
En pleine discussion à l’Assemblée nationale, le projet de loi de finances 2026 prévoit d’exiger des communes, départements et régions un « effort » compris entre 4,7 et 10 milliards d’euros au minimum. Les élus locaux dénoncent un désastre social et financier.
Par Anthony CORTES.
Étrangler. Serrer à la gorge de manière à faire perdre la respiration, la vie. Rendre étroit, comprimer. Empêcher le libre fonctionnement, ruiner. Première, deuxième ou troisième définition de ce verbe… Toutes correspondent au traitement infligé aux collectivités locales (communes, départements et régions) sous la présidence d’Emmanuel Macron : la purge austéritaire.
Avec son projet de loi de finances (PLF) 2026, le gouvernement n’entend pas arrêter les frais, bien au contraire. La copie rendue par Sébastien Lecornu prévoit de demander aux différentes strates locales un effort minimal de 4,7 milliards d’euros, soit deux fois plus que l’année passée.
Des coupes massives qui menacent les services publics
Ça, c’est sur le papier. Car d’après le chiffrage d’André Laignel, président du Comité des finances locales (CFL), la note serait bien plus salée. Refusant le chiffrage de l’exécutif, celui-ci dénonce un plan d’économies « entre 8 et 10 milliards d’euros ».
En effet, selon le maire socialiste d’Issoudun (Indre), également vice-président délégué de l’Association des maires de France (AMF), les comptes du premier ministre n’englobent pas certaines coupes demandées aux collectivités territoriales qui entraîneraient pourtant de graves entraves à leur fonctionnement. « C’est le pire budget jamais présenté aux collectivités », dénonce-t-il auprès de l’Humanité.
Pêle-mêle : réduction des crédits du fonds vert, qui accompagne les collectivités dans les projets de transformation écologique des territoires, soit une perte de 500 millions d’euros. Baisse des moyens alloués aux agences de l’eau, qui s’emploient localement à préserver sa gestion, constituant un manque à gagner de 90 millions d’euros. Coupe rase également à l’Agence nationale de l’habitat, qui aide les localités dans leur politique d’habitat privé pour un montant de 700 millions.
Ponction sur les crédits des outre-mer. Amputation de 900 millions d’euros des crédits de la mission cohésion des territoires. Baisse de la compensation des valeurs locatives des locaux industriels de 1,2 milliard et de la dotation solidarité et égalité des chances pour 1,7 milliard. Mais aussi hausse de plus de 1,4 milliard d’euros des cotisations dues par les employeurs publics pour le régime de retraites des fonctionnaires territoriaux ou encore augmentation de la fiscalité sur la collecte des déchets…
Les communes face à un désinvestissement massif
« La liste n’a pas de fin », se désole l’élu local, qui s’interroge : « L’année dernière, François Bayrou nous annonçait près de 4 milliards d’euros d’économies demandées aux collectivités, finalement l’addition est autour de 7,7 milliards. Quel montant atteindra la saignée cette fois-ci ? »
Quoi qu’il en soit, ce plan d’économies, déplore André Laignel, se traduira par des « décalages de projets » et des « renoncements » qui devraient particulièrement affaiblir les services publics. « C’est la République que l’on attaque ! » s’indigne de son côté Gilles Leproust, maire PCF d’Allonnes (Sarthe) et président de l’association Ville & banlieue.
Avec des conséquences très concrètes dans chaque localité. Par exemple, selon ses calculs, ce nouveau coup dur porté aux collectivités privera sa commune de près de 500 000 euros. « Sur un budget total de 19 millions, c’est énorme, s’agace-t-il. Nos besoins n’ont pas diminué, la pauvreté n’a pas chuté, pourtant on nous coupe les vivres. Résultat : on va nous empêcher de déployer des actions au plus près des besoins des habitants. »
Une situation « d’autant plus insupportable »,dit-il, « que cela souligne un décalage entre la parole et les actes » au plus haut sommet de l’État : « D’un côté, on nous brosse dans le sens du poil en disant que les échelons locaux représentent la présence quotidienne et indispensable de la République. Et, de l’autre, on les met à l’os en remettant en cause toute l’architecture et donc son équilibre. »
Sur cette question, communes, départements et régions font front commun, craignant une « baisse de l’investissement » : les collectivités assurant 58 % de l’investissement public civil en France. « S’en prendre aux collectivités, les mettre à genoux, c’est un mauvais calcul. Quand les collectivités investissent, on fait travailler les entreprises locales », expose Christophe Bouillon, président PS de l’Association des petites villes de France et maire de Barentin (Seine-Maritime).
