
Par Alexis Poyard
Alors que les organisations de gauche, du moins celles qui ne courtisent pas le bloc macroniste, se mettent au service de la mobilisation du 10 septembre, alors que la simple évocation de la rue a déjà eu raison de François Bayrou, le Rassemblement National (RN) s’enfonce dans un silence gêné. La stratégie a déjà été éprouvée au RN : ne rien dire pour éviter de dire des âneries. Ainsi en est-il de la position de la maison lepéniste sur le mouvement du 10 septembre.
Les rares interventions d’élus du RN sur ce mouvement appelant à bloquer le pays sont empreintes d’un mépris à peine caché pour le peuple (au sens politique et inclusif) en mouvement. Deux raisons à ce timide positionnement : d’abord la stratégie du parti pour paraître comme le parti de l’Ordre, un ordre que le bloc macroniste est (selon les lepénistes) incapable de maintenir. Ensuite, plus simplement parce que les programmes du RN et des macronistes convergent sur beaucoup plus de points que certains ne le pensent. Notre article.
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Un souverain mépris envers les mobilisations du 10 septembre
Il aura fallu longtemps au RN pour se positionner sur le mouvement du 10 septembre : ce silence gêné trahissait une hésitation. Fallait-il, pour le parti d’extrême droite, appeler à battre le pavé ou à « tout bloquer » ? Un avant-goût avait été donné cet été sur les réseaux sociaux, où les plus zélés défenseurs du capital et des idéologies d’extrême droite, ultralibéraux (voire libertariens) et poujadistes jusqu’au bout des ongles, ont vite lâché l’affaire. Le mouvement aurait été « récupéré par l’extrême gauche », alors qu’aucune organisation progressiste n’avait encore lancé d’appel.
Depuis, les insoumis, dont Jean-Luc Mélenchon, ont appelé à accompagner, soutenir cet appel au blocage et à la grève générale, suivis par les syndicats et partis de gauche. Alors, la droite et l’extrême droite ont pris fait et cause pour l’ordre établi, ouvertement. Davantage que leur dégoût idéologique, c’est bien l’incapacité des réactionnaires à s’organiser collectivement et massivement qui a éclaté au grand jour.
Les mots d’ordre les plus récurrents sur le site indignonsnous.fr parlent d’eux-mêmes. Des milliers de contributeurs ont rempli, sans aucune consigne d’aucun parti ou syndicat, le « cahier de doléances » du site : passage à une Sixième République, défense de nos paysans, nationalisations de grandes entreprises, reprendre notre argent aux actionnaires… De manière spontanée, ce mouvement du 10 septembre s’est donné une direction cohérente politiquement : justice sociale, environnementale, démocratique.
Ainsi les quelques positionnements de porte-paroles du parti qui revendique aujourd’hui le leadership de la droite et du patronat (un revirement stratégique pour le parti qui se revendiquait autrefois « ni droite ni gauche »), le RN, montrent un dédain pour cette mobilisation. Ainsi, la députée d’extrême droite Edwige Diaz a considéré que son parti n’avait « pas vocation à organiser des manifestations » : la rue, ce n’est pas assez propre pour ces gens de bien !
Alors que les députés insoumis avaient déposé une motion de destitution du président de la République il y a un an, les députés lepénistes se sont empressés de sauver le siège de leur meilleur ennemi. Marine Le Pen a annoncé que son parti n’était toujours pas favorable au départ du chef de l’État. Cette alliance, au moins objective, est confirmée par le non-appel du RN pour le mouvement du 10 septembre.
« Notre rôle en tant que parti politique est d’apporter des réponses aux problèmes et aux revendications des gens. Pas de crier dans un haut-parleur » a encore martelé Edwige Diaz, comme si les deux étaient incompatibles.
La vision de la démocratie selon le RN
Même son de cloche du côté du président du RN, Jordan Bardella, qui affirmait le 30 août que « Quand on veut exprimer sa colère, on utilise le moyen le plus démocratique qu’il soit, on vote ». Sous-entendu : certains modes d’expression sont moins démocratiques (et donc moins légitimes) que d’autres. L’idée n’est pas neuve au RN, selon laquelle le vote est le seul acte politique valable et légitime. Bien pratique : le RN dit en gros « votez, on s’occupe du reste ». On a vu le résultat avec les condamnations d’élus RN pour détournements de fonds publics…
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En creux, cette position dit deux choses de l’idéologie défendue par le RN. D’abord, le vote est le seul mode d’expression démocratique vraiment légitime (une position aussi défendue dans le bloc macroniste) : d’autres moyens d’expression n’ont pas cette sacralité, et peuvent donc être attaqués sans que cela ne pose problème. Au hasard, la liberté d’expression, la liberté de manifester…
Ensuite, le RN veut un peuple (cette fois au sens ethnique et excluant du terme) politiquement passif, qui se contente de voter tous les 5 ans pour le clan Le Pen, qui ferme les yeux sur les malversations et les violences de l’extrême droite. En cela, le RN s’inspire de ses modèles russes ou hongrois : le vote est bien maintenu, mais les autres libertés sont tellement bridées que celui-ci penche constamment en faveur du pouvoir en place.
C’est pourquoi Bardella et Le Pen, comme Macron, comme Retailleau ou Bayrou, ont peur de la rue. Un changement stratégique est acté au RN : de parti à la rhétorique dégagiste, cette dernière, bien qu’encore présente, laisse peu à peu la place à un discours plus rassurant envers les patrons, les cadres, les retraités… En somme, l’électorat qui autrefois votait Sarkozy puis Macron.
En témoigne la lettre de Bardella aux patrons pour rassurer ces derniers. Pas une seule allusion au 10 septembre n’est faite : la politique, pour ces gens-là, est une affaire de jeux parlementaires, dans des salons dorés bien loin de la rue et de négociations secrètes avec le CAC 40.
La timidité des uns, la fébrilité des autres, montre que la 5e République, ses élites, ses chefs de grandes entreprises, tremblent. Après des années de matraquage antisocial, raciste et réactionnaire, le mouvement du 10 septembre pourrait être le début de quelque chose d’autre. Après des années à subir, les mots d’ordre progressistes se sont remis en mouvement en dehors des cercles militants, tandis que les droites (même la plus « antisystème » incarnée par le RN) se terrent dans la sidération et sont sur la défensive.
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Source: https://linsoumission.fr/2025/09/09/10-septembre-rassemblement-national/
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