Pensée critique : Trump en Amérique latine. (Investig’Action – 04/06/25)

Par Claudio Katz

Trump prétend donner plus d’importance aux capitalistes des Etats-Unis, grâce à un dur paquet de sanctions, de droits de douanes et de chantages. Grâce à ces exigences, il espère revitaliser un empire affaibli.

Dans répartition des impôts, l’Europe devrait offrir son industrie, la Russie limiter son développement, l’Asie se passer de son autonomie financière et la Chine renoncer à son expansion. A l’Amérique latine, il reviendrait de remettre toutes ses ressources au maître du Nord.

Pour renforcer ses demandes, Trump émet des commentaires désobligeants et menaçants. Il affirme que les Etats-Unis doivent faire contrepoids à la pénalisation qu’ils subissent de la part de l’Amérique latine. Il expose cette idiotie en proclamant que son pays « n’a pas besoin » du reste du continent et peut se passer d’avoir des relations avec ses voisins.

Avec cette arrogance, il couvre le fait que l’impérialisme étasunien confisque depuis plus d’un siècle les richesses de la région. Il se pose en bienfaiteur qui peut abandonner ses auxiliaires, alors que dans les faits, c’est le contraire.

Washington a besoin de réaffirmer sa domination sur l’Amérique latine pour récupérer sa primauté dans le monde. Inutile d’aller plus loin, la région est un laboratoire du contrôle mondiale que Trump souhaite pour les puissants de son pays.

Déplacer la Chine sans rien donner

L’Amérique latine est le champ de bataille immédiat de l’affrontement avec la Chine. Trump cherche à freiner l’impressionnante expansion que le géant asiatique a réalisé pendant ces vingt dernières années. Alors que la participation chinoise au commerce extérieur de la région est passée de 3,7 % (2001) à 16% (2020), la part des États-Unis est passée de 49,7 % à 37,4%. Le volume des transactions avec le géant oriental a explosé en passant de 18 à 450 milliards de dollars.

Ce saut correspond à l’impétueuse avancée de la Route de la Soie, que 21 des 33 pays de cette zone ont rejoint face à une stagnation totale du projet rival « America Crece Program ».

Le marché chinois est devenu la principale destination des exportations de pays comme le Chili, le Pérou ou le Brésil qui, il y a quelques années, avait un flux commercial privilégié avec l’Amérique du nord.

Les Etats-Unis ont fini par être dépassé dans la course à la suprématie du libre commerce. D’abord, les accords souscrits par Washington, avec la Colombie, le Panama, le Pérou, la République dominicaine et le Mexique n’ont pas dissuadé le Chili, Costa Rica et le Pérou de signer des accords avec Pékin. Par ailleurs, l’alliance du Pacifique elle-même – qui devait forger un axe prometteur avec la côte ouest de la première puissance – a fini par être absorbé par la puissance océanique de la Chine. Le mondialisme occidental a perdu tant d’énergie que finalement, les États-Unis ont dû abandonner le multilatéralisme qui avait précédé le second mandat de Trump. 1

Les atterrissages les plus récents du concurrent oriental sont fracassants. La principale usine de voitures électriques chinoises au Brésil (BYD) est situé sur un terrain qui appartenait précédemment à Ford. Les équipementiers automobiles se répandent avec la même intensité, et les huit entreprises asiatiques installées en 2018 sont devenus 20 en 2023.

Le port le plus important d’Amérique du Sud (Chancay) a été construit récemment au Pérou par une compagnie chinoise qui le gère. Cette inauguration intensifiera la connectivité maritime avec la puissance orientale dont la présence a doublé dans l’activité portuaire avec plus d’une centaine de projets en cours à l’échelle internationale. Les plans d’infrastructures les plus dynamiques des autres pays – comme le métro de Bogota – sont également aux mains d’entreprises asiatiques.

18 décembre 2024 : Le « Xin Shanghai » est arrivé au port de Yangshan à Shanghai après un voyage de 23 jours depuis le port de Chancay au Pérou, marquant le premier voyage officiel entre les deux ports (AFP)

Face à une telle primauté, Trump tente d’expulser la Chine de la région. Ses fonctionnaires expliquent la colère du magnat par la faiblesse dont a fait preuve jusqu’à présent la Maison Blanche pour concrétiser ce déplacement.

