Pour sauver les océans, la France mise sur un sommet sans faire de vagues (reporterre-9/06/25)

Un récif corallien au large de Charm el-Cheikh (Égypte), le 27 juin 2024. – © Sergio Hanquet / Biosphoto / AFP

La Conférence des Nations unies sur l’océan, qui s’ouvre à Nice, risque de n’aboutir qu’à des déclarations non contraignantes, alors que les activités industrielles et le changement climatique mettent en péril ces écosystèmes.

Par Hortense CHAUVIN.

Nice (Alpes-Maritimes), correspondance

La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc) fera-t-elle des vagues ? Ou de simples rides sur l’eau ? Lundi 9 juin s’ouvre à Nice le plus grand rassemblement international jamais dédié à la protection du milieu marin, après une première édition à New York (États-Unis), en 2017, et une seconde à Lisbonne (Portugal), en 2022. Plusieurs milliers de délégués en provenance de 167 pays, dont une cinquantaine de chefs d’État, sont attendus à cet événement, coorganisé par la France et le Costa Rica, qui durera jusqu’au vendredi 13 juin.

Dix ans après l’Accord de Paris, Emmanuel Macron espère faire de la conférence de Nice « un moment fondateur pour la gouvernance de l’océan ». Le sujet n’a jamais été aussi brûlant. Fin avril, l’administration Trump, à la tête de la première puissance maritime mondiale, a autorisé l’exploitation minière des abysses hors de tout cadre international, plaçant sur la sellette le plus vaste — et méconnu — écosystème du monde.

Un objectif sous-financé

Les données sur l’état de l’océan font froid dans le dos : au cours du dernier siècle, la masse totale des poissons prédateurs (les espèces les plus consommées par les humains, « sentinelles » de la santé des mers) a diminué de deux tiers.

En raison de l’envolée de nos émissions de gaz à effet de serre, les vagues de chaleur marines ont doublé depuis 1982, et l’océan est plus acide aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été depuis plus de 20 millions d’années. Quelque 24 400 milliards de particules de microplastiques flottent à sa surface, conséquence des 4,8 à 12,7 millions de tonnes de déchets dérivés du pétrole qui y échouent chaque année.

Bref : les participants à cette conférence internationale ont du pain sur la planche. Il ne faut toutefois pas s’attendre à ce qu’un traité international soit signé à son issue. « L’Unoc, ce n’est pas un lieu de décision comme le sont les COP, explique François Chartier, chargé de campagne Océans pour Greenpeace France. C’est davantage une caisse de résonance pour les États. »

Les températures grimpent, la biodiversité flanche. © Marie Boscher / Reporterre

« Son objectif, c’est de faire le point sur la mise en œuvre de l’objectif de développement durable n°14 », détaille Gauthier Carle, directeur général adjoint de la Plateforme Océan et Climat. Adopté en 2015 par l’assemblée générale des Nations unies, ce fameux « objectif 14 » vise à « gérer durablement » et mieux protéger des activités humaines les écosystèmes marins. Pour ce faire, il définit plusieurs cibles à atteindre : prévenir la pollution marine et les déchets en mer, réduire l’acidification des océans, mettre un terme à la pêche illégale…

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Parmi les dix-sept objectifs de développement durable établis par les Nations unies, l’objectif 14 est « l’un des plus sous-financés », regrette Gauthier Carle. Ses cibles sont par ailleurs loin d’être atteintes. Seuls 8,4 % des océans sont aujourd’hui protégés, alors que les Nations unies projetaient d’atteindre 10 % en 2020 et espèrent parvenir à 30 % d’ici à 2030. Au total, 2,7 % des océans sont fermés aux activités industrielles, le seul niveau de protection qui permette, selon les scientifiques, d’obtenir des résultats tangibles pour la vie marine.

« Ce que l’on peut raisonnablement attendre de l’Unoc, ce sont des engagements volontaires d’États », poursuit Gauthier Carle. Nicolas Fournier, directeur de campagne pour l’ONG Oceana, s’attend lui aussi à une émulation collective : « On espère que des décisions seront prises au niveau national, où les États ont des compétences et peuvent agir dès maintenant : sur la pêche destructrice, la pêche illégale, les aires marines protégées… »

Le double discours d’Emmanuel Macron

La France — qui dispose du deuxième territoire maritime au monde — est particulièrement attendue. Pétitions, propositions de loi, rapports scientifiques… La société civile et les parlementaires se mobilisent depuis des mois pour que le gouvernement en finisse avec ses aires marines protégées de « papier », où la pêche industrielle est autorisée malgré ses effets délétères.

Les poissons prédateurs en chute libre. © Marie Boscher / Reporterre

Les 7 et 8 juin, le président et la ministre de la Transition écologique ont fait de premières annonces. « Une des plus grandes aires marines protégées au monde », d’une surface de 4,5 millions de km², sera bientôt créée en Polynésie, a déclaré Emmanuel Macron. Une stratégie pour la protection des fonds marins a également été lancée. D’ici 2026, 4 % des eaux hexagonales seront placées sous « protection forte » et interdites au chalut de fond, contre 0,1 % aujourd’hui, a déclaré à la presse Agnès Pannier-Runacher. En comptant les territoires ultramarins et la nouvelle aire marine protégée polynésienne, 14,8 % des eaux françaises seront placés sous « protection forte », contre 4,8 % aujourd’hui.

