« Nous sommes de nouveau dans une crise sociale » : après quatre suicides à l’automne 2024, chez Orange le pire est redouté (H.fr-21/02/25)

Le siège d’Orange à Issy-les-Moulineaux. © Firas Abdullah/ABACA

L’enquête triennale du Comité national de prévention du stress révèle le sentiment d’inquiétude des salariés face à la politique sociale menée par la nouvelle direction depuis 2022. La recrudescence des suicides au moment des nombreuses réorganisations fait craindre le pire à la CFE-CGC.

Par Léa DARNAY.

La dernière enquête triennale réalisée par le Comité national de prévention du stress (CNPS) à Orange met en avant l’inquiétude montante des salariés de l’opérateur historique face aux réorganisations en cours, les principaux indicateurs liés aux risques psychosociaux s’étant dégradés par rapport à la précédente étude de 2022. À tel point que la CFE-CGC d’Orange, qui a dévoilé ce document ce vendredi 21 février, estime que « la crise sociale est de retour ». Contactée, Orange n’a pas répondu à nos sollicitations.

Le CNPS est l’instance « héritière » de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées mis en place en 2010 par les syndicats lors de la vague de suicides qui avait touché l’ex-France Télécom en 2009, sous la présidence de Didier Lombard, depuis condamné pénalement pour harcèlement moral institutionnel le 21 janvier 2025. Ce comité mène une enquête tous les trois ans afin de jauger de l’état social dans le groupe. Dans ce cadre, le cabinet d’expertise Secafi est missionné pour adresser un questionnaire d’une cinquantaine d’occurrences à l’ensemble des salariés. L’édition 2025 de l’enquête est la première effectuée depuis l’arrivée, en avril 2022, de Christel Heydemann à la direction générale, à la place de Stéphane Richard, considéré en interne comme ayant apaisé le climat social après la crise des suicides.

Le retour des tensions

Les salariés ont participé en masse au questionnaire 2025 : avec plus de 32 000 réponses, le taux de réponse a été particulièrement fort (+9 % par rapport à 2022) du côté d’Orange SA, dont les effectifs ont diminué de 20 % sur les trois dernières années, à un degré moindre au sein des filiales où les effectifs se sont accrus. « L’intérêt pour cette enquête illustre le besoin des collaborateurs de s’exprimer sur leurs conditions de travail », a réagi la CFE-CGC dans un communiqué.

« Les 6 principaux indicateurs (…) sont tous orientés à la baisse en 2024 », résume d’entrée Secafi. « L’intensité du travail reste toujours à un niveau élevé, stable par rapport à 2021, mais au même niveau qu’en 2012. Les exigences émotionnelles, en amélioration continue depuis 2012, connaissent un tassement malgré un bien meilleur ressenti des relations avec les clients. L’autonomie au travail accentue sa baisse de 2021. Elle reste également à un niveau élevé, mais l’augmentation continue du niveau de qualification des salariés d’Orange aurait pu laisser espérer une amélioration ».

En berne aussi « le score des conflits de valeur », la « fierté d’appartenance » se retrouvant « au niveau le plus bas constaté depuis 2012 », « malgré une appréciation qui reste très bonne du sens que les salariés donnent à leur travail ». « Enfin, l’insécurité professionnelle accentue la dégradation déjà observée en 2021 avec la moitié de l’effectif qui considère que sa sécurité d’emploi est menacée et un accompagnement du changement dont le score devient négatif. »

Le document final relève des « inflexions » qui « sont un signal d’alerte » : « Au quotidien, les managers sont toujours appréciés. Mais dans les moments où ils portent le plus la politique de l’entreprise, la relation se tend ». Les experts listent trois autres indicateurs préoccupants :

  • « 17 % des managers déclarent avoir subi des violences verbales de la part de subordonnés (+3 points).
  • Toutes les questions liées au harcèlement connaissent une petite dégradation de leur score.
  • Le ressenti de tensions dans les équipes progresse un peu dans quasiment toutes les activités (+4 points) »

Revoir les réorganisations de fond en comble

Dans leurs préconisations, les experts soulignent le « trop grand nombre de réorganisations et la façon dont elles sont menées (qui) nous paraissent être l’explication principale de la dégradation des résultats observés cette année, qu’il s’agisse de l’inquiétude pour l’emploi, de la baisse de la fierté d’appartenance ou du ressenti de court-termisme évoqué dans la question ouverte ».

Ils appellent donc l’actuelle direction à revoir son plan de réorganisations de fond en comble, en conservant l’amélioration des conditions de travail comme boussole, sans s’interdire « d’opérer les rectifications nécessaires » en cours de route et en gardant les responsables de ces réorganisations d’un bout à l’autre du processus, tout en situant l’ensemble du projet « dans une vision stratégique ».

« Nous sommes de nouveau dans une crise sociale, commente la CFE-CGC, premier syndicat du groupe. On partait déjà avec un seuil affaiblit par la Covid lors de l’enquête 2021, les signaux auraient dû logiquement remonter, c’est alarmant. »

Quatre suicides à l’automne

« La direction est dans le déni. Mais les curseurs sont tous dans le rouge », alerte le président de l’organisation, Sébastien Crozier qui décrit dans son communiqué une « externalisation massive jusqu’à 80 % des tâches les plus simples » ; « un dépeuplement aléatoire lié aux départs en préretraite non remplacés », « causant une surcharge de travail pour ceux qui restent » ; « un travail ralenti avec des procédures mal définies et un manque de coopération entre services, un sentiment de perdre en autonomie »…

Les résultats de cette étude sont dévoilés au moment où les effectifs du groupe ont diminué de 15 % en trois ans, du fait des 24 386 départs enregistrés à Orange SA en France contre 6 152 arrivées depuis la dernière enquête. Le premier plan de départs volontaires, dans sa filiale dévolue aux entreprises (Orange Business), portant sur 640 postes, l’arrêt de l’activité bancaire (Orange Bank), la cession des dernières activités dans les médias (OCS), ainsi que le dispositif Temps partiel senior, expliquent selon la CFE-CGC le sentiment d’insécurité et la dégradation des conditions de travail.

La survenance de quatre suicides, à l’automne dernier ravive des craintes selon le syndicat, qui note « qu’ils ont lieu dans les périmètres où les réorganisations ont été les plus nombreuses, avec d’ores et déjà, la requalification pour l’un d’entre eux en accident du travail par la CPAM, une première en depuis 13 ans ».

Face à tous ses indicateurs dans le rouge, la fierté d’appartenance à l’opérateur télécoms s’effondre de 19 points en 2024 par rapport à 2021, « comme dans la période Lombard… » se désole la CFE-CGC. « Apportez-nous une réelle stratégie, au lieu de faire des réorganisations à répétition ! s’agace Sébastien Crozier. Les salariés ne se sentent plus reconnus et respectés. La direction a doublé les salaires du haut sans donner 100 % de la part variable à ses employés. » 68 % des répondants estiment en effet leur rémunération insatisfaisante, malgré un chiffre d’affaires d’Orange annuel 2024 en hausse de 1,2 % sur un an, soit de 40 260 millions d’euros, signe de bonne santé pour l’opérateur télécoms en pleine croissance en Afrique et au Moyen-Orient (+770 millions d’euros), mais aussi en France (+79 millions d’euros).

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/cfe-cgc/nous-sommes-de-nouveau-dans-une-crise-sociale-apres-quatre-suicides-a-lautomne-2024-chez-orange-le-pire-est-redoute

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