
Elle recrute en rencontrant des parents à Versailles, Orléans ou Bourges. L’Académie Saint-Louis, premier de ces internats catholiques voulus par le milliardaire ultra-conservateur Pierre-Édouard Stérin, va voir le jour en Sologne à la rentrée de 2025. Réservé aux garçons, hors contrat avec l’Éducation nationale, l’établissement ne se cache pas de vouloir former une élite catholique traditionaliste, qui couvrirait à terme chacune des régions de métropole.
Par Lionel VENTURINI.
175 hectares de verdure entourés de bois, d’étangs, un château, une dizaine de bâtiments, une capacité de 600 élèves en internat : dans sa poursuite d’un réarmement catholique conservateur, le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, aux amitiés allant de la droite à son extrême, va ouvrir à la rentrée prochaine, en plein cœur de la Sologne, dans le domaine de Chalès, à Nouan-le-Fuselier (Loir-et-Cher), son premier internat des « Académies Saint-Louis ». Il entend en ouvrir six autres d’ici cinq ans, puis un dans chaque région, de la 6e à la terminale. Objectif : scolariser 15 000 élèves à l’horizon 2040.
« Une très belle initiative à découvrir », a-t-il vanté sur son compte LinkedIn – sans préciser qu’il en est à l’origine. Excès de modestie, sans doute, pour celui qui annonçait vouloir à l’été 2024 céder son portefeuille pour se consacrer à des œuvres caritatives.
Mais une initiative qui inquiète aussi localement les organisations de gauche. Dans un communiqué commun, une dizaine d’entre elles, dont les sections du PS, PCF et LFI du Loir-et-Cher, mais aussi de syndicats (CGT, FSU…) ou de La Ligue des droits de l’Homme, ont alerté, lundi 3 mars, sur un projet « fondé sur les valeurs traditionalistes et donc intégristes ».
Au cœur du projet, une « éducation intégrale » catholique
« Devant le danger pour la protection de la jeunesse que laisse planer le projet d’Académie Saint-Louis, les organisations signataires demandent au préfet et aux autorités de l’Éducation nationale compétentes de s’opposer à l’ouverture de tels établissements », réclament ces organisations.
De fait, l’objectif des « Académies Saint-Louis » n’est pas dissimulé : « Comment transmettre aux enfants des repères si le relativisme est imposé comme seule grille de lecture ? Comment tenter de leur parler du mystère de la foi le soir si elle est niée le jour ? » écrivait Pierre-Édouard Stérin en 2021 dans la préface d’un livre sur l’éducation catholique. Les Académies Saint-Louis seront donc des internats d’excellence pour former une génération d’élites – celui de Sologne est pour l’heure réservé aux garçons.
Parmi les fondateurs et dirigeants de l’Académie Saint-Louis, on trouve des proches de Stérin : Juliette Marcilhacy, chargée de l’éducation au sein du Fonds du Bien Commun, le véhicule philanthropique du milliardaire. Stanislas de Lesseps, son directeur d’investissement immobilier. Vincent Trébuchet, mandaté justement par Stérin pour monter un réseau de collèges et lycées catholiques, élu entre-temps député de l’Ardèche en 2024 (avec l’étiquette UDR, l’alliance entre Éric Ciotti et le RN).
Mais aussi François-Xavier Clément, au nom de « Saint-Joseph Éducation », une structure de labellisation d’écoles qui prône une « éducation intégrale » catholique. Si la formule renvoie à l’esprit du Concile Vatican II et de l’ouverture au monde de l’Église, la charte de Saint-Joseph Éducation stipule entre autres que cette formation « ayant pour horizon la vie éternelle, les enfants recevront une éducation chrétienne leur permettant de se déterminer librement à suivre le Christ ».
Lutter contre la « tyrannie républicaine »
L’Académie Saint-Louis, c’est un peu une antenne du lycée Saint-Jean-de-Passy en Sologne, région laboratoire du séparatisme des ultrariches. François-Xavier Clément est l’ancien directeur de cet établissement privé et catholique parisien. Établissement qu’il a dû quitter en 2020, en raison de son « indépendance », dit-il – après y avoir imposé le port d’un uniforme ou l’installation d’une statue de la Vierge Marie dans la cour d’honneur.
Du fait de « pratiques managériales dysfonctionnelles portant atteinte à la santé et à la sécurité physique et psychique des collaborateurs », avait relevé le conseil d’administration de l’établissement. Au terme de l’enquête de police, l’affaire fut classée sans suite par la justice.