Zoé Lavocat, chargée de la campagne dédiée aux aires marines protégées de l’association Bloom, dénonce une « imposture ». Les termes « protection forte », si séduisants qu’ils soient, ne correspondent « à rien » sur le plan juridique.

Dans ces zones, la pêche sera régulée au cas par cas, « en fonction du type de biodiversité à protéger », explique le cabinet de la ministre. La littérature scientifique suggère pourtant que seuls deux niveaux de protection peuvent avoir des effets bénéfiques sur la vie marine : la protection « intégrale » (interdisant toutes les activités extractives) et la protection « élevée » (autorisant uniquement la pêche artisanale et sélective).

« Rien de nouveau »

Avec la nouvelle stratégie du gouvernement, les 4 % des eaux hexagonales sous « protection forte » pourront toujours être exploités par des navires industriels pratiquant des techniques dommageables, comme la senne démersale ou le chalut pélagique. La France est encore loin des recommandations de l’Union européenne, qui préconise d’interdire tous les types de pêche dans au moins 10 % des eaux.

La stratégie du gouvernement n’acte par ailleurs « rien de nouveau », selon Bloom. L’association a remarqué que de nombreuses zones placées sous « protection forte » par le gouvernement recoupaient des zones déjà interdites au chalut de fond depuis 2017, année de l’interdiction du chalutage en eau profonde. C’est notamment le cas sur la façade atlantique. D’autres zones sous « protection forte » sont situées dans la bande des 3 milles marins, interdite au chalut de fond depuis déjà… trente-cinq ans, dénonce Zoé Lavocat.

Une « déclaration » non contraignante

Autres limites de l’Unoc : deux des principales menaces pour la vie océanique — le changement climatique et la pêche industrielle — ne sont pas clairement à son programme, regrette Zoé Lavocat. « La question du climat apparaît, mais jamais celle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre par la fin des énergies fossiles. Idem pour la pêche industrielle. Elle apparaît en filigrane, parce qu’il y a des débats prévus sur le soutien à la pêche artisanale, sur la pêche durable… Mais la manière dont nous pouvons concrètement mettre fin à la pêche industrielle et accompagner ce secteur en crise vers la transition n’apparaît pas. »

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À l’issue des cinq jours de discussions, une « déclaration de Nice » sera publiée. Négociée en amont à New York et déjà en grande partie écrite, elle ne sera pas contraignante juridiquement. Dans sa version actuelle, les Nations unies réaffirment, dans un langage consensuel, leur « engagement » en faveur des océans.

« Elle est très molle, regrette François Chartier. Et sur l’exploitation minière des abysses, on peut même dire qu’elle n’est pas à la hauteur. » Le texte se contente pour le moment de « réaffirmer la nécessité d’accroître les connaissances scientifiques sur les écosystèmes des grands fonds marins » et de « reconnaître le travail de l’Autorité internationale des fonds marins » en la matière.

« Remettre sur la table la question de la réduction des déchets à leur source »

Cela ne veut pas dire que l’Unoc sera nécessairement sans effets. Elle pourrait servir « d’accélérateur » pour plusieurs traités en lien avec l’océan : le Traité de protection de la haute mer, par exemple, qui doit encore récolter 31 ratifications avant d’atteindre les 60 nécessaires à son entrée en vigueur, et le Traité mondial sur le plastique, qui doit faire l’objet d’une nouvelle salve de négociations en août. « L’Unoc va être l’occasion de réaffirmer son ambition et de remettre sur la table la question de la réduction des déchets à leur source », espère Lisa Pastor, chargée de plaidoyer pour l’ONG Surfrider Foundation France.

Idem pour l’exploitation minière des abysses : « On espère qu’Emmanuel Macron et [le président du Brésil] Lula arriveront à mobiliser d’autres États, dit François Chartier. On ne s’attend pas à ce que la Chine soutienne subitement un moratoire, mais on peut imaginer qu’un certain nombre de pays africains commencent à bouger. » « On souhaite vraiment que la coalition des 32 pays en faveur d’un moratoire s’élargisse à l’Unoc », confirme à Reporterre l’envoyé spécial du président de la République pour l’Unoc, le diplomate Olivier Poivre d’Arvor.

Peu de chance, en tout cas, que les États-Unis se joignent à ces efforts. Début juin, l’Agence étasunienne d’observation océanique et atmosphérique était absente du congrès scientifique censé irriguer les discussions à l’Unoc. L’ambassade des États-Unis à Paris a confirmé à Reporterre que le pays n’aurait pas de délégation à la conférence de Nice. Seuls deux membres du groupe de travail chargé de conseiller le président Trump sur les affaires environnementales seront sur place, précise-t-elle. En tant qu’observateurs.

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Source: https://reporterre.net/Le-sommet-de-Nice-peut-il-vraiment-sauver-les-oceans

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/pour-sauver-les-oceans-la-france-mise-sur-un-sommet-sans-faire-de-vagues-reporterre-9-06-25/

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