Pesticides : la fuite en avant des cultivateurs de noisettes (reporterre-12/05/25)

La filière noisette est tiraillée entre ses objectifs de croissance exponentielle et la multiplication des insectes ravageurs, comme la punaise diabolique. – © Antoine Berlioz / Reporterre

Dopée par le géant Ferrero, la production française de noisettes a doublé en 15 ans dans de vastes monocultures, alimentant des insectes ravageurs. Sans questionner ce modèle, la filière exige le retour d’un pesticide contesté.

Par Justin CARRETTE & Antoine BERLIOZ (photographies).

Saint-Porquier (Tarn-et-Garonne), reportage

En arrivant à Saint-Porquier, dans le Tarn-et-Garonne, des vergers se déploient à perte de vue. Au bout d’un chemin en terre bordé de part et d’autre par 46 hectares de noisetiers parfaitement entretenus, Patrick-Gilles Canevari nous attend, avec sa chemise bleu clair et son grand sourire. « Venez, on va discuter à l’intérieur », dit-il. Deux autres producteurs de noisettes sont présents pour cette entrevue, dans un Sud-Ouest qui concentre la majeure partie de la production française de noisettes.

Depuis quinze ans, la filière se développe rapidement dans l’Hexagone, poussée par l’ambition de la principale coopérative du secteur, Unicoque, et l’appétit croissant des industriels pour ce fruit à coque. La superficie de vergers de noisetiers en France a doublé, passant de 4 000 hectares en 2010 à 8 000 hectares en 2023, selon les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Quatrième consommatrice au monde, la France compte toujours à près de 90 % sur les importations.

Ferrero, géant incontournable

En 2021, Unicoque a noué un nouveau partenariat avec Ferrero, le poids lourd du secteur, qui capte à lui seul près de 30 % de la demande de noisettes dans le monde. « Nous voulons que 50 à 60 % des noisettes que nous transformons en France soient françaises », disait alors Christophe Bordin, l’un des cadres de Ferrero, au quotidien Sud Ouest. « Il va falloir accélérer et planter beaucoup plus, soit 1 000 hectares par an », résumait Thierry Descazeaux, président de la coopérative Unicoque, en 2021. La coopérative n’a pas souhaité donner suite aux sollicitations de Reporterre, tandis que Ferrero assure par courriel que ce partenariat « reste solide et dure depuis plus de dix ans ».

Les silos de la coopérative Unicoque, dans le Tarn-et-Garonne. © Antoine Berlioz / Reporterre

Le doublement de la surface des vergers de noisetiers en France depuis 2010 a favorisé la prolifération de ravageurs dans les cultures, comme la punaise diabolique et le balanin. « Si, dans un même espace géographique, on apporte énormément de nourriture à un insecte, c’est certain qu’il va se développer rapidement », insiste Philippe Grandcolas, entomologiste et directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique.

« Elles piquent la noisette, ce qui donne un goût très désagréable au produit, détaille Patrick-Gilles Canevari en désignant l’intérieur d’une noisette légèrement nécrosée par la piqûre d’une punaise. Les industriels nous refusent certains lots ou nous déclassent nos noisettes. On est contraints de vendre moins cher. »

Une punaise diabolique, insecte qui s’épanouit dans les monocultures de noisetiers du sud-ouest de la France. © Antoine Berlioz / Reporterre
Une noisette saine (à gauche), à côté de deux noisettes impactées par la punaise diabolique à deux moments différents du développement de l’amandon. L’une est piquée (tache brune), l’autre est difforme. © Antoine Berlioz / Reporterre

« J’ai perdu 20 % de ma production en 2024 : environ 12 % à cause des ravageurs comme le balanin ou la punaise diabolique, et 8 % à cause de la moisissure sur certaines noisettes, due à des conditions climatiques défavorables cette année. Si cela continue, je finirai par tout arracher », raconte l’agriculteur, qui cultive des noisetiers depuis treize ans. D’autres producteurs confient même avoir perdu près de 50 % de leur récolte en 2024 à cause de ces insectes.

« Sans autre culture, il y a plus de risques que les punaises attaquent les noisetiers »

Les mêmes problèmes écologiques liés à la monoculture se sont produits en Italie, où Ferrero avait annoncé en 2018 vouloir accompagner l’augmentation de 30 % de la production transalpine. « Sans autre culture, il y a plus de risques que les punaises attaquent les noisetiers. Alors, on utilise plus de pesticides pour les tuer et on met en danger la biodiversité », racontait alors un agriculteur au journal Ouest-France.

