(Crédit photo : Le berceau)
La poursuite autrefois furtive de la normalisation par Riyad avec Tel Aviv devient de plus en plus ouverte, motivée par l’ambition du prince héritier Mohammed ben Salmane d’assurer son futur trône. C’est une tâche qui est devenue infiniment plus difficile depuis le 7 octobre 2023.
Malgré l’assaut brutal d’Israël contre la bande de Gaza et ses 2,4 millions de Palestiniens, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) continue de rechercher un accord controversé visant à normaliser les relations avec l’État d’occupation. Riyad a persisté à approfondir ses relations avec Tel Aviv dans de multiples secteurs, malgré les menaces de mort qu’il a reçues de la part d’opposants à la normalisation dans le royaume.
Alors, pourquoi le prince héritier insiste-t-il pour s’engager sur cette voie impopulaire, à moins qu’il ne croie que l’établissement de liens avec Israël est crucial pour assurer son accession au trône saoudien ?
Plus tôt cette semaine, Politico a révélé de nouveaux détails sur ces négociations secrètes, y compris de multiples engagements américains envers Riyad. Ces assurances américaines vont des garanties de sécurité par le biais d’un traité à l’aide à un programme nucléaire civil et aux investissements économiques dans la technologie.
Cependant, Tel-Aviv reste réticent à inclure une voie crédible pour l’établissement d’un État palestinien dans le cadre d’un accord, une exigence clé des Saoudiens.
Une histoire de mouvements diplomatiques discrets
La normalisation avec l’Arabie saoudite n’est pas moins importante pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui considère l’accord comme un objectif diplomatique majeur depuis avant sa réélection en 2022. Avant l’opération Al-Aqsa de l’année dernière, Netanyahu croyait que l’accord était imminent.
Aujourd’hui, la situation reste complexe, le sort de l’accord étant en jeu en raison de conditions et d’exigences contradictoires fixées par l’Arabie saoudite, les États-Unis et Israël.
Les racines de la normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël remontent à plusieurs décennies, avec une histoire de transactions diplomatiques secrètes souvent appelées « normalisation douce ».
Depuis sa nomination en tant qu’ambassadeur de Riyad à Washington en 1983, le prince Bandar bin Sultan Al-Saud a jeté les bases de ce rapprochement progressif, rencontrant les dirigeants politiques et sécuritaires israéliens au fil des ans. Son successeur, Turki al-Faisal, a poursuivi ces efforts, devenant un homme clé dans les contacts saoudo-israéliens.
Anwar Eshki, qui a été son prédécesseur et conseiller du prince Bandar, a participé à des séminaires de promotion de la normalisation et a effectué sa première visite dans les territoires occupés en 2016.
Un moment charnière dans cette relation secrète a eu lieu en 2019 lorsque MbS a accueilli une délégation de personnalités évangéliques soutenant le projet sioniste dirigée par Joel Rosenberg. La réunion, ainsi que les pourparlers secrets qui ont suivi entre MbS et Netanyahu dans le cadre de NEOM en 2020, ont marqué une étape notable vers une normalisation ouverte. Au fil du temps, ces réunions et visites sont devenues monnaie courante, les responsables et les citoyens saoudiens s’engageant de plus en plus avec Israël, y compris en effectuant des visites publiques dans les territoires occupés.
Mesures répressives et intérêts stratégiques
Les deux États partagent plusieurs objectifs stratégiques. L’Arabie saoudite est opposée à l’Axe de la résistance régional, qui comprend l’Iran, la Syrie, le Hezbollah, Ansarallah, le Hamas et d’autres acteurs non étatiques, et a mis en œuvre des mesures répressives contre la résistance palestinienne. Pendant des années, le royaume a ciblé les partisans du Hamas et les individus qui acheminaient des fonds vers les territoires palestiniens. Cela inclut l’arrestation de plus de 60 Palestiniens en 2019, dont des responsables du Hamas et des ressortissants saoudiens qui ont été condamnés à de longues peines de prison.
Pas plus tard qu’en mai, l’Arabie saoudite a intensifié sa campagne d’arrestation des utilisateurs des médias sociaux du royaume qui ont attaqué Israël en ligne – ceci après que plus de 34 000 Palestiniens aient été tués dans des frappes aériennes israéliennes incessantes sur des centres de population.
En marge, l’Arabie saoudite a également soutenu les efforts de normalisation de Bahreïn et du Soudan tout en offrant à l’Autorité palestinienne (AP) basée en Cisjordanie occupée des incitations économiques pour collaborer davantage avec Israël.
Depuis sa création, le royaume a utilisé l’islam pour légitimer ses actions politiques, et cette normalisation douce de l’Arabie saoudite avec Israël ne fait pas exception, avec Muhammad bin Abdul Karim bin Abdulaziz Al-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, jouant un rôle clé dans la promotion de la normalisation religieuse.
Depuis 2017, Al-Issa défend la cause du dialogue interreligieux en tant que porte d’entrée pour renforcer les liens religieux avec Israël. Sa visite à Auschwitz en 2020 et les rencontres ultérieures avec des dirigeants israéliens et juifs s’inscrivaient dans le cadre de cette stratégie plus large.
L’envoyée spéciale des États-Unis pour la surveillance et la lutte contre l’antisémitisme, Deborah Lipstadt, a également rencontré des responsables saoudiens dans le royaume, et une délégation de dirigeants juifs américains s’est rendue sur place pour promouvoir la normalisation. Parmi les domaines de normalisation douce, citons l’accueil par l’Arabie saoudite du rabbin Yaakov Herzog, un ancien soldat d’artillerie israélien et un partisan sioniste extrémiste de la démolition de la mosquée Al-Aqsa. Le rabbin cherche à susciter la controverse à travers ses activités, notamment une visite à la mosquée et au cimetière des martyrs d’Uhud à Médine.