Mais dans les couloirs de Washington, beaucoup regardent cette offensive avec méfiance et crainte. Il rappelle que la première présidence du potentat a finalement débouché sur une présence chinoise plus importante en Amérique latine. Le contraste aigu entre l’égoïsme de Trump et l’altruisme de Xi Jing Ping pendant le COVID a accentué ce résultat. Alors que le président asiatique se rendait six fois dans la région, son homologue étasunien n’y a réalisé aucune tournée significative. 2

Ces différences de comportements sont visibles dans tous les domaines de l’économie. Face à chaque sanction protectionniste que prend Trump, son collègue chinois offre plus de crédit et d’investissement. Le magnat a recourt aux pressions, aux exigences et aux menaces face à la pléiade d’affaires que propose son rival. Beaucoup d’analystes de l’environnement impérial eux-mêmes reconnaissent qu’il est impossible de gagner la bataille contre la Chine dans ces conditions.

Offensive au Panama

Trump a lancé un intense programme d’éviction de son adversaire en échange de rien. Il a lancé un ultimatum aux gouvernements de la région pour qu’ils prennent parti en faveur de l’une ou l’autre puissance et a inauguré cette offensive avec le Panama.

Il a annoncé sans aucune diplomatie qu’il souhaitait récupérer la gestion étasunienne du canal, en reprenant la vieille objection de Reagan à la perte de ce contrôle. Il a répété l’argument ridicule que ce pays est devenu une colonie de la Chine alors que sa politique étrangère est totalement subordonnée au département d’État, en particulier, lors des votes à l’ONU et à l’OEA. 3

Après une visite cinglante de ses deux alliés (Marco Rubio et Pete Hegseth) dans l’isthme, Trump a imposé la signature d’un protocole d’accord, qui facilite la reconstruction de trois bases militaires du Pentagone sur les rives du canal. Il y a également imposé le libre passage de sa marine et l’accueil des migrants expulsés des Etats-Unis.

En un temps record, le Panama est devenu le premier pays d’Amérique latine à annoncer son retrait de la Route de la Soie et le gel de ses relations économiques avec la Chine. Pour imposer cette soumission, Trump a invoqué la « menace à la sécurité régionale » que représente la gestion par la Chine de 2 des 5 terminaux du canal. Il a exigé un audit pour annuler cette concession et a appuyé son transfert éventuel à des compagnies contrôlées par les financiers de Blackrock. 4

L’objectif immédiat du magnat est de couper de façon drastique l’autonomie de la bourgeoisie locale qui a utilisé les revenus du canal pour leurs propres affaires. Alors qu’en 90 ans d’administration américaine, le Panama n’a reçu que 1,8 milliards de dollars, au cours des 25 dernières années de sa propre administration, il en a obtenu 28 milliards. 5 Grâce à cette somme, le PIB a fait un grand saut et la bureaucratie commerciale du pays a augmenté significativement sa fortune.

Trump a imposé toutes ses demandes au craintif gouvernement de Mulino. Grâce à cette réussite, il espère créer un précédent face au projets autonomes de connexion de l’Atlantique au Pacifique qui sont en cours d’évaluation au Mexique, au Costa Rica, au Nicaragua et au Brésil. Par son action rapide, il a également envoyé un message ferme au Danemark pour qu’il accepte de lui remettre le Groenland.

La soumission de l’Argentine

L’attaque contre la Chine explique aussi le second sauvetage financier que Trump a mis en place pour un second gouvernement de droite en Argentine. En 2018, le magnat a incité la FMI à accorder un prêt d’un montant sans précédent à son allié Macri, violant toutes les règles de sauvegarde de cette organisation. Avec cette aide, il a tenté de faciliter la réélection mal engagée de son associé.

Sept ans plus tard, Trump répète le même sauvetage pour secourir son vassal Milei face à un éventuel effondrement des banques. À nouveau, le FMI agit comme une courroie de transmission du département d’État et accorde un prêt d’urgence qui viole les règles de cette institution. Il concerne un chiffre 1300 % supérieur à la quote-part de l’Argentine dans l’organisation et aggrave la position dangereuse de ce pays en tant que principal débiteur du FMI ( plus de 30% de son portefeuille). Le caractère arbitraire de cette ligne de crédit accordée à un débiteur insolvable – qui ne respecte jamais ses paiements – est énorme. Ignorant ce contexte, l’agence a accordé un autre prêt, avec des avances de fonds sans précédent. 6

