l’action syndicale et l’action populaire de masse.  L’implication rapide de Solidaires dans l’action du 10, renforcée aussitôt par plusieurs fédérations CGT déterminantes  et de très nombreuses Unions locales et Union départementales a évidemment réduit la fracture creusée pendant l’épisode Gilets jaunes. Elles s’étaient aggravées pendant la lutte contre la retraite à 64 ans, perdue faute de cohérence entre l’action politique et dans les entreprises et dans les rues. On s’en souvient assez bien. Cette fois-ci, la CGT soutint le 10 septembre. Mais en co-signant pour une action le 18, une concurrence a affaibli la convergence. Heureusement, elle n’a pas empêché le succès de la journée du 10 ni le caractère massif de ses rassemblements. Chacun devrait méditer cela. Nous avons fait le choix, nous Insoumis, de lire ce rendez-vous du 18 comme une étape après le 10. Pour positiver le calendrier et rendre possible les convergences. Mais il va de soi que nous sommes d’abord entièrement au service du mouvement du 10 septembre. Cela signifie que nous accompagnerons partout les décisions des assemblées citoyennes. Dans le même moment, nous re-ouvrons notre caisse de grève sous l’autorité d’Alma Dufour pour accompagner l’action des syndicalistes entrant en lutte. 

Notre ligne d’action est celle de l’unité populaire. Cela diffère du Nouveau Front populaire d’hier. En effet, PS et peut-être d’autres font le choix de la cogestion de la prétendue crise de la dette avec le gouvernement Lecornu de Macron. Ne l’ont-ils pas déjà fait avec Bayrou dans un accord de non-censure. Le programme de l’Unité Populaire, c’est celui des revendications de ce mouvement septembriste. Aucun des points qu’il exprime n’est différent de ceux que contient le nôtre « L’Avenir en commun ». Tout le monde connaît notre point de vue : Le coupable de la situation, c’est Macron. Le chaos, c’est lui et ses décisions. Il ne fait pas le moindre effort pour montrer qu’il reçoit ou entend les messages qui lui viennent de l’Assemblée Nationale ou du pays. Au contraire, il force le trait par bravade pour montrer qu’il reste le maître de ses étranges plans absurdes. Il doit partir. Il partira parce qu’il n’a aucun moyen politique de rester, ni lui, ni aucun de ses clones, ni aucun des opportunistes qui jouent la comédie de « la stabilité » en aggravant la confusion pour mieux en tirer profit personnel en places et postes. Macron doit partir et le pouvoir du peuple doit être rétabli pour prendre les décisions refondatrices dont le pays a besoin, qu’elles soient ceci ou cela.

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Source: https://linsoumission.fr/2025/09/11/melenchon-10-septembre-analyse/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/mille-encoches-font-une-breche-lanalyse-de-jean-luc-melenchon-apres-le-succes-du-10-septembre-li-fr-11-09-25/

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