Bataille parlementaire pour un pesticide interdit

En France, les producteurs de noisettes ont accès à certains insecticides pour combattre le balanin, mais réclament également la réintroduction de l’acétamipride, un néonicotinoïde puissant contre la punaise diabolique. Ce néonicotinoïde est interdit en France depuis 2020, mais il reste autorisé dans l’Union européenne jusqu’en 2033. Sa réintroduction dans l’Hexagone, notamment pour répondre aux exigences de la filière noisette, fait l’objet d’une proposition de loi des sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Ménonville (UDI) déposée fin 2024 et visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ».

Selon l’agriculteur Patrick-Gilles Canevari, il n’y avait pas de punaise diabolique dans son exploitation il y a encore «  cinq ou six ans  ». © Antoine Berlioz / Reporterre

Déjà adopté à la chambre haute, le texte, qui soutient également les projets de mégabassines et remet en cause les autorités environnementales et sanitaires, doit désormais être adopté à l’Assemblée nationale.

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Jean-François Bernard, qui possède 35 hectares de vergers de noisetiers à Larrazet dans le Tarn-et-Garonne, soutient lui aussi cette proposition de loi. « On importe la majorité des noisettes que l’on consomme en France depuis des pays qui utilisent cet insecticide. C’est une concurrence déloyale », affirme à Reporterre celui qui fait partie avec ses deux camarades agriculteurs de la toute nouvelle Association des producteurs indépendants de noisettes.

« L’acétamipride est tellement toxique qu’il tue également des insectes très utiles à la biodiversité »

En effet, la Turquie, l’Italie ou l’Espagne autorisent encore cet insecticide. Pourtant, depuis son interdiction en 2020, le rendement par hectare des producteurs français n’a pas changé, restant bien au-dessus des producteurs de ces pays, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Une situation confirmée par un rapport du gouvernement sur la souveraineté alimentaire d’avril 2024, qui indique ne pas observer de corrélation forte entre l’interdiction de certains produits phytosanitaires et l’évolution des rendements.

D’autant plus que l’acétamipride possède une toxicité chronique particulièrement inquiétante. « Beaucoup de personnes voient seulement la toxicité par contact avec ces produits, remarque le chercheur Philippe Grandcolas. On croit que si on porte un masque et une combinaison au moment de l’épandage, on est protégé. Mais cette molécule a une durée de vie dans les écosystèmes et a un effet néfaste à long terme sur les pollinisateurs, les insectes et les humains. »

Selon plusieurs études de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’acétamipride pourrait «  affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire » et présenterait des « incertitudes majeures sur la neurotoxicité développementale » chez l’humain.

Conséquences en cascade

Christian Huygues, directeur d’études à l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, affirme à Reporterre que l’étude pour l’homologation de l’acétamipride faisait état d’une demi-vie (durée après laquelle il reste moins de 50 % du produit dans la nature) de 800 jours dans l’environnement, ce qui est extrêmement long.

Patrick-Gilles Canevari présente un piège à phéromones, alternative aux pesticides dont il conteste l’efficacité. © Antoine Berlioz / Reporterre

« Effectivement, il est efficace, puisqu’il tue tous les insectes, mais pas seulement ceux ciblés, en l’occurrence la punaise diabolique, dénonce Philippe Grandcolas. L’acétamipride est tellement toxique qu’il tue également des insectes très utiles à la biodiversité ». Pour ce spécialiste des insectes, c’est un cercle vicieux pour l’agriculture : « Si on tue des pollinisateurs dans nos vergers de noisettes, les cultures de colza qui sont à proximité, par exemple, ne seront pas pollinisées et on sait que, dans le cas du colza, on aura 30 % de rendement en moins, ce qui va engendrer d’autres problèmes. Il faut avoir un regard global sur notre agriculture. »

Philippe Grandcolas insiste sur l’importance de la polyculture pour favoriser la présence d’autres insectes, notamment des parasitoïdes, afin de limiter la présence des ravageurs. D’autres solutions plus écologiques que l’acétamipride sont envisagées par les chambres d’agriculture, notamment des pièges à phéromones pour attirer et contenir les punaises hors des vergers.

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Source: https://reporterre.net/Pesticides-la-fuite-en-avant-des-cultivateurs-de-noisettes

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