Pour protester contre la réforme des retraites, ils se sont mis en grève pendant des jours ces dernières semaines. Gardien d’immeuble, professeure de français ou encore projectionniste, portraits de ces Rennais mobilisés.
La mobilisation contre la réforme des retraites démarrée en janvier s’est traduite par de grandes journées de manifestations mais aussi par des grèves, menées par les salariés du privé et du public. À Rennes, certains ont dit adieu à près d’un mois de salaire, pour pouvoir participer aux blocages et aux actions menées par les syndicats.
Bastien Vandenbeuck, 36 ans, 17 jours de grève
« Au bout de trois semaines de grève, on commence à faire les comptes », raconte Bastien Vandenbeuck. Et malgré le trou dans ses finances, ce gardien d’immeuble chez Archipel Habitat a continué à se mobiliser. « Le Covid a montré que sans les ouvriers, il n’y a rien qui tourne, et là on nous tape à nouveau sur la tête. Ça s’arrête quand ? », s’indigne ce Nordiste de 36 ans, installé à Rennes depuis 6 ans.
Ancien cuisinier, ayant grandi dans une famille syndiquée, il a pris sa carte chez Force Ouvrière dès son embauche comme gardien d’immeuble en 2017. Désormais délégué syndical dans son entreprise, il avait « le devoir » de se battre contre la réforme des retraites, assure-t-il.
Son salaire atteint les 1 400 € nets, vite engloutis par les 17 jours de grève. « J’ai demandé à ma banque d’étaler mes traites et de suspendre certains remboursements », détaille le trentenaire, qui compte aussi sur le soutien de la caisse de grève de FO. Impossible pour son épouse de se mettre en grève, leurs finances ne le permettent pas. « On a mis les loisirs de côté, on ne partira pas en vacances, explique Bastien Vandenbeuck, mais c’est un sacrifice qui vaut le coup. »
Ces jours de grève, il ne s’agit pas seulement de les encaisser financièrement, il faut aussi tenir physiquement. Car Bastien Vandenbeuck est de tous les blocages, à toute heure, et de toutes les manifestations depuis début mars. C’est pendant sa semaine de congé qu’il a réalisé son extrême fatigue. « L’adrénaline est retombée, j’étais complètement écrasé. »
Il a repris le travail pendant deux jours, avant de se remettre en grève pour la journée du 13 avril. Pas simple de revenir après une si longue absence. « Heureusement ma responsable est compréhensive et les locataires aussi, j’en ai croisé certains dans les cortèges », souligne Bastien. Il a tout de même écrit une lettre ouverte à son comité d’entreprise, pour assurer qu’il ne lâchait ni ses collègues ni son métier malgré la grève.
Justine Marti, 43 ans, 25 jours de grève
« J’attendais que les syndicats fixent la date pour me mettre en grève reconductible » : Justine Marti, professeure de français au collège Les Chalais à Rennes, n’a eu aucune hésitation le 7 mars. « Les manifestations ne suffisent plus. » Elle l’a annoncé à ses élèves le jour même, puis chaque dimanche soir par mail.
Cette ancienne Parisienne sait que, malgré les exercices qu’elle a prévus, son absence va peser pour ses élèves, issus de milieux très modestes. « Entre un trou dans le programme de mes élèves et leur retraite à 64 ans, j’ai choisi le long terme », explique-t-elle.
Secrétaire départementale de Force Ouvrière lycée-collège, elle avait déjà accumulé 24 jours de grève en 2019-2020, lors de la première version de la réforme des retraites. « Les retenues de salaires avaient toutes été prélevées en juillet et août », grimace-t-elle. Deux trous de 800 € dans un salaire de 2 100 € nets. En prévision, elle essaye de se préparer « un coussin pour cet été », sans qu’il y ait eu de discussion approfondie sur le budget familial avec son conjoint.
« Je suis passionnée par mon métier, mais je ne vis pas pour travailler », insiste Justine Mari, avant d’évoquer ses parents, en retraite à 55 ans et en bonne santé. « C’est aussi pour mes élèves que je me bats », poursuit celle qui a passé ses nuits sur les blocages pendant un mois.
Seule limite qu’elle s’est imposée : rentrer chez elle de 18 h à 21 h tous les soirs pour voir sa fille et son compagnon, avant de repartir en action. « C’est cette bulle familiale qui me fait tenir. » La grève reconductible a été levée, Justine Mari a repris le chemin de son collège. Sans exclure de recommencer si l’intersyndicale relance les blocages.
Thibaut Mazière, 33 ans, 10 jours de grève
C’est une première pour Thibaut Mazière. Projectionniste au Théâtre national de Bretagne, il a fait grève pour quasi chaque journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Dix jours pendant lesquels aucun film n’a été montré ni aucun spectacle joué.
« C’est toujours compliqué d’annuler des représentations, surtout avec une programmation engagée », reconnaît le Rennais de 33 ans, syndiqué à la CGT depuis janvier 2023. Cette fois-ci, le coût de la réforme a paru plus important aux salariés que ceux d’une annulation. Thibaut Mazière s’est alors retrouvé à organiser les assemblées générales du TNB et à prendre la parole en public, devant sa direction. « Il y avait une vraie demande de discuter de la mobilisation, de ne pas rester à l’écart. »
Cet apprentissage de la démocratie interne l’a passionné, lui qui avait gravité autour des milieux militants pendant ses études, sans s’engager plus activement. « Depuis janvier, ça me prend tout mon temps et toute mon énergie », note-t-il. Sa semaine de congé va lui permettre de partir se ressourcer sur les sentiers de randonnée.
Quelle que soit l’issue du conflit, cela laissera des traces au sein du TNB, le trentenaire en est persuadé. « Arrêter de travailler c’est très fort : ça montre qu’on ne peut pas se passer de nous, poursuit Thibaut Mazière, alors qu’Emmanuel Macron ne fait que nous mépriser. »
En tant que représentant syndical, il a incité ses collègues à solliciter les caisses de grève pour compléter les revenus amputés par les journées de mobilisation. Mais lui n’ose pas encore y faire appel. Son salaire de 1 650 € nets a été réduit de quelques centaines d’euros. « Je n’ai pas beaucoup de charges, donc en faisant un peu plus attention que d’habitude, j’arrive à m’en sortir », assure-t-il.
Auteur ; Ambre LEFÈVRE.