
Selon un récent rapport de la Cour des comptes européenne, le nombre de pénuries de médicaments signalées dans les pays européens a atteint de nouveaux sommets en 2023 et 2024. Le bilan est sans appel : l’Agence européenne du médicament a été impuissante et un système efficace de gestion des pénuries critiques fait toujours défaut. La situation devient catastrophique avec plus de 136 pénuries dites critiques entre janvier 2022 et octobre 2024. Une pénurie critique correspond à l’absence d’alternative appropriée pour le patient, ce qui peut avoir de graves conséquences sur sa santé.
Les recommandations avancées ne proposent pas de s’attaquer au problème à la racine mais simplement, je cite, « d’améliorer le système de gestion des pénuries ». Ce constat est accablant et démontre que les simples mesures de régulation du marché proposées sont totalement inefficaces.
Le problème de fond est la mainmise de la production de médicaments par quelques grandes entreprises pharmaceutiques internationales dictant leur loi qui est celle du profit maximum, au détriment des enjeux de santé publique. Plus grave encore est le chantage exercé sur les gouvernements qui tentent de leur imposer quelques règles. Ainsi, face aux diminutions de prix mises en œuvre par certains pays pour des produits dont les marges sont visiblement excessives, des firmes expliquent qu’elles préfèrent fournir ceux qui proposent de meilleurs prix et elles provoquent sciemment une pénurie pour punir ceux qui refusent d’accepter les tarifs qu’elles veulent imposer.
Cette situation n’est plus tolérable et nécessite d’imposer une autre logique pour les médicaments qui doivent devenir un bien commun échappant à cette logique du marché. Ainsi, les ventes mondiales de médicaments ont dépassé 1 600 milliards de dollars en 2023, en augmentation de 8,2 % par rapport à 2022 et les projections prévoient d’atteindre 2 200 milliards en 2028. Par ailleurs, la marge bénéficiaire des sociétés pharmaceutiques est très supérieure à celle des autres entreprises cotées en bourse : 76 % contre 37 %. Traduction : la marge brute sur un médicament vendu 10 euros est de 7,65 euros !
La seule solution efficace est de travailler à la mise en place d’un pôle public du médicament en France et en Europe. Assez de beaux discours, sur l’indépendance industrielle quand on laisse persister un système où 80 % des principes actifs des médicaments sont produits en Asie. Assez de beaux discours sur l’innovation qui serait liée au dynamisme d’entrepreneurs privés, alors que l’essentiel des recherches permettant la mise au point de nouveaux médicaments sont effectuées dans les universités et les instituts publics. Assez de beaux discours sur les coûts de mise au point des médicaments quand les dépenses de marketing des firmes pharmaceutiques dépassent celles consacrées à la recherche.
L’autre intérêt du pôle public du médicament est de se soustraire aux brevets qui n’ont été mis en place que dans les années 1960 dans le seul intérêt du monde des investisseurs pour obtenir le meilleur rendement de leur capital.
Dr Christophe Prudhomme
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