Les élus dénoncent l’injustice faite aux territoires
« Il y a déjà plusieurs départements en situation de quasi-faillite. Si on continue comme ça, on va dans le mur », observe François Sauvadet, président du conseil départemental UDI de la Côte-d’Or et de l’Assemblée des départements de France.
Des injonctions insupportables, mais aussi injustes. Plusieurs données l’attestent. Johan Theuret, cofondateur du Sens du service public et directeur général adjoint chargé des ressources de la ville et de la métropole de Rennes (Ille-et-Vilaine), les présente dans une note rédigée pour la Fondation Jean-Jaurès. « Les collectivités, pourtant peu responsables de la dégradation des comptes publics, voient leur participation augmenter dans des proportions sans rapport avec leur poids réel dans les finances nationales », s’insurge-t-il.
En effet, si la contribution des collectivités dépasse largement 15 % de l’effort national, leur dette (qui n’a progressé que de 10 milliards d’euros depuis 2017, contre 880 milliards pour l’État) ne représente que 8 % de la dette publique.
« Cette réalité contredit frontalement l’idée d’une responsabilité partagée dans la dérive des finances publiques, souligne Johan Theuret. Il ne serait pas juste que les collectivités locales contribuent au-delà de leur poids dans la dette publique à sa réduction, car leur part reste limitée. » C’est pourtant le discours que tient en continu le gouvernement : « Nous sommes tous dans le même bateau, il n’y a pas les collectivités d’un côté et l’État d’un autre côté », martèle la ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation Françoise Gatel, les appelant à la « solidarité financière ».
Un « acte de décentralisation » pour calmer la révolte
Si la colère est si profonde du côté des collectivités, c’est avant tout parce que la note du macronisme commence à être salée pour les localités. Tandis que les départements et les régions se plaignent d’être des « nains financiers » en comparaison de leurs voisins européens, sentiment renforcé pour les premiers par la perte des ressources de la taxe foncière sur les propriétés bâties, les communes, elles, craignent de ne plus pouvoir assurer ne serait-ce que le service minimum.
« On a absorbé toutes les hausses de tarifs depuis 2022, notamment sur l’énergie, en gérant les choses en interne pour ne pas augmenter les impôts. Cela alors que nous avons perdu l’essentiel de nos leviers fiscaux, notamment avec la suppression de la taxe d’habitation ou de la taxe professionnelle, énumère Gilles Noël, vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et maire de la petite commune de Varzy (Nièvre). On va en arriver au point où les collectivités ne pourront rien faire de plus que chauffer les écoles et balayer les rues. Même si c’est essentiel, ce n’est pas suffisant pour assurer le vivre-ensemble. » Le risque : creuser la fracture démocratique, à un échelon local qui était moins touché jusqu’ici par la défiance.
Pour tempérer les effets de sa bombe austéritaire, Sébastien Lecornu a promis un projet de loi « avant les municipales » consacrant un « nouvel acte de décentralisation » pour « identifier une fois pour toutes qui est responsable de quoi ». Une demande de longue date des régions et des départements, certes, mais qui passe mal au moment où le pouvoir d’action des collectivités est limité comme jamais.
« Parler de décentralisation tout en présentant un budget de recentralisation qui va rendre les collectivités dépendantes des dotations de l’État, c’est au mieux un paradoxe, au pire une tromperie, tacle André Laignel. Décentraliser oui, mais pas sans garantir notre autonomie financière et fiscale. » Soit l’antithèse de ce qu’a produit la Macronie depuis huit ans.
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