Le FMI a obtenu en échange un plus grand contrôle sur l’Argentine et un pouvoir explicite de véto face à tout événement économique imprévu. Il a obtenu que Milei donne la priorité absolue au paiement de la dette auprès de l’agence, sur toute autre dépense. Il a aussi validé les investissements spéculatifs à court terme qui prédominent dans ce pays, pour profiter de l’énorme rendement des obligations en pesos. Ces opérations débouchent habituellement sur des effondrements périodiques qui obligent à un refinancement ultérieur de la gigantesque dette publique. 7

Trump réédite ces incohérences à outrance pour soumettre stratégiquement l’Argentine au-delà de ce qui se passe avec Milei. Par ce contrôle, il espère éloigner la Chine. Son secrétaire au trésor, Scott Bessent n’a pas dissimulé cet objectif en dénonçant avec un grand cynisme le « financement prédateur » que Pékin impose au débiteur argentin sans défense. Il a omis de dire que le lien historique avec la domination yankee et la soumission immédiate au FMI dépassent de loin les obligations en cours avec la Chine.

Un autre fonctionnaire de la Maison-Blanche, Mauricio Claver Carone a directement exigé l’annulation de l’important crédit (swap) que la Chine a accordé à l’Argentine. Ces revenus ont été intégrés à la Banque centrale en tant que pilier des réserves. Les porte paroles de Trump n’ont pas été plus exigeants parce qu’ils savent que le pays manque de devise étrangères pour se débarrasser de ce passif. Ils ont abandonné ce chantage pour élever le ton de leurs exigences dans d’autres domaines.

Trump réclame l’annulation de tous les engagements d’investissement signé avec la Chine, pour construire des centrales hydroélectriques, des usines nucléaires et des ports. Il cherche à expulser son rival de la fourniture des réseaux numériques 5G, dans l’exploitation du lithium et dans le contrôle des entreprises agroalimentaires du littoral. Il exige aussi l’abandon de la Route de la Soie que l’Argentine avait formellement intégrée à son programme sous le gouvernement précédent. 8

Le président argentin Javier Milei (à gauche) s’entretenant avec le président américain Donald, le 22 février 2025 (AFP)

Milei fait preuve d’une grande diligence face aux demandes de son client. Il l’a démontré en rejetant l’intégration du pays dans les BRICS. Mais comme pour le swap chinois, l’acceptation des exigences yankees conduirait l’Argentine à la ruine car Trump n’offre aucune sorte de compensation. Sans le crédit de Pékin, le pays entrerait en cessation de paiement, et sans ses investissements, la stagnation économique serait plus grande.

La Chine est actuellement le second partenaire commercial de l’Argentine (après le Brésil) et le principal acheteur des exportations agricoles. Si le pays renonce à ce marché, il perdra ses débouchés. Les Etats-Unis exportent les mêmes produits que son vassal du cône sud et conserve avec l’Argentine une vieille relation de complémentarité compétitive.

Plus Milei a de bons échanges avec son chef de la Maison-Blanche, plus le naufrage économique sera grand. L’Argentine a été soumise à un système d’aspiration de la rente agro-énergétique, afin de générer des dollars pour le paiement de la dette. Ce mécanisme renforce la mise à disposition des ressources naturelles, sans pour autant éliminer les explosions financières périodiques. Cette contradiction illustre les énormes revers introduits par la politique de Trump.

La domination du dollar

La reconquête de l’Amérique latine par les Etats-Unis exige la poursuite du règne du dollar. Toute dérive de cette domination porterait un coup mortel au projet de suprématie de Washington sur le continent.

Trump sait que la principale menace à cette prépondérance est la dédollarisation que les BRICS soutiennent prudemment dans l’immédiat mais envisage de manière ferme à long terme.

Pour cette raison, la Maison Blanche exige le rejet catégorique de cette voie et la permanence inconditionnelle de l’Amérique latine dans la zone dollar. Comme les hésitations du Brésil sont sa principale préoccupation, Trump lance des séries d’avertissements pour les dissiper.

Ces dernières années, Lula a soutenu des initiatives internationales visant à créer des monnaies alternatives au dollar et a favorisé ces essais dans le commerce avec la région. Il a soutenu ces initiatives dissidentes avec d’autres présidents progressistes – comme Lopez Obrador – qui considéraient l’abandon de la monnaie yankee comme irréalisable (ou peu pratique). Lors de son second mandat, Trump exige une loyauté explicite envers le dollar, ce que Lula n’accepte pas.

