
Cet entretien réalisé par PositionsRevue se fait à la suite de la tribune publiée début juillet, que vous pouvez retrouver à l’adresse suivante : https://urcommuniste.fr/2025/07/11/appel-rassemblement-jeunes-communistes/ . Il donne la parole à Quentin LM (ancien secrétaire fédéral des Jeunes Communistes du Nord) et Naïm Bouamama (ancien secrétaire à la formation des Jeunes Communistes du Nord),
Un regard critique sur ce que nous avons vécu, et sur ce qu’il reste à faire
Quelle a été votre expérience au MJCF ?
Nous sommes avant tout les héritiers d’un contexte et d’une génération de militant.e.s de la « reconstruction ». Le MJCF avait presque disparu à la fin des années 1990 / début 2000 et s’est reconstruit presque à partir de rien. Les bases théoriques et pratiques avaient, elles, complètement disparu. Nous faisons partie de cette génération qui a dû rechercher et questionner le passé pour reconstruire le présent.
Pour des jeunes ayant l’envie de s’organiser contre le système capitaliste, le MJCF représentait tout de même à l’époque (à partir de 2005) l’organisation de jeunesse la plus dynamique et la plus sérieuse pour y mener des combats politiques. Comme de nombreux camarades qui ont adhéré à un moment au MJCF, on y est d’abord entré pour changer la société et combattre les inégalités. Ça faisait sens de faire partie d’une organisation qui réunissait les « jeunes communistes », même sans en comprendre parfaitement le sens. Quand on adhère à la JC, c’est parce que c’est la seule force qui organise assez massivement les jeunes de ce pays sur des bases anticapitalistes. Et comme beaucoup de camarades, on y a consacré un nombre incalculable d’heures pour construire cette organisation. Nous avons dans le même temps recherché, développé des outils pour nous former, pour être plus efficaces sur le terrain. Sur la base d’actions, de manifestations, de débats, de lectures, de réunions publiques, la JC a donc pu représenter une véritable école de formation.
Puis selon une logique purement dialectique, c’est le mouvement réel qui a fait évoluer les contradictions. Que ce soit sur le plan théorique ou pratique, on s’est progressivement rendu compte que le MJCF était rempli de contradictions. En son sein existaient déjà depuis longtemps des lignes de fractures idéologiques, entre une direction historique qui a suivi toutes les orientations politiques prises par le PCF, et des bases, qui, dans leurs diversités, se battaient pour défendre les principes révolutionnaires qui étaient progressivement abandonnés. Pendant des années, on a participé aux débats, aux niveaux local et national. On a vécu des Congrès et des ANA. On a fait vivre la démocratie de l’organisation, en essayant d’y défendre une ligne marxiste-léniniste. Mais que ce soit sur les principes (anti-impérialisme de classe, dictature du prolétariat, centralisme démocratique) ou sur les revendications concrètes (soutien à la résistance palestinienne, sortie de l’UE, lutte contre l’islamophobie, par exemple), on a constaté une impossibilité à faire sortir la ligne du MJCF du giron réformiste que lui imposait le PCF, malgré une indépendance inscrite dans les statuts.
Et en fait, ce n’était pas tellement la démocratie interne en soi le problème, au niveau local cela fonctionnait plutôt bien. Bien sûr, comme dans toutes les organisations, on a vécu les petites manœuvres pour tenter de cadenasser les possibilités de changement. Mais ce qui empêchait vraiment le MJCF d’évoluer vers une ligne révolutionnaire, c’était qu’il était non seulement organiquement lié au PCF, mais qu’il lui était même concrètement inféodé. Au niveau financier notamment, que ça soit aux niveaux national ou local, rien ne pouvait se faire sans l’argent du « Parti ». Cela amenait de l’autocensure, mais parfois cela passait aussi directement par des pressions politiques : il ne fallait pas dire telle chose sinon on allait nous enlever telle subvention.
Certaines prises de position électorales du PCF nous paraissaient également suicidaires et étaient sources de débats et de tensions. Le soutien tardif et « à reculons » à la campagne de Mélenchon en 2017, la stratégie « d’autonomisation » du PCF dans les élections, pour mieux soutenir l’allié socialiste au final, a par exemple été un point de rupture pour de nombreux camarades. Une autre grande ligne de fracture a été le constat des réflexes racistes du PCF et de son appareil. Le rejet de la notion « d’islamophobie » qui était artificiellement opposée à celle de laïcité, les discours islamophobes sur le port du voile ont eu raison de l’engagement de beaucoup de jeunes communistes.
Alors bien sûr, on nous permettait une certaine marge de manœuvre. Avoir une branche de jeunesse qui apparaissait plus radicale permettait parfois au PCF de se donner une façade pseudo-révolutionnaire alors même qu’il trahissait toujours plus le combat de classe. Mais au bout d’un moment, on s’est rendu compte que militer au MJCF était une impasse. On se battait pour construire une organisation qui par essence n’accordait aucun avenir à des militants se revendiquant du marxisme-léninisme. Le choix a été très simple : trahir ses idées ou quitter le PCF et les faire vivre ailleurs. Compte tenu de l’histoire, c’est très logique en fait. Mais comme il apparaît de plus en plus clair aujourd’hui qu’il faut reconstruire un parti communiste révolutionnaire en dehors du PCF, parce qu’on ne pourra de toute évidence plus le réformer de l’intérieur, le MJCF, dans sa forme actuelle, devient alors forcément aussi une impasse.
L’âge avançant et la vie se faisant, on a quitté la JC, même si comme beaucoup de camarades on garde un attachement à cette organisation. Et tout particulièrement parce que, malgré toutes les critiques qu’on peut lui faire, c’est là qu’on a reçu les bases de notre formation de militants communistes. Mais c’est justement le fait de s’être formés, d’avoir lu Marx, Engels, Lénine ou Angela Davis, d’avoir appris l’histoire du mouvement communiste et des expériences du socialisme réel, qui nous ont fait comprendre que le MJCF était une impasse autant que le PCF. Notre formation nous avait par ailleurs appris que la révolution ne sera pas faite par l’organisation communiste mais par les masses, c’est pourquoi même quand nous avons quitté le MJCF nous sommes restés militants, à la CGT, dans les organisations qui soutiennent la Palestine ou Cuba, les organisations antiracistes ou de sans-papiers.
Pourquoi vous avez voulu écrire ce texte ?
À la base, on avait commencé à l’écrire suite au meurtre de Nahel et aux révoltes qui ont suivi. Les réactions du PCF, et particulièrement de Fabien Roussel, ne nous ont pas vraiment surpris, mais c’était un peu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. On s’est dit à ce moment-là qu’il y avait un vrai enjeu à écrire un texte pour dénoncer ces dérives, et particulièrement de le faire en tant qu’anciens JC. Parce que même si on peut faire énormément de critiques au MJCF, c’est objectivement une porte d’entrée dans le militantisme communiste pour des milliers de jeunes. Et justement le problème c’est qu’après avoir passé la porte, on se retrouve souvent face à un mur.
Bref, le temps a passé et on a fait un peu tourner le texte autour de nous. Mais au final, même si on avait écrit un truc tout à fait potable, on s’est dit que ce n’était plus vraiment pertinent de le publier « publiquement ». Entre-temps, beaucoup de choses ont eu lieu. Le 7 octobre et le début du génocide à Gaza. Les élections législatives et le NFP. La fascisation qui s’accélère, et dont l’islamophobie est l’un de pires marqueurs. En fait, à chaque fois, les sorties médiatiques de Roussel et du PCF, par exemple sur le « racisme anti-blanc », étaient une nouvelle trahison à nos yeux. Pourtant on n’avait pas d’illusions sur le personnage. On l’a connu en tant que secrétaire fédéral du Nord avant qu’il ne devienne secrétaire national, et c’était déjà un réformiste et un opportuniste. Nous n’avions pas d’illusions non plus sur sa stratégie pseudo-identitaire de défense d’un parti qui n’a gardé de communiste que le nom. Nous voyons bien, que malgré le discours identitaire, cette stratégie n’a pour seul but que de permettre de négocier avec la social-démocratie le maintien des derniers bastions électoraux du PCF pour garantir la rente de ses derniers bureaucrates.
Depuis plusieurs mois, en discutant avec des camarades avec qui on militait à l’époque et avec qui on milite parfois toujours, on s’est rendu compte que notre ressenti était partagé par beaucoup d’ex ou d’actuel.le.s camarades. Et on s’est aussi rendu compte qu’il y avait des camarades, qu’on ne connaissait pas forcément, encore adhérent.e.s au MJCF, qui partageaient aussi cette analyse. On a mis un peu de temps à peaufiner le texte retravaillé, et on a fini par le sortir début juillet. On a pris trois exemples de sujets qui illustrent la dérive totale du PCF, en sachant pertinemment que ce n’était pas exhaustif. Mais on pense que ces trois sujets illustrent bien les trahisons théoriques et pratiques qui ont eu lieu. Et surtout, ce sont des vraies lignes de fractures générationnelles, entre les anciennes générations de militant.e.s du PCF qui ont perdu leurs boussoles idéologiques, et les nouvelles générations, particulièrement touchées par la crise, qui, si elles ont parfois moins de formation politiques, sont bien plus confrontées à la réalité du capitalisme en crise.
Ce texte on l’adresse à toutes et tous les camarades qui partagent notre constat sur l’incapacité du PCF à porter les luttes révolutionnaires dont le pays a besoin. Ancien.ne.s ou actuel.le.s jeunes communistes, on est des milliers, au-delà des différences d’expériences, à avoir un moment milité comme des véritables communistes. Le MJCF a été une véritable école de formation politique, et on pense que c’est un gâchis énorme que tant d’ancien.ne.s jeunes communistes se retrouvent, après des années de militantisme, seul.e.s dans la nature. Donc on veut avancer, et ça commencera par discuter, débattre, confronter des idées. Mais il faut reconstruire l’unité des communistes, sur des bases de classe.
Quelles sont pour vous les perspectives pour le mouvement communiste en France ?
Comme on le dit dans le texte, pour nous il faut faire un constat froid. Le PCF est devenu un parti réformiste qui ne défend plus la lutte des classes, ni dans ses textes, ni dans ses analyses. Il n’a plus de programme révolutionnaire et n’existe plus que par des résultats électoraux minimes. Il n’est plus présent dans les luttes sociales et n’organise plus le travail des communistes auprès des masses.
Et cette analyse de la déliquescence du PCF, en vérité, n’est pas nouvelle. Elle est venue historiquement à la fois de l’extérieur du parti, mais aussi de l’intérieur. L’un des premiers vrais exemples, c’est la « Lettre des 9 au Comité Central du PCF » de novembre 1981. Depuis, les critiques n’ont jamais cessé, car le réel confirme ce que ces camarades dénonçaient déjà il y a presque 45 ans : se rallier au réformisme est une impasse, et sans un retour à l’analyse matérialiste et dialectique, sans un retour du centralisme démocratique et du marxisme-léninisme, le PCF est condamné à toujours plus trahir les principes révolutionnaires. Chaque mouvement social, chaque élection, chaque congrès montre que le PCF ne joue plus le rôle historique qu’il avait joué pendant des décennies, le rôle que tout parti communiste doit jouer : être l’avant-garde du mouvement révolutionnaire.
À partir des années 1990, les premières organisations extérieures au PCF ont commencé à émerger, notamment la Coordination Communiste nationale. On ne va pas refaire l’histoire, mais c’est important de la connaître, parce que, et c’était déjà le cas à l’époque où on était la JC, on est souvent caricaturé.e.s par les bureaucrates du PCF et du MJCF comme des jeunes gauchistes dont la radicalité ne serait qu’une passade. La réalité, c’est qu’on fait une critique tout à fait intergénérationnelle, mais qui, on le pense, peut particulièrement parler aux jeunes d’aujourd’hui qui n’ont plus l’attachement organiques que les camarades plus ancien.ne.s avaient vis à vis du PCF.
Ce qu’il faut aussi intégrer dans l’analyse de toute cette période qui est en train de se terminer, c’est bien sûr le contexte national et international. La chute de l’URSS a ouvert une période de contre-révolution dans le monde entier. On ne peut rien comprendre aux évènements des dernières décennies si on ne le prend pas en compte. La bourgeoisie a proclamé la fin de l’Histoire, et beaucoup l’ont cru. Rares étaient les camarades qui ont tenu bons, qui n’ont pas abandonné leurs idéaux et ont continué de militer en communistes en diffusant des analyses marxistes-léninistes. Il faut leur rendre hommage. Nos générations sont celles qui sont nées pendant cette période, à laquelle a succédé l’actuelle. Notre réalité à nous, c’est celle du capitalisme en crise, de la fascisation généralisée et du repartage du monde par les impérialistes, à laquelle les peuples résistent, et qui peut nous permettre, maintenant, de faire revivre une analyse de classe. Nous n’avons pas vécu les traumatismes de nos ancien.ne.s, et c’est maintenant à nous de faire en sorte que le mouvement communiste de notre pays reparte à l’offensive.
Nous, on est adhérents à l’Union pour la Reconstruction Communiste. C’est une organisation qui, c’est assez rare pour le souligner, est issue d’une fusion et pas d’une scission. On milite à l’URC, pas parce qu’on pense que c’est déjà le parti communiste dont la France a besoin, mais plutôt parce que c’est une organisation qui, à la fois, défend les principes du marxisme-léninisme, mais qui a aussi la bonne compréhension de la tâche historique qui est la nôtre actuellement. Cette tâche c’est la reconstruction d’un parti communiste en France, parce que réformer le PCF de l’intérieur n’est plus possible.
Il faut reconstruire, mais ça prendra du temps. Nous sommes humbles et pensons que le parti communiste dont nous avons besoin renaîtra par l’action concrète, à la fois des militant.e.s déjà organisé.e.s, à l’URC par exemple, et aussi de camarades sincères encore adhérent.e.s du PCF ou d’autres organisations de gauche. Mais surtout, il renaîtra par l’apport des masses, qui regorgent de militant.e.s antiracistes, féministes, écologistes, antifascistes. Toutes ces forces vives ne demandent qu’à trouver leur place dans une organisation révolutionnaire. Et c’est toujours par le mouvement réel que l’histoire s’écrit.
C’est précisément pour ça que selon nous c’est important de comprendre le rôle historique qu’a joué et joue encore la FI. Bien sûr, c’est une organisation qui n’est pas communiste, ni dans la forme ni le fond. Elle est en fait l’expression politique d’une petite bourgeoisie que la crise du capitalisme a forcée à se radicaliser. Mais elle est également, objectivement, la force politique qui a remis de la radicalité dans le débat politique. Elle tient bon face aux attaques médiatiques, alors même que le PCF recule justement sur tout. Et ce faisant, elle a créé du mouvement, fait voter des millions de gens pour un programme antilibéral et permis à beaucoup de personnes de renouer avec l’action politique. La critiquer parce que c’est une organisation social-démocrate ne sert à rien si on ne prend pas cet autre aspect-là en compte.
Maintenant, que ce soit clair, on n’appelle pas les camarades qui se reconnaîtraient dans nos propos à quitter le MCJF. Par endroit, ça reste sûrement la meilleure structure pour organiser les jeunes, les mettre en mouvement, les former et leur donner des perspectives révolutionnaires. Simplement, une fois que l’euphorie des débuts du militantisme sera passé, et l’âge avançant, leur engagement les forcera à faire un choix. Trop souvent après la JC, soit on finit au PCF, et selon nous c’est une impasse politique, soit on finit dans la nature, comme un.e communiste isolé.e. Nous on pense qu’il faut arrêter cet isolement, et ça commence par se rendre compte qu’on est très nombreuses et nombreux à avoir la même expérience, et à reprendre contact pour discuter.
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Source: https://positions-revue.fr/reconstruire-le-mouvement-communiste-au-dela-du-pcf-et-du-mjcf/
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