Pesticides : calendrier imposé pour l’Anses, «une entrave grave à son indépendance» (reporterre-12/07/25)

Selon ce décret, l’Anses doit désormais « tenir compte » des priorités du ministère de l’Agriculture. – © Louisa T. / Reporterre

Un décret publié le 10 juillet oblige l’Agence nationale de sécurité sanitaire à suivre un calendrier imposé en matière d’examen des pesticides. Élus d’opposition et associations dénoncent une atteinte à son indépendance.

Par Erwan MANAC’H.

À peine écartée par les députés, aussitôt imposée par décret par le gouvernement… Une des mesures les plus décriées de la loi Duplomb sur l’agriculture, retirée du texte voté mardi 8 juillet à l’Assemblée nationale pour emporter l’adhésion des députés macronistes, vient d’être réintroduite par les ministères de l’Agriculture, du Travail et de la Transition écologique.

Ce décret publié jeudi 10 juillet au Journal officiel, d’apparence technique, touche à l’indépendance de l’institution scientifique chargée d’autoriser, ou non, l’utilisation d’insecticides, herbicides ou fongicides, après évaluation de leur dangerosité.

Un « passage en force par voie réglementaire »

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), attaquée sans relâche par les représentants de l’agriculture productiviste et leurs relais politiques depuis plusieurs années, reste maître de ses arbitrages, mais elle doit désormais « tenir compte » des priorités du ministère de l’Agriculture. Priorités établies par décret en fonction des « usages », c’est-à-dire les besoins économiques des filières agro-industrielles. Les pesticides utilisés contre une menace « affectant […] le potentiel de production agricole » seront donc examinés en priorité.

« La liberté de décider de son propre ordre du jour est compromise, c’est une entrave grave à l’indépendance de l’Anses », dit François Veillerette, président de l’association Générations futures, à Reporterre. L’association dénonce un « passage en force par voie réglementaire ».

2 000 demandes par an

Le calendrier suivant lequel les demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires sont examinées est important pour la régulation des substances mises en cause dans l’épidémie de cancers qui touche actuellement la France. L’Anses examine 2 000 demandes par an. Les dossiers se bousculent et il faut aller au plus urgent. « Elle n’a pas des moyens infinis. La fixation de l’agenda est donc une prérogative extrêmement importante », dit le député socialiste Dominique Potier à Reporterre.

Ces voix redoutent que l’interdiction des produits dangereux soit retardée. C’est pourtant précisément pour éviter ce type de télescopage entre les enjeux économiques et de santé publique que l’Anses avait été créée en 1999. Au sortir de la crise de la « vache folle », il apparaissait urgent de protéger les autorités sanitaires du pouvoir d’influence des industriels.

Le ministère de l’Agriculture explique à l’AFP que cette « priorisation » vise à « tenir compte de la saisonnalité des menaces pesant sur les cultures ». Les filières en panne auraient donc besoin de réponses rapides et ce, « sans porter préjudice aux enjeux sanitaires ou environnementaux ».

Un néonicotinoïde toxique dans les starting-blocks

« Je pense qu’il y a un agenda concernant l’acétamipride [un néonicotinoïde reconnu toxique], analyse le député écologiste Benoît Biteau pour Reporterre. La loi Duplomb l’a débloqué, mais il y a encore l’étape de l’autorisation par l’Anses à franchir avant sa réintroduction. Ce décret force donc l’Anses à l’examiner rapidement. Il s’agit a minima d’un signal envoyé par la ministre de l’Agriculture aux partisans de ce néonicotinoïde. » Les cultures intensives de noisettes et de pommes vont entrer dans les prochaines semaines, dans la période où l’acétamipride est utilisée contre des ravageurs potentiels.

Contactée par Reporterre, l’Anses dit se donner « le temps de l’analyse » sur les conséquences de ce décret avant toute réaction publique. Son président, Benoît Vallet, a exprimé durant l’examen de la loi Duplomb au Parlement son intention de démissionner si l’indépendance des 750 chercheurs qui y travaillent était compromise.

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Source: https://reporterre.net/Pesticides-calendrier-impose-pour-l-Anses-une-entrave-grave-a-son-independance

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