Une mobilisation d’une ampleur inédite s’est emparée des rues de Rennes jeudi 19 janvier 2023, contre la réforme des retraites. Environ 20 000 manifestants ont défilé, de manière déterminée mais pacifique, dans leur immense majorité.
La place de Gaulle est bondée, les SMS ne passent plus. À peine 30 minutes après le rendez-vous donné à 11 h par les syndicats, il ne reste plus que les drapeaux et pancartes qui dépassent de la masse pour retrouver les amis ou collègues à qui on a donné rendez-vous. On devine déjà une mobilisation d’ampleur, tant la foule est dense et bigarrée : familles avec enfants, collègues, étudiants, retraités…
Entre 17 000 et 25 000 manifestants
Une mobilisation de grande ampleur, puisqu’elle a rassemblé entre 17 000 manifestants (selon la préfecture) et 25 000 (selon le syndicat Force ouvrière). La dernière grosse reforme (avortée) des retraites, avait mobilisé 16 000 manifestants à Rennes, en 2019.
« On avait voté pour le moins pire au second tour de la présidentielle donc on s’était dit qu’on irait dans la rue si une des réformes ne nous convenait pas, expliquent Delphine et Olivier, couple de trentenaires venus avec leur fille Solène, 5 ans. On l’avait emmenée au bureau de vote et on lui avait expliqué, voilà pourquoi on vient avec elle manifester aujourd’hui ».
« L’environnement, ça me semble plus urgent que les retraites »
Cette réforme qui repousse l’âge de la retraite de 62 à 64 ans est « une bêtise, estime Delphine : il y a d’autres préoccupations primordiales comme l’environnement. Ça me semble plus urgent que de réformer des retraites. C’est chouette de voir autant de monde mais au fond, c’est triste. »
Vers 11 h 45, les premiers manifestants se mettent en marche vers le boulevard Magenta, derrière les syndicats qui se sont dotés d’un service d’ordre pour se prémunir de la casse et des débordements. Dès l’avenue Janvier, une cinquantaine d’étudiants arrive à prendre la tête du cortège derrière une banderole « AG Rennes 2 ».
Alors que les gendarmes mobiles barrent l’accès au centre historique, les premières explosions et fumigènes se font entendre sur les quais où le cortège se scinde en deux : d’un côté les syndicats et de l’autre les étudiants.
Service d’ordre des syndicats
La tension commence à monter à l’avant, où des vitrines sont brisées sur les quais, pendant que l’immense majorité des manifestants continue de décoller doucement de l’esplanade de Gaulle. « On est retraités mais solidaires avec les jeunes », revendiquent Pascal et Marie, pour qui « c’est une reforme injuste. Ceux qui ont des métiers difficiles, les plus précaires qui vont en souffrir ».
Elle pointe du doigt « le monsieur là, qui lave les carreaux du bâtiment avec son immense perche : travailler jusqu’à 64 ans ? Il finira en invalidité avant et la retraite a 1 200 € il peut s’asseoir dessus ! C’est une reforme injuste. On est révoltés ! Macron démission ! »
Un peu plus loin, Hélène, Catherine, Marie-Jeanne et Annaïck, quatre copines elles aussi retraitées, pensent aux salariés et surtout aux salariées, premières victimes de cette « réforme qui accentue les inégalités entre les hommes et les femmes car elles gagnent moins, ont des carrières plus hachées et touchent moins de retraite ».
« Moi par exemple, témoigne Hélène, ancienne enseignante, je suis partie à 63 ans, car j’ai pris le temps d’élever mes enfants. Pour moi c’est l’extrême limite. Je ne vois pas mes collègues encore à 64 ans devant des enfants. » Catherine a elle aussi travaillé à mi-temps le temps quand ses enfants étaient jeunes. Bilan : « 1 200 € de retraite. »
Des étudiants et même lycéens, comme Lou et Corentin, sont aussi mobilisés : « C’est nous les prochains concernés, et je crains que l’âge de la retraite puisse encore reculer avec les prochains présidents. Si on ne manifeste pas maintenant, on ne sait pas quand ça s’arrêtera. »
À l’avant du cortège, vitrines brisées et incendie
Pendant que l’interminable cortège avance au pas avenue Janvier, puis sur les quais, ils sont encore plusieurs milliers esplanade de Gaulle, à patienter. CGT, FO, CFTC, Solidaires, Union pirate, groupes féministes, LFI, EELV… Rarement tant de banderoles syndicales et de partis n’ont été de sortie. Alors que les parents, enfants, salariés et retraités avancent au pas, en musique voire en chanson, mais dans le calme, les tensions s’accumulent en tête de la manifestation.
Environ 200 jeunes radicaux continuent à s’en prendre des vitrines, cette fois boulevard de la Liberté. Des syndicalistes tentent de s’interposer, ils sont violemment repoussés par les casseurs. Les forces de l’ordre chargent plusieurs fois, place de Bretagne puis près des Halles centrales, où le feu a été mis à une voiture.
Retour au calme
Canon à eau et gaz lacrymogènes sont utilisés à plusieurs reprises. Un face-à-face tendu s’installe au carrefour avec la rue d’Isly. Vers 14 h, le calme finit par revenir, alors que des flots de manifestants pacifiques achèvent leur défilé esplanade du Général de Gaulle, avec le sentiment d’avoir réussi mobilisation « impressionnante, interprofessionnelle et intergénérationnelle », conclut Fabrice Lerestif, secrétaire général du syndicat FO 45. Qui appelle à la « mobilisation jusqu’au retrait du projet ».
Auteur : Virginie ENÉE et Olivier BERREZAI.