La dollarisation des économies de la région est le mécanisme le plus radical pour assurer la domination de la monnaie de l’empire, mais cette modalité ne s’applique que dans des petits pays comme le Panama le Salvador ou l’Equateur et n’est pas viable en tant que politique générale à cause des coûts qu’impliquerait pour Washington cette conversion monétaire. Les pays perdaient leur dernier vestige d’autonomie, mais le trésor yankee serait obligé de les soutenir face à tout dérapage comme s’ils n’étaient qu’un autre état de l’union nord-américaine.

Le dollar agit de fait depuis longtemps comme refuge dans les situations critiques de la zone. Il s’est imposé comme pilier bimonétaire pour des nations affectées par une inflation incontrôlée et la destruction de la monnaie locale qui en résulte. C’est ce qui s’est passé au Vénézuela ces dernières années et il se comporte comme une donnée structurelle de l’économie argentine.

Les tendances de ce dernier pays vers une dollarisation réapparaissent périodiquement comme une possibilité correctrice à la destruction systématique du peso. Ce changement d’étalon monétaire a été une bannière électorale pour Milei qui a promis de radicaliser l’expérience, déjà testée avec la convertibilité des années 90.

Le trumpisme envisage cette option, considérant la façon dont elle a facilité la soumission stratégique de l’Equateur à l’empire. La dollarisation a permis un ancrage économique qui n’a pas pu être supprimé sous la présidence de Correa. Ce lien a récemment été utilisé par Noboa lors de la campagne électorale pour discréditer son adversaire avec la chantage du chaos inflationniste qui suivrait l’abandon de la dollarisation.

L’économie argentine a une autre dimension et il n’y a pas de précédent international à la suppression d’une monnaie nationale dans les pays de taille moyenne, avec un certain développement industriel et de vastes marchés intérieurs. L’opération qu’exigeait une dollarisation dans ce pays aurait une échelle inédite qu’imagine Milei. C’est pourquoi son plan d’ajustement comprend la réduction de la quantité de pesos en circulation et la légalisation de toutes les transactions en dollars. Depuis le début de son mandat, il a encouragé un taux de change qui renforce la centralité de cette monnaie, rendant la vie quotidienne plus chère, affectant les exportations et démolissant la production.

Vue aérienne de l’usine d’extraction de lithium Eramine à Salar Centenario Ratones dans la province de Salta, en Argentine (AFP)

Trump utilise aussi ses laquais en Amérique latine pour expérimenter la viabilité de nouvelles opérations risquées avec des monnaies digitales. Il s’est lancé dans l’expansion de ces instruments, pour soutenir la reprise hégémonique du dollar. C’est pourquoi il encourage les essais dangereux de spéculation financière avec cryptomonnaies.

Le Salvador a été le champ d’exploration le plus extrême de ses aventures depuis que Bukele a fait du bitcoin la monnaie officielle du pays. Par cette initiative, il a ouvert une zone de test financier pour évaluer ce qui arriverait avec un dollar numérique. Mais sa tentative de déprécier le commerce des transferts de fonds, qui se chiffre en millions, avec cet instrument s’est heurtée aux propriétaires de ce circuit et le bitcoin a été suspendu en tant que nouveau billet de banque dans le pays.

Milei a essayé autre chose dans la même tendance avec son aventure ratée d’un shitcoin baptisé de son nom (Libra). Il cherchait à accroître son enrichissement personnel, à financer la prochaine campagne électorale et à démontrer comment il pouvait collecter avec son propre tampon les dollars que l’économie n’a pas.

Mais il a fini par gérer une escroquerie pyramidale typique qui a débouché sur un scandale avec des victimes et des affaires judiciaires dans plusieurs pays. Personne ne sait encore si le président anarco-capitaliste a été l’escroc ou l’escroqué mais dans les 2 cas son image a été sérieusement écornée par cette fraude. Ce qui est indiscutable c’est la façon dont Trump utilise ses vassaux pour des expérimentations qui font couler toute la région. 9

L’appropriation des matières premières

Les ressources naturelles de l’Amérique sont le principal appétit de la Maison-Blanche. Pour récupérer sa primauté sur le monde, l’empire décadent a besoin de gérer cette manne. La région héberge un butin très disputé. Avec 7% de la population mondiale elle dispose de 42 à 45% de l’eau douce, de la moitié de la biodiversité et des réserves incommensurables de pétrole, de gaz et de minerais. Elle possède 48% des réserves de lithium, 36% de réserves de cuivre, 34,5% des réserves d’argent et de 16,7% des terres rares. 10

Cette variété d’intrants est indispensable pour les chaînes de valeur. Ces circuits demandent une quantité de produits que très peu de zones peuvent fournir comme le fait l’Amérique latine. La proximité géographique de ces ressources encourage tous les projets d’appropriation de l’impérialisme des Etats-Unis.

