
Des parlementaires de tous horizons politiques ont déposé des propositions de loi pour mieux protéger les aires marines protégées françaises. Celles-ci sont massivement exploitées par les chaluts industriels.
Par Hortense CHAUVIN.
2025 sera l’année de la mer, a promis Emmanuel Macron. Dans les couloirs des hémicycles, le message du président de la République semble avoir été reçu : depuis le début de l’année, pas moins de trois propositions de loi ont été élaborées par des élus de gauche et de la majorité afin de renforcer l’ambition des aires marines protégées françaises. Ce sursaut législatif pourrait contribuer à mettre cet enjeu sur le devant de la scène avant la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, qui aura lieu à Nice du 9 au 13 juin.
Le député (MoDem) du Morbihan Jimmy Pahun a ouvert le bal fin janvier. Sa proposition de loi « pour une pêche française prospère et durable », renvoyée à la commission des affaires économiques, a été signée par cinquante-sept parlementaires d’horizons divers (EPR, Modem, écologistes, socialistes, insoumis, républicains…) Parmi les nombreuses mesures : préférer la notion de « protection stricte » — qui interdit toutes les activités extractives dans les aires marines protégées — à la nébuleuse « protection forte » — qui n’en interdit formellement aucune — utilisée jusqu’à présent par le gouvernement.
« Si l’on veut gagner quelque chose, c’est maintenant »
La sénatrice (Les Écologistes) et petite-fille de pêcheur breton Mathilde Ollivier a embrayé fin mars, avec une proposition de loi visant à « mieux protéger les écosystèmes marins ». La représentante des Français établis hors de France espère que son texte sera choisi par son groupe pour être examiné le 12 juin, durant la niche parlementaire écologiste. Le calendrier serait idéal, en pleine conférence de Nice. « C’est un moment politique important, dit-elle à Reporterre. Si l’on veut gagner quelque chose, c’est maintenant. »
Seulement 0,1 % des eaux réellement protégées
Le premier article de son texte vise à couvrir 30 % des eaux françaises par un « réseau cohérent d’aires protégées », tel que le recommandent les scientifiques. Au moins un tiers de ces aires devraient être interdites à la pêche, recommande la sénatrice. Ces fermetures, lorsqu’elles sont respectées, ont des effets spectaculaires sur la biodiversité marine. Le voisinage de ces zones intégralement protégées serait réservé aux pêcheurs artisans, afin qu’ils puissent profiter de l’augmentation de la biomasse.
L’adoption d’une telle mesure serait une immense avancée. Alors que le gouvernement se vante de protéger plus de 33 % de son espace maritime, les activités extractives ne sont en réalité prohibées que dans 0,1 % des eaux métropolitaines. La pêche industrielle est autorisée dans l’immense majorité des zones dites « protégées », ce qui réduit leur efficacité à néant.
« La littérature scientifique est claire : si l’on veut des effets importants en termes de biodiversité, d’accroissement de la densité et de la taille des poissons, il faut de la protection stricte », dit à Reporterre Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’institut Agro Rennes-Angers.
Pratiques destructrices massivement subventionnées
Mathilde Ollivier propose également d’interdire aux bateaux de pêche de plus de 25 mètres de long d’approcher à moins de 12 milles nautiques (20 kilomètres) des côtes, et de favoriser une transition des navires pratiquant le chalut de fond vers d’autres techniques moins destructrices. Scientifiques et ONG reprochent à cette pratique, qui consiste à traîner de larges filets sur le plancher océanique, d’être non sélective, énergivore, de raser les forêts marines et de relarguer dans l’atmosphère les millions de tonnes de CO2 piégées dans les sédiments marins. Le tout, facilité par un système de subventions massives.
La députée (La France insoumise) du Val-de-Marne Clémence Guetté a rejoint le mouvement le 1er avril. Le seul et unique article de sa proposition a pour objectif d’interdire tous les chaluts, de fond comme pélagiques (c’est-à-dire traînant leurs filets en pleines eaux) dans les aires marines protégées. Elle espère le mettre à l’ordre du jour dans une des prochaines semaines transpartisanes de l’Assemblée, quand des textes d’élus de tous bords sont examinés.
« Ne pas se contenter de dire qu’il faut protéger les océans, mais prendre des dispositifs concrets pour le faire »
Avec ce texte, elle espère contribuer à « mettre la pression » sur le gouvernement, dans la foulée des associations (Bloom, Oceana, Tara…) également très mobilisées sur ce sujet. L’idée : « Faire en sorte qu’on ne se contente pas de dire qu’il faut protéger les océans au sommet de Nice, mais qu’on prenne des dispositifs concrets pour le faire. »
Compte tenu des équilibres politiques actuels, le chemin législatif de ces textes s’annonce ardu. « J’ai très peu d’espoir que ces propositions puissent passer, particulièrement au Sénat, dont la composition n’est pas la plus favorable au vote d’une telle proposition », regrette Gauthier Carle, directeur général adjoint de la Plateforme Océan et Climat. Elles ont au moins le mérite de mettre en lumière cet enjeu, relève-t-il : « Il faut saluer le courage de ceux qui les portent. Elles montrent que la prise de conscience n’est plus uniquement de la société civile et des scientifiques, mais que des élus aussi veulent faire bouger les choses. »
Le gouvernement y semble pour le moment peu disposé. Le 21 mars, le cabinet de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, prônait une interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées « au cas par cas ». Lors du sommet SOS Océan qui s’est tenu à Paris les 30 et 31 mars, Emmanuel Macron a confirmé cette stratégie, en annonçant vouloir renforcer le niveau de protection de seulement « certaines » aires marines protégées françaises, afin de mieux encadrer « certaines » activités humaines.
Autrement dit : poursuivre le statu quo, dénonce Swann Bommier, responsable du plaidoyer au sein de l’association Bloom. « On est en train de reproduire la recette du désastre. La France refuse de lâcher le lobby du chalut. Il y a une incohérence complète entre l’action et la responsabilité [du pays], qui est quand même la première puissance maritime européenne et deuxième puissance maritime mondiale. »
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