Nantes : la justice au compost (CA.net-16/10/24)

Récit du procès d’une action contre les bétonneurs empêchée par la police en décembre dernier.

En ce matin du mardi 15 octobre, une centaine de personnes sont réunies devant le tribunal judiciaire de Nantes, autour des tracteurs décorés d’une banderole : “paysannes travailleurs autonomes, organisons la résistance”. À l’intérieur, la salle d’audience est pleine. Ils et elles ont répondu présent.e.s pour soutenir les inculpé.e.s du 11 décembre 2023.

Rappel des faits

En décembre 2023, 200 organisations appellent à une mobilisation contre les intérêts du bétonneur terroriste Lafarge-Holcim. À cette occasion, devant le site de Saint-Herblain, à l’ouest de l’agglomération nantaise, une manifestation est organisée. Elle est très vite contenue par un dispositif de maintien de l’ordre très important. 14 personnes sont alors arrêtées, de manière complètement aléatoire, et 11 sont inculpées pour un motif dérisoire : “Entrave à la circulation de véhicules sur la voie publique”. Le but : criminaliser le droit à la manifestation en détournant les procédures les plus courantes du code pénal. Une répression financière du militantisme de plus en plus utilisée à l’image des pluies d’amendes de 135€ distribuées lors des derniers mouvements sociaux ou lors des journées de soutien au peuple palestinien.

Le procès du droit à manifester

À l’audience, les inculpé.e.s invoquent le droit de garder le silence. Seul l’un d’eux prononce une déclaration en leur nom. Il rappelle notamment que “la production de ciment est aujourd’hui responsable de 8% des émissions de gaz à effet de serre, soit trois fois plus que le transport aérien”, et que “Lafarge est l’objet d’une mise en examen pour complicité de crime contre l’humanité, et a un procès à venir pour financement du terrorisme.” “Face à l’action écocidaire de certaines grandes entreprises comme Lafarge et l’inaction climatique de nos institutions, face à leur manque de volonté à protéger les terres nourricières, notre colère à nous n’est-elle pas légitime ? Nous considérons que de notre côté, par nos gestes et nos mobilisations, nous ne défendons pas seulement notre intérêt particulier mais aussi et avant tout celui du vivant et des générations futures.”

Comme à son habitude, le ministère public déploie dans une tirade des trésors d’ingéniosité pour nier le procès politique. Un déni total alors qu’on est en train de juger 11 prévenu.e.s pour avoir gêné une circulation inexistante sur une zone industrielle. L’argumentation est ubuesque. Se permettant même d’expliquer à tous les agriculteur.ices et militant.es de la salle que la désobéissance civile peut être défendue, mais pas de cette manière… On attend de savoir comment et on se demande ce que ce Monsieur compte manger lorsque les paysans et les paysannes ne seront plus là pour le nourrir.

Si les accusations peuvent paraître dérisoires en surface, elles sont graves dans leur essence puisqu’elles portent à nouveau atteinte au droit de manifester lui-même et illustre parfaitement la criminalisation constante des luttes écologistes en France.

De son côté, la défense est claire : la question ne repose pas sur la peine, mais sur la culpabilité en elle-même. En effet, une condamnation pour entrave à la circulation lors d’une manifestation revient à condamner le droit de manifester lui-même, car quelle manifestation ne génère pas de gêne à la circulation ? L’avocat de la défense précise : “la Cour européenne des droits de l’homme dit bien que toute manifestation, par essence, crée une source de désordre. Mais si on réprime cette gêne, ça revient à empêcher les manifestations”. En outre, lorsqu’il s’agit de magistrat.es bloquant les rues de Nantes en 2011 ou le tribunal lui-même en 2023, ou de manifestations de policiers devant les palais de justice, ces dernier.es ne se retrouvent pas sur le banc des accusé.e.s. Un deux poids, deux mesures que l’on retrouve aussi dans le traitement des militant.es écologistes en comparaison des membres de la FNSEA qui incendiaient le centre des impôts de Morlaix, saccageaient des préfectures ou déversaient du fumier sur le conseil de région de Dijon.

Une criminalisation des luttes écologistes qui s‘accentue

Le site d’enfouissement de Bure, le barrage de Sivens, la mort de Rémi Fraisse, les Décrocheurs de portraits, Extinction Rébellion, Dernière Rénovation, les scientifiques en rébellion, les Soulèvements de la Terre, Sainte Soline, l’autoroute A69, Lafarge ; les procès des militants écologistes s’installent de manière courante dans le paysage politique. Une situation en constante aggravation depuis les dernières circulaires Dupont-Moretti parues après la répression sanglante de Sainte-Soline. Qui peut aujourd’hui prétendre que ces procès n’ont rien de politique alors même que le rapporteur spécial de l’ONU concédait que «La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux».

Des mots encore illustrés par le verdict du tribunal de Nantes dans cette affaire. Tous les prévenu.e.s qui se sont présenté.e.s aujourd’hui face à cette mascarade judiciaire sont condamné.e.s : 300 à 500 € d’amende en sursis pour chacun d’eux.

Une peine symbolique, mais inacceptable par principe. Ils et elles ont 10 jours pour faire appel de la décision.

°°°

Source: https://contre-attaque.net/2024/10/16/nantes-la-justice-au-compost/

URL de cet article:https://lherminerouge.fr/nantes-la-justice-au-compost-ca-net-16-10-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *