
Près de trois semaines après le scrutin présidentiel, les résultats officiels devraient être proclamés jeudi 23 octobre. Les manifestations et affrontements se multiplient, tandis que des chiffres contradictoires circulent et que l’opposant Issa Tchiroma Bakary revendique la victoire.
Par Benjamin König
Le plus vieux dirigeant « élu » de la planète parviendra-t-il à se maintenir au pouvoir ? En place depuis 1982, Paul Biya, 92 ans, qui brigue un huitième mandat, est mis en difficulté par l’un de ses principaux opposants, l’ancien ministre Issa Tchiroma Bakary.
Et surtout par une contestation de plus en plus forte des Camerounais, las de voir se perpétuer un régime politique clanique et corrompu. « La différence, cette fois-ci, est qu’il y a un tel niveau de ras-le-bol que tout a été suivi de bout en bout par la population : les citoyens étaient présents dans tous les bureaux de vote pour surveiller. Les Camerounais se disent : « On doit être acteurs » », indique Augusta Epanya, membre de la direction de l’UPC-Manidem, parti de gauche historique.
Un Conseil constitutionnel aux ordres de Paul Biya
Depuis mardi 21 octobre, de nombreuses manifestations spontanées ont éclaté dans les grandes villes, de Yaoundé à Douala en passant par Garoua, la capitale régionale du nord du pays, dont est originaire Issa Tchiroma Bakary, qui a publié lundi 20 octobre des PV de l’élection qui prouveraient sa large avance.
Et si ceux-ci sont truffés d’erreur, le candidat assure que « nous n’avons pas fabriqué de chiffres ; nous les retranscrivons ». Mardi matin, un rapport de la commission nationale de recensement général des votes donne vainqueur Paul Biya avec un peu plus de 53 % des suffrages.
Mais il n’a aucune valeur officielle, et a été simplement transmis au Conseil constitutionnel, qui doit proclamer les résultats. Or, celui-ci est verrouillé, comme l’écrit Le Journal du Cameroun : les onze juges sons issus « des sphères judiciaires, politiques ou universitaires qui ont pour la plupart un lien historique parfois étroit avec le RPDC », le parti de Paul Biya.
Le pouvoir camerounais réprime les manifestations dans le sang
À Garoua, les manifestants ont défilé avec un outil devenu symbolique : des brouettes, pour « le ravitaillement en cailloux », armes dérisoires des manifestants contre les forces de l’ordre. Selon la presse camerounaise, une enseignante aurait été tuée par balles au cours des affrontements.
« La répression est féroce. Les villes sont particulièrement quadrillées », pointe Augusta Epanya. Toute manifestation est interdite, les arrestations sont légion, les motos-taxis, moyen de transport incontournable, interdites de circuler. Pourtant, des dissensions semblent se faire jour au sein des militaires. Au niveau de l’état-major, où « tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde », selon la militante. Et surtout chez les soldats, avec des « scènes où des militaires ont refusé de réprimer, d’aller tirer sur le peuple ».
Selon Jeune Afrique, Paul Biya aurait tenté « d’acheter » Tchiroma Bakay en lui proposant le poste de premier ministre. Ce que l’intéressé a refusé tout de go en dénonçant une tentative de « neutralisation politique ». Il aurait répliqué de façon ironique en « offrant » à Paul Biya, en échange de son départ, un poste… d’ambassadeur en Suisse, où il réside la moitié de l’année.
Pour les Camerounais, c’est d’abord le changement de régime et la « justice électorale » qui sont en jeu. Le reste attendra. « Tchiroma est un cacique du pouvoir, rappelle Augusta Epanya, mais une dynamique populaire peut s’installer. » Car le pays manque de tout : santé, emploi, éducation, infrastructures. Pour l’heure, le pire est à craindre, dans cette atmosphère ubuesque de fin de règne.
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