Nucléaire-L’EPR «n’est pas rentable», tranche la Cour des comptes (Reporterre-15/01/25)

Construction de l’EPR de Flamanville (Manche), en 2022. – © Sameer Al-Doumy / AFP

La Cour des comptes a présenté à la presse un rapport critique sur la « filière EPR », mardi 14 janvier à Paris. Elle prévoit « une rentabilité médiocre » pour l’électricité produite par ce premier EPR sur le sol français.

Par Emilie MASSEMIN.

« Dérives systématiques » des coûts et délais des chantiers, « rentabilité médiocre » de l’EPR de Flamanville, « accumulation de risques et de contraintes [qui] pourraient conduire à un échec du programme EPR2 »… La Cour des comptes a présenté à la presse un rapport salé sur la filière EPR, mardi 14 janvier à Paris.

Elle y livre notamment une nouvelle évaluation à la hausse du coût total de l’EPR de Flamanville, désormais estimé à 20,4 milliards d’euros (en valeur 2015), soit 1,3 milliard de plus que son estimation de 2020. Le devis initial était de 3,3 milliards d’euros, soit six fois moins que ces 20,4 milliards.

Dans leur rapport de 2020, les magistrats de la rue Cambon avaient demandé à EDF de calculer la rentabilité prévisionnelle de l’EPR de Flamanville, ce qu’EDF a refusé de faire « de manière délibérée et persistante ».

La rentabilité de l’EPR de Flamanville atteindrait 2 %

En conséquence, ils ont eux-mêmes sorti les calculatrices. Dans l’hypothèse d’une durée de fonctionnement de soixante ans, d’un facteur de charge (le rapport entre l’énergie effectivement produite et celle qu’elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale) [1] — de 85 % et d’un prix de vente de 90 euros le mégawattheure, la rentabilité de l’EPR de Flamanville atteindrait 2 %.

« C’est inférieur au coût des capitaux qu’EDF a été amené à engager, que ce soit sur fonds propres ou par endettement. Un projet dont la rentabilité est inférieure à son coût d’emprunt, c’est problématique. Ce n’est pas rentable », a tranché un magistrat au cours du point presse. L’EPR de Flamanville a été raccordé au réseau le 21 décembre, avec douze ans de retard.

Lire aussi : L’EPR de Flamanville enfin en route, après 20 ans de déboires

Retards sur les chantiers à l’international

Les projets portés par EDF hors des frontières françaises ne le sont guère plus. Dans leur rapport, les magistrats de la Cour des comptes alertent sur « des dérives systématiques des chantiers en termes de coûts et de délais », qu’ils soient en Chine (Taishan), en Finlande (Olkiluoto) ou en Grande-Bretagne (Hinkley Point et Sizewell). Ils se sont attardés sur le calvaire du chantier des deux EPR d’Hinkley Point, au Royaume-Uni.

« L’estimation du coût à terminaison de Hinkley Point a augmenté de 30 % entre juin 2022 et janvier 2024, pour atteindre entre 31 et 34 milliards d’euros en valeur 2015, a noté Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Par ailleurs, l’objectif de mise en service a de nouveau été repoussé entre 2029 et 2031, après avoir déjà été décalé de 2022 à juin 2027. » Des dérapages qui, couplés au départ du groupe chinois CGN, a amputé de 11,5 milliards d’euros les résultats d’EDF en 2023.

Le chantier britannique de l’EPR de Hinkley Point connaît des déboires. Cette centrale, avec ses deux réacteurs, sera la plus chère jamais construite sur Terre. Wikimedia / CC BY 2.0 / Mark Robinson

En conséquence, la Cour des comptes préconise de « ne pas approuver une décision finale d’investissement d’EDF dans [le projet de nouvelle centrale nucléaire britannique] Sizewell C avant l’obtention d’une réduction significative de son exposition financière dans [la centrale britannique en cours de construction] Hinkley Point C ». Dubitative devant l’acharnement d’EDF à remporter l’appel d’offres pour la construction de quatre réacteurs à Dukovany en République tchèque, elle recommande de « s’assurer que tout nouveau projet international dans le domaine du nucléaire soit générateur de gains chiffrés et ne retarde pas le calendrier du programme EPR2 en France ».

Des financements incertains

Annoncé en 2022 par Emmanuel Macron, ce programme EPR2 français consiste en la construction de trois paires d’EPR « nouvelle génération » à Penly (Seine-Maritime), à Gravelines (Nord) et au Bugey (Ain), éventuellement complétée par quatre autres paires. À peine lancé, il a déjà vu ses coûts prévisionnels dériver.

« En février 2022, le gouvernement a fait état d’un coût de construction de 51,7 milliards d’euros valeur 2020 en scénario médian dit “overnight”, c’est-à-dire hors coûts de financement. L’actualisation du chiffrage présentée en décembre 2023 évoquait un coût de 67,4 milliards d’euros en valeur 2020, soit une augmentation de 30 % à conditions économiques inchangées et hors effet de l’inflation », a noté M. Moscovici, qui parle d’un coût « susceptible de dépasser les 100 milliards d’euros ». EDF devait livrer une nouvelle estimation du coût du projet fin 2024, ce qui n’a pas été fait.

« Retard de conception, absence de devis abouti et de plan de financement »

Déjà, la possible mise en service de la première paire a été repoussée entre 2039 et 2044. Côté financement, c’est le grand flou. Dans l’attente d’un engagement de l’État, EDF a prévu d’abaisser le budget 2025 alloué aux travaux préparatoires de ses six futurs EPR2 de 2 milliards d’euros à 1,1 à 1,3 milliard d’euros, a révélé le quotidien Les Échos.

Pour les magistrats de la rue Cambon, il est urgent… de ne pas se précipiter. « Le programme EPR2 restant marqué par un retard de conception, une absence de devis abouti et de plan de financement alors qu’EDF demeure très fortement endettée », lit-on dans le rapport.

Lire aussi : Budget 2025 : le grand « flou » sur le coût du nucléaire

Dans sa réponse, le ministère de la Transition écologique a approuvé la recommandation de la Cour des comptes de sécuriser le financement des EPR2 avant de prendre la décision finale d’investissement. En revanche, il défend le lancement de projets à l’international : « Il ne faudrait pas qu’EDF, et plus largement la filière industrielle française, se prive d’opportunités à l’export. »

Interrogé par Reporterre, EDF contredit lui aussi la Cour des comptes en assurant que « les perspectives de développement hors de France concourent directement à la compétitivité du programme et permettent des bénéfices pour la construction en série ».

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Source: https://reporterre.net/L-EPR-n-est-pas-rentable-tranche-la-Cour-des-comptes

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