Comme on l’a vu en Ukraine, Trump veut effectuer cette capture sans demi-mesure. Là, il a inventé une dette de 500 milliards de dollars pour exiger qu’on lui remette les terres rares en échange de rien. Cette exigence a renforcé le mauvais traitement et le court-circuit qui s’en est suivi avec son laquais Zelensky. Le magnat veut déployer la même arrogance dans ses relations avec l’Amérique latine.

Egalement sur ce terrain, l’Argentine donne un avant-gout de la confiscation. Milei a fait voter une loi au congrès intitulé RIGI qui donne la voix libre aux entreprises étrangères pour s’approprier les minéraux, le combustible et le lithium. Ainsi le pays deviendra une enclave soumise à l’extractivisme et à une régression vers une production primaire.

Ce modèle exige que l’on accélère la privatisation des entreprises rentables avec des améliorations financées par des dépenses publiques (comme le transport ferroviaire de marchandises). Il s’agit également de la mise en place du circuit stratégique de navigation, pour faciliter la sortie des exportations (voie navigable). Les grandes entreprises étrangères ont ciblé les secteurs les plus lucratifs de l’agro-industrie.

Dans les négociations en cours, Trump exige un favoritisme pour les entreprises étasuniennes. Il vise à écrémer ce qui en jeux pour ses partenaires directs (lithium et communication pour Elon Musk).  C’est pourquoi le lobby de l’ambassade yankee (AmCham) exerce un contrôle quotidien sur les décrets du pouvoir exécutif, les projets du Parlement et les décisions de justice.

Mais chaque nouveau pas du potentat peut générer un conflit potentiel avec ses propres associés ou vassaux. D’une part, il convoite la majeure partie de la production du pétrole et du gaz de l’Argentine, qui a acquis une importance régionale avec la découverte et l’exploitation des gisements de « Vaca Muerta » (Patagonie). Mais cela encourage également une augmentation folle de l’extraction du pétrole brut, qui sature l’offre en carburant, affectant la rentabilité des bassins non conventionnels du Cône Sud.

Le pillage de l’Argentine encouragé par le tandem Trump-Milei endette et dégrade le pays à tel point que les investisseurs étrangers eux-mêmes prennent leurs distances par rapport aux affaires en jeu. C’est pourquoi les compagnies yankees privilégiées ont tendance à opter pour d’autres localisations pour leurs projets stratégiques. 11

Remodelage commercial

Trump utilise les droits de douane comme instrument de pression. Dans ce but, il proclame que les USA sont affectés par des inégalités dans le commerce qui les obligent à recourir au mécanisme correcteur des droits de douane.

Il a recours à cet argument absurde pour décharger sa colère protectionniste sur le Mexique en accusant ce pays d’être à l’origine des adversités auxquelles est confronté le colosse du Nord.

Le voisin du Rio Bravo accapare 69% du commerce des USA avec l’Amérique latine, suivi de très loin par le Brésil avec 7,4% alors que l’Argentine ne représente que 1,3 % de ces échanges.

Le déséquilibre entre les USA et le Mexique s’est effectivement emballé ces dernières années, jusqu’à atteindre en 2024 un pic de 171 800 millions de dollars, ce qui a établi un nouveau record avec une augmentation de 12,7% par rapport à l’année précédente. 12

Manifestation contre la visite du secrétaire d’État américain Marco Rubio à Panama City, le 1er février 2025. (AFP)

Mais Trump omet que le Mexique n’a aucune responsabilité dans un déséquilibre auto-généré par les entreprises américaines. Ces compagnies localisent leurs productions dans des « maquilas » (usines qui se situent à la frontière nord du Mexique et qui assemblent à bas coût des produits d’exportation) pour s’enrichir avec une main d’œuvre bon marché. Il est totalement incorrect de rendre responsable le voisin du déficit créé par les entreprises yankees. 13

Ce récit ne tient pas compte du fait que le déficit tant décrié est un mirage statistique. Il comptabilise comme des ventes mexicaines les produits réexportés après assemblage avec des intrants importés. Ces marchandises ne font que traverser la frontière dans la dynamique des chaines de fabrication mondialisées contrôlées par les entreprises yankees. 14

La dénonciation du déficit est mise en avant par Trump pour introduire des modifications à l’accord de libre-échange, afin de renforcer la primauté des États-Unis sur leurs concurrents.

C’était le but de la renégociation qu’il a amorcée lors de son premier mandat, initiant le passage de l’ALENA à l’ACEUM. Par ce changement, il a imposé de nouveaux privilèges pour les entreprises de son pays et a tenté de bloquer l’entrée des produits allemands et japonais sur le marché du Nord. Il a mis en place ce verrou en renforçant les « règles d’origine », le « acheter étasunien » (buy American) et les droits de propriété intellectuelle revendiqués par les entreprises automobiles, sidérurgiques et numériques.

Mais aucun de ses garrots n’a tempéré les déséquilibres de la balance commerciale ni l’incursion agressive de rivaux étrangers. Les maigres rendements obtenus avec le protectionnisme du premier Trump n’ont d’ailleurs pas compensé la perte continue d’espace au profit de Pékin sur l’ensemble du continent.

Pour contrecarrer ce maigre résultat, le second Trump fait monter les enchères avec des menaces de droits de douane de 25 % si l’ACEUM n’est pas adapté aux nouvelles exigences de la Maison Blanche. Le magnat cherche à créer un précédent pour la révision d’autres accords.

Les mesures imposées à l’Amérique du Sud sont conçues comme une mesure postérieure, moins importante que la mise au pas prioritaire du Mexique. C’est pourquoi Trump a instauré des droits de douane négociables de 10 % pour le reste du continent.

Les tensions avec le Brésil se limitent à quelques secteurs comme l’acier et l’aluminium, que Lula tente de neutraliser avec la dévaluation du réal. Le même conflit sur les intrants sidérurgiques s’étend à l’Argentine. Dans ce cas, la dévotion de Milei n’a pas tempéré la dureté du magnat.

Le premier Trump était déjà impitoyable avec Macri, en augmentant les droits de douane sur les exportations argentines de biodiesel, de citrons et d’aluminium. Le pays a également été inscrit sur la liste noire des contrevenants à la propriété intellectuelle et cette sanction est répétée avec la même virulence aujourd’hui.

Le magnat parie sur la fracture et l’extinction du MERCOSUR. Le démantèlement de l’union douanière sud-américaine ouvrirait toutes les vannes à une invasion des importations étrangères, que Trump espère diriger en faveur des États-Unis en interdisant la présence chinoise.

Le potentat a déjà envoyé Milei au Paraguay pour coordonner les deux Présidents qui attaqueront le MERCOSUR en mettant en avant comme contrepartie la fable d’un accord commercial avec Washington. Dans le contexte d’un protectionnisme brutal parrainé par Trump ces traités sont de la poudre aux yeux.

L’incertitude de la refonte industrielle

Avec son protectionnisme Trump cherche à freiner la pénétration croissante de la Chine à l’intérieur des circuits de l’ACEUM. Cette avancée est très visible dans la fourniture de matières premières aux principales entreprises yankees. Pékin utilise toutes les subtilités de ce traité pour multiplier la prééminence de ses produits.

Dans les exportations mexicaines vers les États-Unis, le pourcentage de composants chinois a considérablement augmenté, et cette expansion ne provient pas des fraudes dénoncées par les trumpistes, mais de la plus grande productivité des fournisseurs orientaux.

Les constructeurs asiatiques ont également augmenté leurs investissements au Mexique et ont réalisé 77 % de l’ensemble de leurs placements entre 2018 et 2024, notamment dans le secteur stratégique de l’automobile.

Pour la prochaine révision de l’ACEUM, Trump réclame un pouvoir de véto de la Maison Blanche avec le droit de déterminer l’autorisation des produits et le pourcentage des droits de douane. 15

Le magnat exige d’augmenter le volume de contenu américain qui, dans les secteurs les plus contestés, est déjà passé de 62,5 % avec l’ALENA à 75 % avec l’AEUMC. Aucun de ses accords n’a jamais été un prototype de libre-échange, ils ont toujours constitué une forme de protectionnisme sous la tutelle des dirigeants étasuniens. 16

Si le Mexique n’accepte pas ses demandes, Trump tentera de renforcer sa menace de démanteler les usines frontalières pour les relocaliser aux États-Unis. Il a fait de grand discours appelant à nationaliser les chaines de valeur. Il encourage le reshoring (le retour sur investissements) pour laisser derrière lui le nearshoring (investissement dans des pays proche du marché américain) et le friendshoring (investissement dans des pays soumis a Washington) promus par ses prédécesseurs.