« La formation à la liberté est fondamentale », déclarait François-Xavier Clément au site d’extrême droite identitaire Breizh-infos. Une liberté en droite ligne avec la vision traditionaliste. « On s’est progressivement installé dans une tyrannie républicaine et nous réagissons trop rarement aux évolutions législatives qui remettent en cause le droit naturel (…) Enseigner en cours de biologie en classe de seconde que le sexe physique ne doit en rien déterminer le sexe psychologique ouvre une brèche existentielle », déplore encore François-Xavier Clément.
« Les programmes de l’éducation nationale sont depuis bien longtemps structurés par des doctrinaires à l’idéologie ravageuse, embraye-t-il. Cela commence dans les orientations de la recherche à l’Université et se termine dans la mémoire de nos enfants. » Études sur le genre, les inégalités ou les discriminations, très peu pour lui.
Un univers de l’entre-soi
Pour l’équipe fondatrice et dirigeante de l’Académie, Pierre-Édouard Stérin n’est pas allé bien loin. Outre François-Xavier Clément, il est allé piocher là encore à Saint-Jean-de-Passy en embarquant le directeur du lycée, Louis Yon. Ainsi que Michel Valadier, directeur de la « Fondation pour l’école », qui s’est donné pour mission depuis 2008 de promouvoir l’école privée catholique hors contrat.
Valadier a co-fondé en 1992, et longtemps dirigé, le groupe scolaire privé non mixte Saint Dominique, au Pecq (Yvelines). Groupe dont l’actuel directeur général est un certain… François-Xavier Clément. Décidément un petit monde.
L’Académie Saint-Louis, qui a engrangé une première centaine d’inscrits, y sera à son aise : une déclaration de travaux déposée en mairie fait état de 6 500 m² dédiés à l’enseignement, une surface qu’envieraient bien des collèges et lycées publics. Le tout au sein d’un domaine dont s’est séparé à contrecœur son propriétaire, l’œuvre des orphelins des douanes (ODOD).
L’association, reconnue d’utilité publique, et dont le projet, insiste son président Alain Cornille, se définit comme « solidaire, laïc et inclusif », a dû se résoudre, entre baisse de fréquentation et succession de réformes du financement menées dans les années 2000 par les gouvernements Villepin et Fillon, à mettre en vente ce qui était depuis 1948 la colonie de vacances des enfants de douaniers.
Un ensemble estimé en 2023 à 7,2 millions d’euros par la direction de l’immobilier de l’État (ex-France Domaine), et cédé à un prix approchant en novembre dernier à une SCI dont Pierre-Édouard Stérin détient 90 % des parts. Deux autres acheteurs s’étaient manifestés depuis la mise en vente en 2015, mais avaient finalement renoncé, rebutés par la réglementation empêchant toute nouvelle construction.
Une académie réservée aux garçons
Coût d’un enseignement pour « former les hommes et révéler les talents », selon le slogan de l’Académie Saint-Louis ? 14 500 euros par an. Moins, si l’on justifie, par son avis d’imposition, d’entrer dans les tranches inférieures du quotient familial. Pour ce prix, les élèves ont cours le matin, étude à 17 heures, activités artistiques le soir dans l’amphithéâtre de 400 places. Et l’après-midi est réservé au sport.
Terrain de tennis, de football, gymnase, plan d’eau pour l’aviron… Les élèves ont tout à disposition. Tout, sauf une piscine. Qu’à cela ne tienne, le maire de la ville toute proche de Salbris, Alexandre Avril, ne peut rien refuser au milliardaire qui lui a mis le pied à l’étrier : il a donc déjà prévu de mettre à disposition des élèves la rutilante piscine intercommunale.
Outre l’enseignement, le site, ex-lieu hôtelier pour séminaires, a pour vocation de générer 500 000 euros par an, via des activités événementielles. Et parce que la philanthropie a ses limites, le directeur général des futures académies a pour mission de lever 10 millions d’euros par an auprès de mécènes, pour limiter l’implication financière du milliardaire et de son Fonds du bien commun.
L’école restera évidemment hors contrat avec l’Éducation nationale. « Elles sont actuellement 2 500 à travers la France, 120 écoles se créent chaque année, s’enthousiasme Michel Valadier à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Plus de 100 000 élèves y sont scolarisés contre 30 000 il y a dix ans. »
Localement, les autorités ecclésiastiques s’inquiètent à mots feutrés. « Le projet pédagogique qui m’a été présenté est basé sur le chant, le sport, un peu à l’anglaise. Ils ne m’ont pas fait part de projet religieux ou pastoral », a ainsi confié e directeur diocésain (responsable de l’éducation) Bruno Chauvineau à la Nouvelle République. Selon nos informations, l’Académie Saint-Louis n’a toujours pas non plus déposé auprès du rectorat la déclaration d’ouverture, pourtant obligatoire.
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