« On nous oblige à reprendre le travail sous peine de ne plus être payé » : à la RATP, Virgile Vitoux, accidenté non reconnu (H.fr-26/12/24)

Depuis trois mois, Virgile Vitoux a dû reprendre son poste en mi-temps thérapeutique. Après sa tentative de suicide, sa situation s’est enfin améliorée.© Samir Maouche pour l’Humanité

Victime d’une agression à l’épaule en mai 2022, cet agent de nuit dans le réseau de bus Optile a subi une opération. Cette suite à son accident du travail n’est pas reconnue par l’organisme social de la RATP. Il dénonce un harcèlement.

Par Naïm SAKHI.

« Ma connerie. » C’est en ces termes que Virgile Vitoux, en contentieux avec la CCAS (Caisse de coordination aux assurances sociales) de la RATP, évoque pudiquement sa tentative de suicide, le 7 novembre. « Je me suis pris une réflexion d’un collègue : « Tu chiales parce que tu as 1 400 euros de paie. Tu aurais dû recevoir seulement 600 balles et tu viens encore pleurer ! » Ça a déclenché un truc en moi. J’étais en colère. Ou je m’en prenais à moi ou j’allais faire une dinguerie », raconte l’agent de 47 ans, privé de prise en charge par l’organisme qui gère la sécu des agents.

De retour à son domicile, après avoir absorbé deux plaquettes d’Atarax ainsi qu’un flacon complet de Laroxyl, ce père de famille s’écroule sur son lit. « Je suis allé me coucher sans rien dire à ma femme, tout en laissant un message d’excuse auprès de ma famille. J’ai craqué. Mon beau-père est tombé sur mon texte sur Facebook. Il a alerté mon épouse. Mon pronostic vital était engagé. »

Agressé par une personne sous l’emprise du crack

C’est deux années plus tôt que la vie du salarié sous statut de la RATP depuis dix-huit ans a basculé. L’ancien opérateur de maintenance s’était reconverti comme agent d’information voyageurs sur les lignes du bus Noctilien. « Nous affrontons des situations tendues chaque soir. Quand nous ne gérons pas des gens alcoolisés, nous nous occupons des toxicomanes, qui ont parfois une seringue à la main. »

Dans la nuit du 20 mai 2022, une personne sous l’emprise du crack monte dans le bus à place de Clichy et lance alors au conducteur : « Nique ta mère sale bougnoul ! » Puis s’en prend à une femme voilée. « Avec mes collègues, nous intervenons », explique l’agent.

Son collègue antillais est insulté : « Tu n’as pas honte de travailler avec un Blanc ? Tu t’es fait fouetter pendant quatre cents ans par les Blancs ». Virgile Vitoux rétorque : « Tu aurais peut-être dû te faire fouetter, cela t’aurait fait du bien. » La suite ? « Il m’a cartonné à l’épaule. J’ai voulu me protéger. J’ai entendu que ça craquait. » Ses deux autres collègues sont aussi blessés.

Déjà victime d’un accident du travail sur cette même épaule en 2005, il avait dû se résoudre à une première opération en 2020. Deux ans plus tard, il replonge : « Ma prothèse simple n’était plus adaptée. Les ligaments ont été bousillés à la suite de cette altercation. » Le salarié enchaîne alors les examens médicaux, les séances de kiné et la prise d’antidouleurs. Jusqu’au 28 août 2023, date à laquelle Virgile Vitoux doit subir une nouvelle opération et remplacer sa prothèse usagée.

Une reprise forcée trois semaines avant une opération de l’épaule

Les suites logiques de cette altercation ? Pas pour la Caisse de coordination aux assurances sociales (CCAS) de la RATP. Dans un courrier, le 3 août, l’organisme gérant le régime spécial de la sécurité sociale des agents de la RATP « considère que les lésions directement imputables à l’accident entraînent une reprise du travail ». Et ce dès le lendemain.

« Le chirurgien indiquait très clairement qu’il ne pouvait reprendre son poste car, trois semaines plus tard, M. Vitoux était opéré pour se faire remplacer sa prothèse. C’est lunaire », tance son avocat, Me Antoine Lorget. Son client tombe des nues : « J’ai fourni un certificat lors de ce rendez-vous. Mais la médecin conseil de la CCAS, une neurochirurgienne, est allée contre l’avis d’un rhumatologue spécialiste de l’épaule. »

Dans l’obligation de réintégrer son service, Virgile Vitoux, un ligament arraché et craignant une nouvelle agression, dépose des congés payés jusqu’à l’opération. Un appel de la décision de la CCAS est déposé. Mais, dans un courrier du 24 août, l’organisme classe sans suite le recours, constatant une reprise d’activité. « On nous oblige à reprendre le travail sous peine de ne plus être payé. Mais, quand on conteste, on nous explique que le recours n’est pas viable car nous avons réintégré les effectifs », résume, abasourdi, le quadragénaire, reconnu en incapacité permanente partielle de 20 % pour son épaule et de 13 % pour le rachis lombaire.

Absent pour raison médicale lors d’une visite de contrôle, il se voit réclamer un remboursement de ses traitements

Ainsi, des suites de son opération jusqu’en septembre 2024, Virgile Vitoux est contraint de rester en arrêt maladie, tout en perdant plus de 600 euros sur son salaire. Mais les ennuis avec la CCAS ne s’arrêtent pas là : le 20 août, l’agent est absent lors d’un contrôle à son domicile. « J’étais chez mon médecin traitant, document à l’appui », martèle-t-il. Qu’importe. La CCAS requalifie sa situation et la RATP réclame un remboursement des salaires perçus sur une période de trois mois avant le contrôle. « Ce qui n’est pas légal », assure le syndicaliste (FO) qui l’accompagne.

Depuis trois mois, Virgile Vitoux a dû reprendre son poste en mi-temps thérapeutique. Après sa tentative de suicide, sa situation s’est enfin améliorée. « À la suite de l’intervention de mon avocat, la RATP a annulé la dette demandée pour la période avant le contrôle du 20 août. » Surtout, la police a retrouvé l’agresseur, qui a reconnu les faits. Contactées par l’Humanité au sujet de Virgile Vitoux, la CCAS et la RATP n’ont pas donné suite à nos questions.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/accidents-du-travail/on-nous-oblige-a-reprendre-le-travail-sous-peine-de-ne-plus-etre-paye-a-la-ratp-virgile-vitoux-accidente-non-reconnu

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