
« La brutalité des mesures de Trump peuvent nous faire penser qu’en France, on n’en est pas là. Mais les mêmes méthodes d’amalgame sont à l’œuvre pour faire taire », nous rapporte des enseignants de cette université.
Par correspondant IO
Pouvez-vous résumer ce qui s’est passé à l’université Lyon II ?
Le 1er avril dernier, le cours d’un enseignant-chercheur en géographie, Fabrice Balanche, a été interrompu par un commando d’une quinzaine d’individus cagoulés lui reprochant ses positionnements sur Gaza et son soutien présumé au régime de Bachar al-Assad.
La présidence de l’université a condamné l’action, assuré l’enseignant de son soutien institutionnel et pris les mesures nécessaires : signalement immédiat aux autorités compétentes et mise en place d’une protection fonctionnelle. Mais le collègue – également élu LR à la mairie de Caluire-et-Cuire –, non content de ces mesures, a alors multiplié les interventions dans les médias, accusant ces perturbateurs d’être des islamistes et des islamo-gauchistes, puis dénonçant, entre autres accusations, un prétendu « entrisme islamiste » à Lyon II et une complaisance idéologique de la part de l’université et de sa présidence. Rapidement, la presse a relayé ces accusations, tandis qu’un groupe d’étudiants se baptisant « Autonomes Lyon 2 » revendiquait cette action.
La médiatisation et l’instrumentalisation de cet événement se présentaient, de mon point de vue, comme une stratégie de diversion et un moyen de discréditer le mouvement en cours dans les universités contre le génocide à Gaza et les coupes budgétaires dans l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR). Il y avait des mobilisations importantes dans les universités de Rouen et Bordeaux.
À Lyon II, un tract intersyndical avait précisé le grave impact des coupes budgétaires sur les formations, les recrutements et les conditions de travail. Il semblait alors judicieux de ne pas tomber dans une forme de piège en consacrant du temps et de l’énergie à cette affaire périphérique. D’autant que de nouvelles coupes étaient annoncées pour augmenter les dépenses militaires.
Comment la situation a-t-elle ensuite évolué ?
La situation a rapidement évolué et exigé un changement de point de vue. Le basculement s’est produit lorsque la stratégie des médias et des élus LR a dépassé l’objectif initial de dénigrer le mouvement universitaire en cours pour viser un objectif plus vaste : exploiter cette actualité comme tremplin pour menacer en profondeur l’institution universitaire dans ses fondements, son autonomie et sa liberté académique, suivant un schéma similaire à celui de Trump aux USA.
Les prises de parole du maire LR de Bron (J. Bréaud), et de la région (L. Wauquiez) sont éloquentes : il faut « nettoyer » les universités de la « gangrène islamo-gauchiste », non seulement exiger la démission de la présidente, mais passer « un coup de balai », demander une « mission d’inspection » sur les « dérives islamo-gauchistes et wokistes » à Lyon II et plus largement dans les universités, etc., libérant la parole de droite et d’extrême droite qui reprend en chœur les propos et accusations diffamantes à l’encontre de Lyon II et de l’institution universitaire.
L’appui à cette offensive par un appel signé par Blanquer, Ferry, anciens ministres de l’Éducation nationale, etc., exigeant la démission de la présidente de Lyon II, donnait un caractère national et semi-étatique à ce procès en règle sur le mode trumpiste.
Isabelle von Bueltzingsloewen, réélue à la présidence de l’université en février 2025, était dans le même temps personnellement victime d’une violente campagne d’insultes et de diffamation sur les réseaux sociaux. On n’était plus dans un problème local : menace de retrait des subventions de la région, mise au pilori de collègues par des amalgames mensongers, etc. Le maccarthysme se déchaînait.
Quelle fut la réaction des enseignants ?
Stupeur et colère face à des accusations mensongères, ignobles et intolérables. La présidente de Lyon II était obligée de réagir à ces insultes, ce qu’elle a fait par l’intermédiaire d’interviews dans la presse locale et nationale (Tribune de Lyon et Le Monde).
Une tribune de soutien à la présidente et à l’institution universitaire, rétablissant les faits, a été lancée et a atteint aujourd’hui 1 500 signatures parmi les membres de l’ESR – tribune qui, pour l’heure, n’a été que très peu relayée par les médias, alors que la tempête médiatique s’était déchaînée pour relayer les affabulations contre l’université.
Un communiqué national de la Libre Pensée a rappelé les aspects essentiels de cette affaire qui, perçue à travers le seul prisme médiatique, peut sembler confuse. Une opération probablement planifiée de longue date et saisissant une opportunité, puis une campagne d’ampleur. M. Wauquiez n’hésitant pas à demander « une mission d’inspection contre la dérive de Lyon II » (Le Monde, 18 avril).
L’Assemblée nationale vient de voter la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) et de ses évaluations, dénoncées comme servant d’outils de justification de réductions budgétaires et de suppressions de filières. Alors comme par hasard arrivent ces « incidents » puis leur utilisation en spirale comme une stratégie de la tension, dans le cadre des discours de Retailleau, Valls, Darmanin.
Y a-t-il un rapport avec le mouvement Stand Up for science ?
Il y a eu un rassemblement place des Terreaux à Lyon, environ 500 scientifiques, plutôt en solidarité avec les scientifiques américains. Mais ce qu’il s’est passé à Lyon II amène à réfléchir. La brutalité des mesures de Trump avec les coupures violentes de crédits à Columbia (New York), Harvard (Massachusetts), les arrestations-déportations d’étudiants, les injonctions à se soumettre à un contrôle permanent de leurs moyens d’expression, peuvent nous faire penser qu’en France on n’en est pas là. Mais les mêmes méthodes d’amalgame sont à l’œuvre pour faire taire.
En France comme aux États-Unis, critiquer le gouvernement Netanyahou et le massacre des Palestiniens est taxé d’antisémitisme. Et tout un climat de menaces est créé contre l’esprit critique, le libre examen des faits, donc la méthode scientifique. À l’ENS de Lyon, une conférence de Pierre Stambul de l’UJFP sur la Palestine a été gravement perturbée par une quinzaine de personnes (non étudiantes) qui ont empêché tout débat par leurs hurlements. La direction de l’ENS a porté plainte à juste titre.
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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/05/09/que-sest-il-passe-a-luniversite-lyon-ii/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/que-sest-il-passe-a-luniversite-lyon-2-io-fr-9-05-25/