
Pour le président LFI de la commission des Finances, Éric Coquerel, ni le projet de loi de finances ni celui de la Sécurité sociale ne trouveront de majorité dans l’Hémicycle.
Par Cyprien CADDEO
Cette semaine sera déterminante pour le budget, le PS ayant menacé le gouvernement de censure si ses exigences n’étaient pas satisfaites. Le président insoumis de la commission des Finances, Éric Coquerel, estime, lui, qu’aucune majorité ne se dégagera.
Pourquoi avoir qualifié de « budget Frankenstein » le volet recettes du projet de loi de finances (PLF), rejeté en commission des Finances ?
Eric Coquerel, Président LFI de la commission des Finances à l’Assemblée nationale
Le budget Lecornu est inégalitaire et antisocial, dans la continuité des budgets macronistes, en pire. Mais il n’y a désormais aucune majorité pour voter le texte. Alors, au gré des majorités de circonstance qui se forment sur tel ou tel article ou amendement, le résultat final ne ressemble à rien et ne peut pas satisfaire une majorité de députés.
Il est probable que la partie recettes du budget soit également rejetée dans l’Hémicycle, même si nous ne sommes pas encore entrés dans le cœur du sujet, puisque le gouvernement a décidé de reculer à mardi les discussions autour des taxes sur le patrimoine. Tout cela renvoie au problème de fond : les gouvernements nommés par Macron sont toujours plus minoritaires.
L’an dernier, la gauche était parvenue à arracher quelques victoires dans le budget Barnier. Pas cette année. Qu’est-ce qui a changé dans l’équation politique ?
Il y a trois nouveaux éléments. Du fait de la stratégie de négociation du PS avec le gouvernement, la gauche rentre désunie dans le débat sur le budget. Certains amendements, portés par le NFP tout entier l’an dernier, comme mon amendement concernant l’impôt différencié sur les exilés fiscaux, sont rejetés cette fois-ci du fait de l’abstention des socialistes. On le voit aussi avec leur version rabotée de la taxe Zucman.
Ensuite, le RN épouse désormais plus franchement la ligne Bardella, c’est-à-dire une stratégie libérale de rejet des avancées sociales. Pour finir, les macronistes ne désertent plus. En 2024, ils misaient sur le 49.3 et étaient peu présents en séance, ce qui nous permettait de remporter des victoires en leur absence. Nous n’arriverons donc pas à transformer ce projet de loi de finances (PLF) en un budget compatible avec les propositions du NFP.
A fortiori alors qu’émerge une sorte de bloc trumpiste dans l’Hémicycle. Nous avons pu l’observer avec les amendements qui cherchent à sabrer dans le budget de la culture ou à diaboliser les agences de l’environnement.
À défaut de victoire à gauche, cela montre encore une fois que le RN ne défend pas les classes populaires…
C’est ce qui est rageant ! La désunion de la gauche nous rend moins audibles quand il s’agit de pointer les votes des élus RN. Rappelons qu’ils s’opposent à toute mesure de taxation des plus riches, à toute mesure de justice fiscale et environnementale… Leur contre-budget le montre : ils proposent 100 milliards d’euros d’économies, en endossant toutes celles que le gouvernement entend réaliser. Tout en expliquant être opposés au budget Lecornu…
Dans la guerre des récits autour du budget, où chacun s’accuse de pactiser avec l’ennemi, le PS a reproché à LFI de « voter avec la droite » contre le gel de l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu. Précisons que les communistes et une partie des écologistes ont fait le même choix que vous. Pouvez-vous expliquer les raisons de ce vote ?
Le gel de l’indexation proposé par le gouvernement est une mesure injuste. Les mêmes qui accusent la gauche de matraquage fiscal et refusent la taxation des ultra-riches cherchent à augmenter l’impôt sur le revenu de tous les Français. 200 000 nouveaux foyers auraient été imposables.
En commission, nous n’avions pas voté pour l’amendement en question, porté par Laurent Wauquiez, qui propose d’indexer toutes les tranches sur l’inflation, parce que nous estimons que la tranche la plus haute de l’impôt sur le revenu ne doit pas être indexée. Mais le risque est de se retrouver avec un texte injuste pour les tranches intermédiaires, où seule la tranche la plus basse bénéficiait de l’indexation.
Nous avons donc changé de stratégie dans l’Hémicycle. Le PS a tenté d’allumer un contre-feu pour faire oublier qu’il négocie aux yeux de tous un accord avec les macronistes.
Le débat budgétaire prévoit de discuter des recettes avant de débattre des dépenses. N’est-ce pas un problème structurel ?
Tout à fait. C’est la logique même de l’austérité et c’est très lié à l’article 40 de la Constitution (principe d’irrecevabilité financière, si un texte implique une nouvelle dépense, NDLR). On détermine les recettes avant même d’avoir discuté des besoins. Nous pouvons supprimer l’article 49.3 mais l’article 40 est le véritable outil de censure du Parlement, par l’exécutif, dans les discussions budgétaires.
La presse libérale s’inquiète des notes dégradées de la France par les agences de notation. Cette panique financière est-elle justifiée ?
Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas s’occuper du déficit, ni s’inquiéter des taux auxquels on emprunte, largement imputables à l’instabilité politique provoquée par Macron, mais il est faux de dire que tout serait hors de contrôle. La France reste un des 15 placements sûrs dans le monde.
Par ailleurs, si notre déficit augmente, c’est précisément du fait de l’effet récessif de la politique de l’offre macroniste. Il s’agissait pour eux de favoriser les revenus du capital pour créer de l’investissement et de l’emploi. Cette politique n’atteint pas ses objectifs : la productivité baisse, la pauvreté explose, le chômage repart à la hausse.
Quel est le scénario le plus probable selon vous concernant le PLF et le budget de la Sécurité sociale ?
Aucun des deux textes ne sera adopté par le vote, faute de majorité. Si cela passe par ordonnances, Lecornu sera censuré a posteriori, mais le texte sera appliqué, ce qui pourrait convenir à Emmanuel Macron, qui n’aurait qu’à renommer un énième gouvernement minoritaire. À LFI, nous espérons que ce budget sera rejeté dans l’Hémicycle, que le gouvernement sera censuré et que nous retournerons aux urnes. Auquel cas le budget de l’an passé serait reconduit via une loi spéciale, en attendant un PLF rectificatif.
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