RÉCIT. Ils étaient les seuls à y croire: le combat des salariés pour sauver la centrale à Cordemais(OF-3/03/23)

C’est dans cet appareil, « une sorte de grosse cocotte-minute, dans laquelle on mettait le bois », dit Gwenaël Plagne, que les essais ont été effectués pour s’assurer de la faisabilité du process industriel.

Annoncé comme mort et enterré plusieurs fois, le projet Ecocombust, imaginé en 2016, vient d’être validé. Les salariés de la centrale de Cordemais racontent comment ils l’ont porté à bout de bras.

Elle l’ignore peut-être, mais Ségolène Royal est indirectement à l’origine d’Ecocombust, la future usine qui produira bientôt un combustible plus vertueux que le charbon. On est en 2015, la COP 21 vient de s’achever à Paris et la surenchère politique écolo démarre tambour battant.

Dans les mois qui suivent, la ministre de la Transition écologique annonce la création d’une taxe carbone sur les centrales à charbon. Pour les salariés de ces centrales, c’est un coup de massue et un moment déclencheur. « À ce moment-là, on a senti le vent tourner, se souvient Gwenaël Plagne, de la CGT, le charbon était montré du doigt, il fallait agir. »

Premiers essais dès 2016

Le coup fait d’autant plus mal que 400 millions viennent d’être investis pour moderniser la centrale, dépolluer les fumées (Nox, poussières, soufre…) sauf le CO2. « Parce que le projet de modernisation de la centrale a été arrêté en 2010, et à ce moment-là, le CO2 et le climat n’étaient pas sur la table », rappelle Gwenaël Plagne. « Dès 2016, raconte-t-il, on fait nos premiers essais, on brûle des blacks pellets achetés en Suède à la centrale. »

Des ingénieurs et techniciens maison se mobilisent pour mener des expériences en divers endroits de la centrale afin de mesurer si le charbon « vert » fonctionne aussi bien que le noir. Les premiers essais s’avèrent vite concluants. Mais la ressource en pellets est faible. Elle ne suffira pas à satisfaire les besoins de la centrale.

À Cordemais, on se creuse la tête. Un cabinet de Saint-Nazaire est sollicité pour travailler sur l’idée du captage de CO2, par des micro-algues, qui se nourrissent de CO2 et rejettent de l’oxygène. Idée finalement abandonnée, car le process est difficile à transposer à l’échelle industrielle.

Fin 2017, une autre idée germe : produire des pellets localement, en utilisant le bois d’élagage, et en les brûlant sur place. Du circuit court. Des ingénieurs se remettent au boulot. Tâtonnent. De nombreux mois seront nécessaires pour aboutir à un produit proche des blacks pellets suédois, « fabriqués avec de la sciure de bois ». C’est presque ça mais pas satisfaisant.

Fin 2018, les agents y croient

Dans leur labo, les « Géo Trouvetou » de la centrale continuent de se creuser les méninges. Il leur faut trouver un produit fini de meilleure facture, plus homogène. Ils se tournent alors vers le bois de classe B – déchets d’ameublement… – plutôt que les produits d’élagage. Les résultats sont beaucoup plus concluants.

Mais les politiques traînent les pieds. La direction d’EDF aussi. Pour avancer encore, les agents ont besoin de passer au stade pré-industriel en se dotant cette fois d’un démonstrateur. Il faut dix millions.

Une nouvelle fois, la direction d’EDF tergiverse. Les salariés tapent du poing sur la table et se mettent en grève. Fin 2018, le démonstrateur est capable de produire une tonne de pellets à l’heure. Les salariés sont convaincus d’être sur le bon chemin. La centrale digère parfaitement les pellets, ils peuvent être produits sur place. « On sait, à ce moment-là, que si on arrive à produire des pellets, notre process industriel fonctionnera », se souvient Gwenaël Plagne.

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« Chaque année, on a lâché notre 13e mois »

Symbole d’une mobilisation qui ne s’est jamais démentie, ce rassemblement, le 16 septembre 2021, à l’appel de la CGT, en présence du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez.

Pourtant, la résistance des pouvoirs publics semble inoxydable. Les tests se poursuivent, pour vérifier que la centrale serait capable de fonctionner avec toujours plus de pellets avant, qui sait, de pouvoir se passer définitivement du charbon un jour. « On est monté à un mélange de 87 % de pellets et 13 % de charbon, et ça marchait ! » Les salariés sont aux anges.

Pourtant, ça freine, encore et toujours. Les politiques n’y croient pas. 2022 doit théoriquement sonner le glas de la centrale de Cordemais, c’est une promesse de Macron. C’est encore une grève, de 63 jours, qui va permettre de débloquer le dossier. « Chaque année, on a lâché notre treizième mois, pour se mettre en grève et arracher ce dont on avait besoin pour poursuivre. »

François de Rugy, alors ministre de la Transition écologique, accepte d’étudier le projet. Une autre bataille commence. Moins industrielle. Et plus juridique, « afin de lever les obstacles réglementaires un par un ». Jusqu’à ce que le patron d’EDF siffle la fin de partie, en juillet 2021, pour ce qui semble être le coup de grâce et la fin d’un rêve industriel.

C’est sans compter sur la ténacité des salariés. Sonnés, mais pas KO, ils ne lâchent pas. « Même si chaque fois, on se dit que c’est le rendez-vous de la dernière chance », raconte Fabien Deschamps. Le 9 septembre 2021, alors que la messe est dite, Barbara Pompili, qui a pris la succession de François de Rugy à la tête du ministère de la Transition écologique, leur accorde un ultime sursis. « À condition qu’on trouve un repreneur à la place de Suez », se souvient Gwenaël Plagne. Ce sera Paprec. Le projet qui semblait mort et enterré est sauvé. Pour de bon cette fois. L’usine d’Ecocombust n’existe pas encore. Elle a pourtant déjà une longue histoire.

Philippe ECALLE

source: https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/cordemais-44360/recit-ils-etaient-les-seuls-a-y-croire-le-combat-des-salaries-pour-sauver-la-centrale-a-cordemais-d99d3e36-a214-11ed-92f2-333ccb208462

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