
Pourtant championne d’Europe en termes de surfaces, l’agriculture est trop dépendante des exportations et de l’agro-industrie, estime la Fondation Terre de liens. Celle-ci recommande un changement durable de modèle.
Par Marie TOULGOAT.
Le ministère de l’Agriculture a beau avoir été rebaptisé en 2022 pour que son nom intègre la souveraineté alimentaire, le gouvernement semble n’avoir que faire de cet objectif. C’est en tout cas la conclusion de la Fondation Terres de Lien, dont le rapport sur l’état des terres agricoles françaises publié ce lundi passe au vitriol le modèle agricole de la France.
Car si les champs tricolores sont bel et bien en mesure de produire des denrées en quantité suffisante, l’objectif de nourrir les Français paraît très secondaire. Alors que la France dispose de 4 300 mètres carrés de terres agricoles par habitant en moyenne, là où il en faut normalement entre 3 000 et 4000, seuls 2 100 mètres carrés par personne sont toutefois destinés à l’alimentation des Français. Le reste est exporté à des prix qui échappent souvent à tout contrôle des paysans.
18 % des agriculteurs sous le seuil de pauvreté
Cette situation relève du non-sens pour le président de Terre de liens, Philippe Pointereau : « 11 millions de personnes sont en précarité alimentaire et 18 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Un pays dont l’agriculture est dirigée par le marché international a perdu sa souveraineté alimentaire », tance-t-il.
Là où le ministère de l’Agriculture estime que la France demeure souveraine du fait de l’ampleur des surfaces agraires et de sa balance commerciale excédentaire, l’expert en agroécologie s’appuie sur une tout autre définition, développée par le réseau Via Campesina.
« La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles », explique-t-il. Bien qu’elle soit la championne d’Europe en matière de surfaces agricoles, la France ne rentre pas dans les clous.
43 % des surfaces agricoles françaises dédiées à l’exportation
Pour les experts en agroécologie de la Fondation Terre de liens, cette situation paradoxale est à imputer aux nombreuses politiques qui ont pris le parti de mêler les produits de l’agriculture aux alliances commerciales. La signature de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, qui promet de mettre lourdement en concurrence les producteurs européens et sud-américains, en est l’exemple le plus récent.
Conséquence : 43 % des surfaces agricoles françaises sont dédiées à l’exportation, et non à la consommation domestique. La majorité du blé dur (destiné à produire pâtes et semoule), dont la production pourrait pourtant satisfaire 148 % des besoins tricolores, ou le sucre, produit à 169 % des besoins, sont ainsi en grande majorité exportés. À tel point que ces productions ne sont plus suffisantes pour couvrir la demande française : 75 % du blé dur et 37 % du sucre consommé dans le pays sont ainsi importés.
« Plus on exporte, plus on importe », résume en effet Tanguy Martin, chargé des plaidoyers à la Fondation Terre de liens. Pourtant capable de nourrir sa population, la ferme France est donc aujourd’hui très dépendante des marchés en matière de produits agricoles et s’expose sciemment à des disettes en cas de crises climatiques ou géopolitiques. L’envolée du cours du blé au début de l’année 2022, consécutive au début de la guerre en Ukraine, en est un exemple criant.
À moitié tournée vers les marchés internationaux, l’agriculture française est par ailleurs largement façonnée par les industriels, qui définissent les paysages et les pratiques par les débouchés qu’ils proposent aux producteurs. L’industrialisation de l’agriculture a, par exemple, amené à une spécialisation des fermes. « 35 % des fermes n’ont qu’une seule production agricole aujourd’hui, alors que ce n’était le cas que de 19 % des exploitations en 1990 », note le rapport de Terre de liens.
La standardisation, une machine à broyer
Elle a aussi engendré une forte homogénéisation des produits cultivés. « L’industrialisation amène une standardisation. Nous avons ainsi seulement quatre cultures majoritaires en France : le blé, le colza, le maïs et l’orge », illustre Coline Sovran, chargée de plaidoyer auprès de la fondation et coordinatrice du rapport. « Cette faible diversification rend les cultures moins résistantes, plus vulnérables aux parasites, et donc plus dépendantes aux pesticides et engrais chimiques », poursuit-elle.
Cette extrême standardisation des cultures exclut ainsi nombre de paysans, forcés soit de se soumettre aux normes parfois farfelues réclamées par les transformateurs, soit de se creuser les méninges pour trouver des alternatives. Noël Michot, producteur de céréales bio près de La Rochelle (Charente-Maritime), en sait quelque chose.
« J’ai décidé de planter quatre variétés de blés bio, dont le plus ancien date de 1904. Mais ces céréales ne sont pas valorisées par les coopératives, parce que les semences n’ont pas été achetées auprès de multinationales. Le blé doit aussi répondre à un cahier des charges précis pour être accepté par l’agro-industrie, avec un certain taux de protéine pour garantir l’élasticité de la pâte. J’ai dû me débrouiller tout seul pour vendre mon blé, en passant par un artisan meunier », explique le producteur.
La France a-t-elle ainsi définitivement perdu toute souveraineté alimentaire, au gré des accords commerciaux et vagues d’industrialisation ? La Fondation Terre de liens ne le pense pas et formule dans son rapport des recommandations pour inverser la tendance. Comme celle de revoir le versement des aides de la politique agricole commune (PAC), aujourd’hui accordées en fonction des hectares, ce qui favorise de facto les très grandes exploitations, notamment celles tournées vers l’exportation.
« Il faut aussi revoir les aides accordées aux distributeurs et industriels, qui bénéficient de 16,4 milliards d’euros par an d’exonérations fiscales et de cotisations sociales, ce qui favorise l’emploi précaire, les exportations, et la nourriture industrialisée », recommande Tanguy Martin. Le gouvernement entendra-t-il ces instructions ? Rien n’est moins sûr, alors que le projet de loi d’orientation agricole, qui devrait être adopté par le Sénat ce mardi, mentionne dans son article premier l’impératif de compétitivité.
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