Pour amadouer le RN, Sébastien Lecornu s’attaque aux renouvelables (Reporterre-26/09/25)

Les filières de l’énergie solaire et éolienne sont vent debout contre le projet attribué à Sébastien Lecornu. – Pxhere

Sébastien Lecornu serait sur le point de publier un décret instaurant un moratoire sur les énergies renouvelables. Réclamé par le RN, ce gel des financements porterait un coup très dur à une filière déjà fragilisée.

Par Emilie MASSEMIN.

Sébastien Lecornu prêt à sacrifier l’éolien et le solaire pour éviter une censure du Rassemblement national (RN) ? D’après Contexte, le Premier ministre est sur le point de publier le décret de la troisième Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), attendu depuis des mois par les filières énergétiques. Sauf que le texte pourrait intégrer un moratoire sur le solaire et l’éolien terrestre, le temps qu’une mission réévalue les aides publiques aux énergies renouvelables.

Il ne s’agirait pour l’instant que d’une « hypothèse de travail », précise Contexte, mais elle a immédiatement entraîné une levée de boucliers des acteurs du secteur des énergies renouvelables et des écologistes. « C’est ce que demandaient le Rassemblement national et Les Républicains. Sauf que la proposition de loi Grémillet, qui incluait un moratoire sur les énergies renouvelables, a été rejetée en juin par l’Assemblée nationale », rappelle à Reporterre Bastien Cuq, chargé de plaidoyer énergie au Réseau Action Climat.

En reprenant ce gel dans son décret et en suivant ainsi la même stratégie que son prédécesseur, François Bayrou, Sébastien Lecornu espère échapper à la censure du parti d’extrême droite, qui s’oppose avec virulence au déploiement des énergies renouvelables.

« Pitoyable, dangereux et coupable de la part du bloc central »

En 2021, Marine Le Pen disait vouloir « démonter » les éoliennes. Sa position n’a pas changé depuis. Le RN a ainsi prévu pour sa niche parlementaire du 30 octobre une proposition de loi visant à réduire la croissance du photovoltaïque. « Légitimer ce discours en échange d’une non-censure, c’est pitoyable, dangereux et coupable de la part du bloc central », s’insurge la députée écologiste Julie Laernoes.

Elle dénonce aussi le projet du Premier ministre de lancer une mission sur les aides publiques aux énergies renouvelables. « Le message renvoyé est biaisé. Pourquoi ne pas lancer une mission flash sur leurs bénéfices ? interroge-t-elle. Par ailleurs, on n’a aucune transparence sur les coûts et les aides publiques accordées au nucléaire. »

Lire aussi : « Nucléaire — Comment il va ruiner la France » : documentaire exclusif, à voir sur la chaîne Reporterre

De fait, la facture de l’EPR de Flamanville a été multiplié par sept pour atteindre 23,7 milliards d’euros, selon la Cour des comptes. Toujours selon les sages de la rue Cambon, le coût du programme de construction de six nouveaux réacteurs EPR2 pourrait atteindre les 100 milliards d’euros. EDF doit remettre un devis au gouvernement d’ici la fin de l’année.

La filière dans une « nappe de brouillard »

Ce jeu politicien prolonge la période d’incertitude dans laquelle sont plongés les acteurs de la transition énergétique depuis le 1er juillet 2023, date à laquelle aurait dû être adoptée la loi de programmation énergie-climat, qui n’a toujours pas vu le jour.

« Je sors d’un rendez-vous avec des acteurs de la filière électrique. Leur formule est que cette info vient épaissir la nappe de brouillard qui pèse depuis deux ans et demi. Ils craignent que rien ne se passe avant la prochaine présidentielle en 2027 », rapporte le député Maxime Laisney (La France insoumise) .

Pendant ce temps, ce gel pourrait avoir des effets dévastateurs sur la filière industrielle. « Cela va entraîner des licenciements et des pertes de compétences », prédit Anne Debrégeas, ingénieure-chercheuse au centre de recherche d’EDF et porte-parole du syndicat Sud-Énergie. Il existe un précédent, en 2010, quand le gouvernement de François Fillon avait décrété un moratoire de trois mois sur les nouveaux projets photovoltaïques. Des milliers de projets avaient été gelés et entre 7 000 et 10 000 emplois — un tiers de la filière — avaient disparu.

« Tous les petits installateurs sont en train de crever la gueule ouverte »

Surtout que la filière est déjà fragilisée par les dernières attaques du gouvernement. Les acteurs du solaire ont récemment signalé à Reporterre une complexification des dispositifs de soutien, notamment pour les installations de taille intermédiaire, et une réduction des obligations de solarisation des parkings. Le gouvernement a publié un arrêté réduisant de 70 % les tarifs d’achat du surplus d’électricité solaire, ainsi que les primes à l’autoconsommation.

« Tous les petits installateurs sont en train de crever la gueule ouverte, s’insurge Jean Ganzhorn, installateur de panneaux photovoltaïques dans les Hautes-Alpes depuis vingt ans. Avec cette baisse des tarifs d’achat, des gens ont voulu annuler leur projet du jour au lendemain, alors qu’on avait déjà commandé le matériel. C’est un carnage. On va se retrouver avec des entreprises qui ont embauché, formé, acheté des voitures de fonction, des centaines de jeunes sortis de leurs filières de formation cet été… et plus de projets. »

Le gouvernement aurait des alternatives

Au niveau macro, ce sont les objectifs de déploiement des énergies renouvelables de la France qui s’éloignent. La PPE 2019-2028 impliquait un rythme de déploiement de 1,85 à 2 gigawatts (GW) par an pour l’éolien terrestre et de 3 à 4 GW/an pour le solaire sur la décennie 2020-2030. On en est loin.

« En trois ans, le rythme de déploiement a été divisé par trois. À la limite, même pas besoin d’instaurer un moratoire, il est déjà existant », ironise Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables. Si le solaire s’en sort mieux avec 4,5 GW installés en 2024, les évolutions réglementaires récentes et le moratoire risquent de freiner cet élan. « Il y a une inertie des chiffres, explique Jules Nyssen. Déjà, les investisseurs étrangers hésitent à investir en France. »

Même pas sûr que cette stratégie anti-renouvelables suffise à Sébastien Lecornu pour survivre à Matignon. « Le RN a d’autres totems que les énergies renouvelables, rappelle Maxime Laisney. Il peut très bien choisir la censure sur un autre point du budget, comme le doublement des franchises médicales. » Bastien Cuq, lui, plaide pour que le Premier ministre cherche d’autres alliances : « Il existe à l’Assemblée nationale une majorité en faveur d’une politique ambitieuse des énergies renouvelables. Le gouvernement n’est pas acculé, il fait un mauvais choix. »

°°°

Source: https://reporterre.net/Pour-amadouer-le-RN-Sebastien-Lecornu-s-attaque-aux-renouvelables

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/pour-amadouer-le-rn-sebastien-lecornu-sattaque-aux-renouvelables-reporterre-26-09-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *