
Ils étaient 7 500 participants à la manifestation intersyndicale, ce jeudi 2 octobre, à Nantes. Beaucoup moins que quinze jours auparavant, mais dans le cortège néanmoins étoffé, les voix et les pancartes soufflent la colère d’un monde du travail essoré.
Par Agnès CLERMONT, Philippe GAMBERT, Isabelle MOREAU et Frédéric SALLE
« Le monde du travail ne paiera pas la crise ! » Ainsi monte la colère, en ce jeudi 2 octobre, au miroir d’eau, à Nantes, avant que ne s’élance un cortège de 7 500 personnes, derrière la banderole intersyndicale. Et celui qui s’époumone au micro n’est ni un vieux briscard des manifs ni un coutumier du mégaphone. C’est le représentant de la CFE-CGC : le syndicat des cadres est même en tête du défilé. Car l’encadrement sature lui aussi.
Levée à 4 h un jour de congé
Et ce qu’il dit illustre parfaitement ce qu’expriment ceux qui ont donné de leur temps, en ce matin ensoleillé, pour signifier leur exaspération. Pas question d’argent, cette fois, dans les discussions, même si le montant des salaires reste le nerf de la guerre des classes. Mais chacun raconte, avec force détails, comment la vie au travail se complique sans cesse. Et à quel point ils ne supportent plus que les gouvernements successifs leur en demandent encore.
Illustration avec une agente d’entretien qui s’est levée à 4 h. Elle est en congé pourtant : « Je suis allée donner un coup de main en douce à des collègues qui ne s’en sortent pas. Je bosse dans une grosse boîte de propreté qui prend tous les marchés, même les plus impossibles pour nous. » Et de citer un exemple : « En une heure, seule, on doit nettoyer un open space de six ou sept bureaux, certains parfois très sales, plus la salle de réunion, les sanitaires, des WC souvent infects, le réfectoire, le tout en briquant les plinthes et en vidant les poubelles. Ce n’est pas jouable. » Et c’est de pire en pire, dit-elle, à cause des incessantes suppressions de postes.
Idem chez Lidl, tonne Karim Khodja : « Ça licencie sans cesse, confie le délégué syndical CFDT. Dans les magasins, là où ils étaient encore six ou sept il y a peu, ils ne sont plus que trois ou quatre, avec la même charge de travail ! »
L’obole à Bolloré
Il y a aussi Franck, 55 ans, des années dans le social, de l’Urssaf à Pôle emploi. Il dit n’avoir plus rien aujourd’hui, exemple de la « déliquescence de cette société qui pousse ceux qui ont le moins à faire plus. Sarkozy avait incité à la création d’entreprises individuelles, on voit aujourd’hui l’état de misère des travailleurs indépendants ».
Sur sa pancarte, cet homme sans emploi, « bras cassé, assisté », demande « l’obole à Bolloré » : « On nous gratte sur tout, les aides pour la culture, le chômage sur vingt-quatre mois et non plus sur trente-six. » À côté de lui, Jeanne brandit sa pancarte SuperZucman : « Une solution pour taxer 1 800 riches. » Elle espère que l’idée fera son chemin : « On est peut-être à l’aube de la justice sociale ? »
Au miroir d’eau, Jamal Ouggourni témoigne pour les autres, ceux qu’il accompagne, lui, le conseiller emploi handicap pour Cap emploi 44 : « Ils ont 55 ans en moyenne, ont souvent perdu un emploi sans parvenir à en trouver un autre. » Le recul de l’âge de la retraite à 64 ans leur « revient comme un boomerang », soupire le conseiller. Quand par hasard ils arrivent à trouver du boulot, « ils souffrent, ne parviennent pas à suivre la cadence. On ne peut pas demander toujours plus à ceux qui peinent à s’en sortir ! »
Ce qui les fait souffrir
Plus loin, deux musiciens de 27 et 34 ans, confrontés aux tumultes du monde de la culture : « Privés de subventions, les lieux de concert limitent les dates », expliquent-ils. Le plus jeune s’en sort en exerçant comme prof de musique. Qu’est-ce qui les fait le plus souffrir ? Pas leurs situations professionnelles, mais « ces gens, ces enfants à la rue… Et l’état de la planète : elle ne cesse de se détériorer, faute de politique globale suffisante. »
Pourquoi faire un effort supplémentaire pour un État qui ne finance pas ce qu’il faut ? La question se pose pour l’environnement, mais aussi à l’intérieur des boîtes. Philippe Lafrance, responsable CGT chez Orange, basé à Nantes, le résume avec deux chiffres : « Orange a touché près de 237 millions d’aide de l’État en 2024 et ça lui a servi à quoi ? À supprimer des emplois ! 4 000 par an ces dernières années. »
À cause des postes en moins, dénonce-t-il, les salariés doivent s’adapter sans arrêt, changer d’équipe, de repères : « On ne travaille plus que dans l’urgence, la perte de sens est énorme. Les départs à la retraite ne sont pas remplacés, mais le boulot, lui, il ne part pas à la retraite ! »
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