Pêche. Les défis de demain, sources d’inquiétude pour les armateurs bigoudens ( OF.fr-4/02/23)

Ludovic Le Lay, directeur de l’armement Hent ar Bugale, de Loctudy ; et Christophe Collin, directeur de l’Armement bigouden, basé au Guilvinec.

Inflation, crise du gazole, décisions européennes, Brexit, prix du poisson… À l’heure du plan de sortie de flotte, la pêche semble en pleine mutation. Dans le pays bigouden, en Finistère, deux armateurs expriment leurs inquiétudes face aux défis qui les attendent dans les mois à venir.

« Le plan de sortie de flotte n’est pas notre principal souci… » Alors que ce plan post-Brexit, prévu par le gouvernement, suscite de vives inquiétudes dans le pays bigouden avec la possible sortie d’une vingtaine de bateaux, des armateurs du Finistère font le point sur la période critique que traverse la pêche.

Comme ailleurs, la filière n’est pas épargnée par les effets de l’inflation. Outre le gazole, Christophe Collin, directeur de l’armement bigouden au Guilvinec, et Ludovic Le Lay, de l’armement Hent ar bugale à Loctudy, notent « l’augmentation des prix du matériel de pêche : 30 à 40 % sur les éléments de chaluts, les huiles qui doublent, les assurances et les taxes de criées qui gonflent… »

Des surcoûts qui ne se répercutent pas à la vente

« On n’a aucun moyen de répercuter ces surcoûts qui pèsent lourd sur nos trésoreries en ce moment », lâche Ludovic Le Lay. En effet, il faut savoir que les marins-pêcheurs ne peuvent pas fixer le prix des produits qu’ils ramènent de leurs marées : ils sont vendus aux enchères sous les criées.

Dans ses bureaux du Guilvinec, Christophe Collin regarde les chiffres des dernières ventes sous criée : « Les valeurs ne sont pas franchement hautes. Le prix moyen est autour 3,25 € du kilo. »

Des bateaux à quai ?

S’ajoute à ces augmentations celle du carburant marin qui dure depuis plusieurs mois déjà. C’est d’ailleurs l’inquiétude majeure des deux hommes : « À court terme, sincèrement, il est possible que certains bateaux restent à quai… », prédisent-ils. Ne plus sortir pêcher ? Un cauchemar pour les armateurs.

Ils regrettent que les aides de l’État soient plafonnées par société, et pas par bateau : « Pour ceux qui n’ont qu’un bateau, les aides sont convenables. Mais nous qui en avons une dizaine, on a déjà consommé toutes ces aides, dont on attend encore une partie du versement », relève Christophe Collin. D’autant que les modalités de la poursuite des compensations n’est pas encore clairement établie.

Plan de sortie de flotte

Bien sûr, le plan de sortie de flotte post-Brexit – nommé Plan d’accompagnement individuel (PAI) par l’État – fait partie des discussions actuelles pour ces deux armateurs. Ludovic Le Lay et Christophe Collin envisagent de sortir deux bateaux dans leurs armements respectifs. À l’Armement bigouden, on réfléchit encore : « Si on met des bateaux dans ce plan, l’État nous oblige en retour à limiter très fortement nos investissements. »

Dans le quartier maritime du Guilvinec, 26 bateaux sont éligibles au plan de sortie de flotte post-Brexit.

À leurs dires, ce plan de sortie inquiète beaucoup les filières amont et aval. La perte d’une vingtaine de bateaux sur le quartier maritime du Guilvinec, « ça touchera forcément les métiers de la peinture, de l’électrotechnique, du froid, des chantiers navals, de l’informatique… J’ai encore eu des coups de fil, ce matin, de mareyeurs et de transporteurs très inquiets », relate Christophe Collin.

Décarboner la pêche

Autre objectif et pas des moindres, celui de la décarbonation. Essentiel au vu des prix du gazole, mais également pour les enjeux climatiques et environnementaux à venir. Au Guilvinec, un seul chalutier – le Blue Wave de Jean-Baptiste Goulard – est équipé d’un moteur diesel-électrique, qui permet jusqu’à 30 % d’économies de carburant.

Pour Christophe Collin et Ludovic Le Lay, ce défi « est important ! Et o n voit que l’État commence à mettre beaucoup d’argent sur la table », assure Christophe Collin.

Mais pour l’instant, « la filière est dans un entre-deux. On n’a pas encore les solutions. Quand on les aura, il faudra du temps pour les mettre en œuvre et sans doute des bateaux plus grands. Il sera nécessaire de revoir toute la réglementation », précisent les armateurs.

Le chatutier Blue Wave, équipé d’une motorisation diesel-électrique.

Aires marines protégées et chalut de fond

Les marins-pêcheurs se préparent aussi à une nouvelle échéance, pouvant s’avérer être un cap difficile à franchir : une potentielle interdiction de pêche au chalut de fond dans toutes les aires marines protégées à l’horizon 2030. Or ces dernières sont très nombreuses sur la façade Atlantique, et notamment autour de la Bretagne. Ce projet pourrait être mis sur la table très prochainement par la Commission européenne, dans le cadre de ses objectifs de restauration des écosystèmes marins.

Les armateurs sont fermement opposés à ce projet : « Ça signerait la fin de milliers d’emplois. Si ça se fait, on peut déjà fermer toutes les criées et toutes les écoles. Chez nous, la pêche au chalut est largement majoritaire ! Et vu toutes les zones concernées par ces aires marines protégées, il ne nous resterait que peu d’endroits où travailler et qui concentreraient tous les efforts de pêche », craint Christophe Collin. Cette décision, si elle est prise en l’état, devrait mener très rapidement à une profonde mutation de la filière pêche.

Emplois sur le territoire

Dans ces conditions, la question vaut d’être posée : à quoi bon continuer ? « On parle d’entreprises, d’emplois, de territoire. La pêche est très très importante dans l’économie du P ays bigouden », lance Christophe Collin, qui va jusqu’à évoquer une « obligation sociale. » Avec Ludovic Le Lay, face à « l’indifférence » qu’ils disent ressentir, ils souhaitent « une réaction forte et collective, de tout le monde, pour sauvegarder l’économie et le social sur notre secteur. »

« Il y a du poisson ! »

Tout de même, les deux hommes voient une note positive : « Il y a du poisson ! Et ça, on peut s’en réjouir. » La ressource semble présente : « Il y a beaucoup d’espèces sur lesquelles on ne consomme même pas tous les quotas », assure Ludovic Le Lay.

La présence de ces eaux poissonneuses, Christophe Collin y voit aussi une preuve que « nous avons su nous adapter, gérer correctement les stocks. Parfois, il a fallu serrer les dents. Mais, aujourd’hui, il y a même des quotas que l’on rouvre sur certaines espèces. Ça veut dire que notre travail a payé et qu’on sait faire les choses correctement. Il faut nous faire confiance ! »

Anaëlle BERRE

source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/finistere/finistere-les-armateurs-bigoudens-en-proie-a-l-incertitude-19abb29a-a4a5-11ed-a4ac-e012d03fbe57

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