Trump est prêt à se heurter aux grandes entreprises de son pays qui ont créé des « maquillas » et utilisent des composants chinois pour maintenir leur compétitivité. Ces entreprises sont encore dans la course avec ce modèle économique et c’est un grand point d’interrogation quant à savoir dans quelle mesure elles accepteront les exigences du magnat. Elles ont fait des investissements à long terme qu’elles ne peuvent pas modifier en fonction de la rhétorique de la Maison Blanche. 17 Toutes les entreprises savent que l’effondrement de l’AEUMC aurait des effets imprévisibles sur le capitalisme étasunien.

Des camions de fret se dirigeant vers les États-Unis au passage commercial d’Otay à Tijuana, dans l’État de Basse-Californie, au Mexique, le 27 mars 2025 (AFP)

Ce qui s’est passé en Argentine allume toutes les alarmes du monde industriel latino-américain parce que cela illustre à l’avance les terribles conséquences de l’ordre du jour trumpiste.

Milei est une marionnette du magnat qui accepte de désindustrialiser son pays pour le satisfaire. Il donne son aval sans broncher à l’ouverture des importations, en facilitant même l’acquisition de machines étrangères d’occasion, au détriment des fournisseurs traditionnels locaux de l’activité agricole et pétrolière. Il célèbre également comme un grand succès le fait que Trump ait appliqué à l’Argentine un droit de douane de seulement 10 %. En signe de gratitude, il a annoncé qu’il réajusterait la législation du pays pour se conformer à la clémence de cette peine.

L’anarcho-capitaliste démolit l’industrie pour plaire à son patron du Nord, avec des fermetures d’entreprises et l’abandon de marques célèbres. En un an et demi, il a provoqué une chute phénoménale des ventes, au rythme de l’effondrement du PIB industriel qui n’est pas dû à des crises extérieures, à des anomalies sanitaires (comme la pandémie) ou à l’héritage du gouvernement précédent. C’est le résultat auto infligé d’une politique qui a augmenté le coût de l’activité industrielle de près de 80% par une simple manipulation du taux de change en faveur de la finance. 18

Avec l’effondrement massif de la consommation, Milei détruit le secteur productif qui génère le cinquième de l’emploi. Il étouffe le pouvoir d’achat avec des coupes budgétaires à la tronçonneuse, ce qui a aggravé la pauvreté et le dénuement. Il s’est vanté d’une cruauté sans précédent envers les retraités et les enfants. Le libertarien autoproclamé utilise des justifications absurdes pour expliquer que ce malheur est une bénédiction parce qu’il a permis d’éviter un ajustement plus douloureux.

La désolation industrielle de l’Argentine dépeint avec une clarté dramatique les effets de la politique économique de Trump en Amérique latine. Cette dévastation a un fondement et un corrélat géopolitique que nous analyserons dans un prochain texte.

Conclusion

Trump promeut la confiscation de l’Amérique latine pour contrer l’avancée de la Chine. Il a commencé cette expropriation avec l’ultimatum lancé au Panama et la soumission de l’Argentine. Il exige la fidélité au dollar, la subordination au FMI et l’expérimentation des monnaies numériques pour s’approprier les ressources naturelles. Il utilise les droits de douane contre le Mexique pour privilégier les entreprises étasuniennes, tandis que la désindustrialisation de l’Argentine anticipe les conséquences de son offensive.


Source originale : Resumen Latinoamericano

Source en français : https://investigaction.net/pensee-critique-trump-en-amerique-latine/

Références :

