Netanyahou sur LCI : plus méprisant que jamais. (Investig’Action – 04/06/24)

(AFP)

Le jeudi 30 mai 2024, la chaîne de télévision française, LCI, a accueilli Benyamin Mileikowsky, Premier ministre israélien. Cette interview intervient alors qu’un mandat d’arrêt international a été requis contre lui pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Le cadre de l’interview donnait l’impression que Mileikowsky s’adressait directement aux Français, avec un ton très personnel illustré dès la première question par : « Le procureur de la Cour pénale internationale demande un mandat d’arrêt contre vous. Quelle a été, à titre personnelvotre première réaction ? ». Comme un air d’interview bien préparée, Mileikowsky se pose en protecteur du peuple en répondant qu’« il ne s’agit pas de [ lui ] mais d’Israël ». Cette image du sacrifice est renforcée par la référence à son frère « martyr », évoqué par le journaliste Darius Rochebin ( né Khoshbin ).

Mileikowsky aborde, dès les premières minutes, les sujets de la Shoah et de l’antisémitisme, insinuant, par ailleurs, que les opérations du 7 octobre étaient antisémites ( des gens le pensent encore ), autant que le procureur de la CPI, Karim Khan, qui a osé établir un parallèle entre des terroristes indigènes sous occupation militaire et des colons polonais, américains et arabes, mais tous héritiers de la « civilisation judéo-chrétienne ».

La « civilisation judéo-chrétienne »

Le Premier ministre s’est servi de la langue française à plusieurs reprises avec des références à l’histoire française : l’affaire Dreyfus, le débarquement en Normandie et les attaques terroristes : « Notre victoire, c’est la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie », une déclaration que l’on pourrait interpréter par : « la civilisation judéo-chrétienne – terme conceptualisé au 19ème siècle pour cacher le spectre de l’antisémitisme – contre les Musulmans ». En référence au Père Hamel, il ajoute en français « égorgé dans son église », renforçant ainsi l’effroi des auditeurs qui tomberont en empathie avec Israël, et feront un parallèle entre les terroristes de France et les « terroristes » de Palestine malgré des situations humanitaires et politiques radicalement différentes.

Notons que cette notion de « civilisation judéo-chrétienne contre le monde musulman » ne reflète aucunement la réalité géopolitique actuelle. Par exemple, l’Iran chiite soutient l’Arménie chrétienne, tandis qu’Israël est devenu un allié principal de l’Azerbaïdjan ( un pays à majorité chiite ) contre l’Arménie. La Russie, bien plus chrétienne que la France ( 90% des Russes se déclarent croyants ), se pose en bon partenaire de l’Iran, tandis que la France continue d’armer Israël aux dépens des chrétiens et des églises de Gaza.

Comparer la guerre à Gaza à une guerre de civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie, c’est-à-dire une guerre contre le monde musulman, est d’autant plus déraisonnable que les chrétiens en Palestine ont toujours été impliqués, d’abord dans la lutte contre la colonisation, puis pour la reconnaissance de l’État de Palestine ; ceci aux côtés de leurs concitoyens musulmans. Cet engagement historique des chrétiens contre la colonisation et l’occupation s’est illustré par des figures telles que Jaoudat Morqos, auparavant ministre dans le gouvernement du Hamas, ou encore par les hommes des différentes Églises palestiniennes qui se sont unis en mars 1948 pour faire savoir leur rejet catégorique du plan de partage de la Palestine imposé par l’ONU. Des intellectuels chrétiens tels qu’Edward Saïd ont également critiqué les caricatures occidentales de l’Orient, cf : « L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident ».

De l’autre côté de la frontière de la Palestine occupée, au Liban, la sœur Maya Ziadeh a invité les enfants chrétiens à prier pour « les hommes de la résistance », en faisant référence aux combattants du Hezbollah. Elle provoquera une polémique et l’évêque Atallah Hanna de Sebastia lui apportera son soutien en dénonçant les tentatives de discréditer les « personnalités chrétiennes qui défendent la Palestine ».

La guerre qui oppose Israël aux Palestiniens n’est pas une guerre entre l’Islam et la « civilisation judéo-chrétienne », elle n’est pas non plus une guerre visant à éliminer la présence juive en Palestine. Elle est une guerre des Arabes, des Palestiniens, chrétiens et musulmans, et de tous ceux qui se reconnaissent en eux, contre un colonialisme de peuplement ; les Palestiniens se battent pour leur survie.

Ajoutons que cette même supposée « civilisation judéo-chrétienne » a conduit de nombreux juifs à trouver refuge au Maghreb pendant l’Inquisition, ainsi que dans l’Empire ottoman, plus particulièrement en Palestine tout au long du 19ème et du 20ème siècle. La dichotomie entre la « civilisation judéo-chrétienne » ( si tant est que cette notion existe ) et la barbarie est donc souvent plus fine qu’on ne le pense.

Des chiffres sortis de nulle part

Lors de son passage sur LCI, Mileikowsky a prétendu que le ratio de la guerre menée contre Gaza était d’« un combattant tué pour un civil », ceci alors que l’ONU, qui reprend les chiffres du ministère de la Santé de Gaza, faisait état, au 8 mai 2024, de 34 844 Palestiniens tués, dont la moitié de femmes et d’enfants. Ces chiffres rendent absurde l’idée que la totalité de l’autre moitié des victimes, composée d’hommes et de vieillards, soit tous des combattants. Darius Rochebin ne remettra pourtant pas sérieusement en doute les affirmations avancées par Mileikowsky.

Provoquer les Français ?

Alors qu’on insiste sur la nécessité de ne pas exporter le conflit, LCI invite un homme qui évoque de manière absurde la prétendue menace internationale posée par le Hamas. Or, le Hamas, contrairement à l’OLP, a toujours limité ses opérations militaires à la Palestine. Jamais un attentat n’a été commis, au nom du Hamas, contre des juifs en dehors des frontières de la Palestine historique.

Par deux fois et en mépris des citoyens français, le Premier ministre israélien évoquera les banlieues parisiennes en demandant aux Français d’imaginer ce qu’ils auraient fait si une horde de terroristes en sortait. Nous imaginons tous à qui Mileikowsky faisait référence puisque Meyer Habib a pu récemment dîner avec le ministre de la défense israélienne Yoav Gallant – sous réquisition d’un mandat d’arrêt également – avec lequel il a discuté de leur inquiétude mutuelle de « la montée de l’antisémitisme islamo-gauchiste en France ».

Israël et le droit international

À la question de Darius de savoir si Israël compte occuper Gaza après la guerre, Mileikowsky affirme ne pas être intéressé par l’administration civile de Gaza. Évidemment, les tâches ingrates pourraient être confiées à une organisation internationale, tandis qu’Israël garderait le contrôle militaire de la bande. En brandissant une carte du monde arabe où Israël s’étend « du fleuve à la mer », il fait ainsi « non » de la tête pour l’occupation de Gaza, tout en faisant passer le message de manière cynique « bien sûr que je le ferai, vous le savez bien, c’est notre projet ».

En affirmant aussi que les colonies en Cisjordanie ne sont pas illégales, malgré le consensus international les déclarant contraires au droit international, Israël semble indiquer qu’il ne se considère pas contraint par les lois internationales. Il affirme en effet sans vergogne que la CPI n’est pas faite pour Israël, insistant sur l’indépendance du système judiciaire israélien, sans répondre aux questions sur les menaces israéliennes contre les procureurs de la CPI révélées par le Guardian la semaine dernière.

Majed Bamya, observateur permanent de l’État de Palestine auprès des Nations unies, a réagi sur la même chaîne à l’interview du Premier ministre israélien.

Auteur : FALASTEEN


Source : https://investigaction.net/netanyahou-sur-lci-plus-meprisant-que-jamais/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/netanyahou-sur-lci-plus-meprisant-que-jamais-investigaction-04-06-24/

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