Sécurité et liens économiques avec Israël
Sans surprise, Riyad et Tel-Aviv se sont efforcés de renforcer leur coopération en matière de sécurité – un aspect important de leurs relations aujourd’hui. En tant que plus grand importateur d’armes au monde, l’Arabie saoudite a cherché à renforcer ses capacités militaires par le biais d’accords avec l’État occupant, notamment l’acquisition du système de défense aérienne défectueux Dôme de fer d’Israël. Les relations en matière de sécurité ont inclus des exercices militaires conjoints et une coopération en matière de cybersécurité, l’Arabie saoudite s’appuyant sur des logiciels espions israéliens pour surveiller et contrôler l’opposition au sein du royaume.
S’adressant à The Cradle, l’auteur et analyste politique saoudien dissident Fouad Ibrahim a déclaré :
L’Arabie saoudite considère la normalisation comme plus qu’un simple projet politique, car elle comprend également un projet économique et un projet stratégique liés à l’avenir du trône en Arabie saoudite.
La normalisation économique est cruciale pour le projet convoité Vision 2030 de MBS, qui vise à transformer l’économie du royaume et à instaurer une libéralisation sociale. L’accord avec Israël comprend l’ouverture de l’espace aérien saoudien aux vols israéliens et l’encouragement des investissements israéliens dans les sites du patrimoine saoudien. Jared Kushner, l’architecte des accords d’Abraham de 2020, a joué un rôle de premier plan dans ces efforts, en travaillant à l’établissement d’un corridor d’investissement entre Riyad et Tel Aviv.
Parmi les projets les plus ambitieux figurent le câble à fibre optique reliant Tel Aviv aux pays du golfe Persique, ainsi qu’une expansion ferroviaire prévue qui relierait l’Arabie saoudite à Israël via la Jordanie. Ibrahim soutient que l’opération de la résistance palestinienne contre l’inondation d’Al-Aqsa en octobre dernier a perturbé ces plans, mettant en péril toute une série de ces projets économiques :
L’inondation d’Al-Aqsa est arrivée et a contrecarré ce projet et l’a perturbé pour une période inconnue. Par conséquent, le régime saoudien, ainsi que les États-Unis et l’entité israélienne, ont été les premiers à penser que l’inondation d’Al-Aqsa était dirigée principalement contre le projet de normalisation dans la région.
Un assouplissement de la position conduisant à une normalisation douce
Les stratégies culturelles et médiatiques ont joué un rôle avancé dans l’acclimatation des Saoudiens à la normalisation avec Israël. Depuis les événements du 11 septembre 2001, l’Arabie saoudite s’est efforcée de réviser ses programmes d’enseignement, en supprimant progressivement les références à Israël en tant qu’ennemi et en promouvant une position plus neutre à l’égard de l’État d’occupation. L’art et les médias ont également joué un rôle, les chaînes de télévision saoudiennes diffusant des programmes qui promeuvent subtilement la paix avec Israël.
Les médias, en particulier, ont été un outil puissant pour façonner la perception du public, les médias saoudiens accueillant souvent des responsables israéliens et diffusant des reportages de l’intérieur du royaume. Cette campagne de propagande visait à créer un climat propice à la normalisation, bien que le soutien de l’opinion publique à une telle mesure ait fluctué, surtout après les événements du 7 octobre.
Au cœur de la Vision 2030 du prince héritier se trouve son désir de positionner l’Arabie saoudite comme une plaque tournante sportive mondiale. Le Fonds d’investissement public, le fonds souverain de l’Arabie saoudite, mène ce vaste projet en achetant de grandes franchises sportives étrangères et en accueillant des événements sportifs internationaux dans le royaume.
Le secteur du sport a été un autre outil de normalisation douce, ouvrant la voie à l’apparition d’équipes israéliennes officielles en Arabie saoudite, où elles lèvent le drapeau de l’État d’occupation et chantent son hymne national. Des matchs et des compétitions officiels sont organisés entre les joueurs saoudiens et israéliens, et l’équipe nationale saoudienne de football a même participé à des matchs organisés en Cisjordanie occupée.
Comme il est maintenant évident de le constater, les efforts de Riyad en faveur de la normalisation avec Tel Aviv ont été multiformes, impliquant des stratégies diplomatiques, religieuses, sécuritaires, économiques, culturelles et médiatiques. Bien que ces efforts aient fait des progrès significatifs au fil des ans, l’avenir de cette relation délicate reste incertain, en particulier avec l’évolution rapide de la résistance à l’échelle de la région contre l’État d’occupation en solidarité avec les Palestiniens de Gaza.
Les intérêts stratégiques sous-jacents qui guident l’approche de Riyad à l’égard d’Israël – la sécurité, la croissance économique et l’influence régionale – suggèrent que ces efforts se poursuivront, bien qu’avec des ajustements et des ajustements, afin de ne pas susciter de représailles de la part de l’Axe de la Résistance, notamment des forces armées yéménites à la frontière sud de l’Arabie saoudite.
Source : https://thecradle.co/articles/soft-normalization-saudi-arabia-quietly-engages-with-israel
URL de cet article : https://lherminerouge.fr/normalisation-douce-larabie-saoudite-sengage-discretement-avec-israel-the-cradle-20-08-24/