  1. Mérinos, Gabriel; Morgenfeld, Leandro; Aparicio, Mariana (2023). Les stratégies d’insertion internationale de l’Amérique latine face à la crise de l’hégémonie américaine et du multilatéralisme mondialiste. De nouvelles cartes. Crise et défis dans un monde multipolaire, Buenos Aires, CLACSO. ↩︎
  2. Maiza Larrarte, Andoni; Bustillo Mesanz, Ricardo (2025). Les décisions de Trump aideront-elles la Chine à renforcer sa présence en Amérique latine ? https://theconversation.com/las-decisiones-de-trump-ayudaran-a-china-a-fortalecer-su-presencia-en-america-latina-250856 ↩︎
  3. Beluche, Olmedo (2025a). Qui contrôle le canal de Panama ? 8-3, https://rebelion.org/quien-controla-el-canal-de-panama-2/ ↩︎
  4. Rosati, Andrew (2025) https://www.bloomberglinea.com/latinoamerica/latinoamerica-esta-atrapada-en-medio-de-la-guerra-comercial-entre-trump-y-china/ ↩︎
  5. Beluche, Olmedo (2025b) Panama : les menaces de Trump et la doctrine Monroe 22/01/2025 https://www.sinpermiso.info/textos/panama-las-amenazas-de-trump-y-la-doctrina-monroe Avr 15, 2025  ↩︎
  6. Katz, Claudio (2025a) Nous devons construire un grand mouvement pour rejeter le paiement de la dette » 20-3-2025 https://rebelion.org/claudio-katz-hay-que-construir-un-gran-movimiento-de-rechazo-al-pago-de-la-deuda/ ↩︎
  7. IPYPP (2025). Accord 2025 avec le FMI : ajustement, dette et subordination 18 avril 2025 https://ipypp.org.ar/2025/04/18/acuerdo-fmi-2025-ajuste-deuda-y-subordinacion/ ↩︎
  8. Katz, Claudio (2025b). Sur l’avenir économique de l’Argentine, 31-3-2025 ↩︎
  9. Katz, Claudio (2025c). Toute l’économie de Milei est une arnaque pyramidale, 21-2-2025
    https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/02/25/argentina-entrevista-a-claudio-katz-en-el-pais-hay-dos-alternativas-o-la-gente-en-la-calle-movilizada-o-los-caidos-del-modelo-hechos-harapos-tirados-en-las-calles/ ↩︎
  10. González, Guadalupe; Hirst, Mónica, Luján, Carlos, Romero, Carlos A, Tokatlian, Juan Gabriel (2025). Trump et l’Amérique latine et les Caraïbes : un laboratoire de contrôle ? https://nuso.org/documento/trump-y-america-latina-y-el-caribe-un-laboratorio-de-control/ ↩︎
  11. Dellatorre, Raúl (2025). Y a-t-il des fonds pour atteindre les objectifs de 2030 ? https://motoreconomico.com.ar/complejo-panorama-tras-los-cambios-en-vaca-muerta-las-multinacionales-se-retiran-y-le-ceden-su-lugar-a-firmas-locales/ ↩︎
  12. Quinto Poder (2025). Les tarifs douaniers ont un impact sur l’économie mexicaine : voici leurs prévisions https://quintopoderqrp.com/2025/03/04/aranceles-impactan-la-economia-en-mexico-estos-son-sus-pronosticos/ ↩︎
  13. Álvarez Barba, Yago (2025) Le feuilleton des droits de douane, Trump, la Chine, le Mexique, le Canada et l’Union européenne https://www.elsaltodiario.com/economia/culebron-aranceles-trump-china-mexico-canada-union-europea ↩︎
  14. Salcido, Ramón (2025). Le secret des maquilas que Trump utilise contre nos https://diario.mx/opinion/2025/feb/01/el-secreto-de-las-maquilas-que-trump-usa-en-contra-nuestra-1052190.html ↩︎
  15. Oropeza, Ubaldo (2025). Trump, le Mexique et la nouvelle réalité, 10-2-2025 https://marxismo.mx/trump-mexico-y-la-nueva-realidad/ ↩︎
  16. Crossa, M. (2024). Asymétries régionales, modèle d’exportation et despotisme du travail : le cas des maquilas de pièces automobiles au Mexique. Cuadernos de Economía Crítica, 10(19), 65-88 octobre 2024 ↩︎
  17. Jaramillo, Eduardo (2025) Pourquoi les entreprises mexicaines sont-elles calmes malgré les menaces de Trump ? 28, 2025, https://www.barrons.com/news/spanish/por-que-las-empresas-en-mexico-estan-tranquilas-pese-a-las-amenazas-de-trump-26d16a53 ↩︎
  18. Novak, Daniel E (2025). Le modèle anti-industriel, en chiffres https://www.pagina12.com.ar/813910-el-modelo-antiindustrial-en-numeros ↩︎

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/pensee-critique-trump-en-amerique-latine-investigaction-04-06-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *