Rennes casse le bitume pour faire réapparaître son fleuve (reporterre-14/06/25)

Les berges de la Vilaine, à Rennes, vont être complètement réaménagées pour adapter la ville au changement climatique. – © Scandola Graziani / Reporterre

Rennes va détruire un parking construit au-dessus de son fleuve la Vilaine et réaménager ses berges. L’idée : adapter la ville au changement climatique et faire revenir la biodiversité.

Par Scandola GRAZIANI.

Rennes (Ille-et-Vilaine), reportage

En aval de Rennes, la Vilaine s’écoule paresseusement, déployant ses eaux vertes et brunes sous le timide soleil breton. Bordées de verdure, les berges du fleuve agréablement aménagées sont fréquentées par de nombreux joggeurs et des promeneurs en quête de fraîcheur. Des canards colverts y sèchent leurs plumes et des péniches égayent les rives de leurs couleurs vives. Soudain, tout ce joyeux tableau s’arrête net.

Au niveau de la place de Bretagne, la Vilaine disparaît sous une obscure dalle de béton. Au-dessus, un parking de 249 places obstrue la perspective. Fini les berges bucoliques, le clapotis de l’eau. Place au vrombissement des voitures et à l’agitation de la ville.

Sous le parking, on se croirait dans le ventre d’une baleine. © Scandola Graziani / Reporterre

Sous la dalle du parking, les embarcations qui s’y glissent sont plongées dans le noir. Aucun signe de vie ne pointe à la surface de ses eaux grises. Bâti dans les années 1960, à l’époque du tout-automobile, ce parking recouvre la Vilaine sur près de 300 m de long et constitue le point de stationnement le plus central de la métropole. Cet ouvrage a nécessité 700 millions de francs, 6 000 tonnes de béton et 252 pieux plantés dans le lit du fleuve. Une structure terrifiante, que la municipalité a finalement décidé de détruire.

Adapter la ville à la chaleur

Cette décision a été prise dès 2022 après une concertation avec un jury citoyen de 30 habitants. Objectif : découvrir la Vilaine et végétaliser le centre-ville, pour un coût de 29 millions d’euros (financé par la ville et la métropole). Ce chantier colossal commencera en octobre 2025 et durera jusqu’en 2028. La maîtrise d’œuvre a été confiée à Phytolab, une agence nantaise composée de paysagistes, urbanistes, architectes, naturalistes, écologues et designers.

« C’est l’adaptation de notre centre-ville au changement climatique qui se joue, affirme Marc Hervé, adjoint à l’urbanisme à la ville de Rennes, où les températures pourraient monter jusqu’à 44 °C en 2050. Il est évident qu’on doit, dès aujourd’hui, pouvoir répondre à un droit légitime à la fraîcheur, y compris dans ce quartier très minéral. »

Ce à quoi devraient ressembler les quais de la Vilaine. © Phytolab

184 arbres seront plantés et 5 000 m² de surface seront végétalisés, soit l’équivalent d’un terrain de foot. Une fois découvert, le fleuve sera accessible au public grâce à des pontons permettant de se promener au bord de l’eau. Des gradins et une passerelle surplomberont le cours d’eau, tandis que des jardins flottants seront ajoutés pour verdir les berges et ramener de la biodiversité. De quoi transformer cet îlot de chaleur en un cocon de verdure : « Ce sera un lieu pour se balader au bord de l’eau, laisser jouer ses enfants, pique-niquer, se rencontrer… » se réjouit déjà la maire de Rennes, Nathalie Appéré.

Un ouvrage vétuste

En supprimant le parking, le projet permettra aussi de limiter les voitures en ville, en faisant la part belle aux mobilités douces. Plusieurs espaces seront piétonnisés, et les quais de la Vilaine seront réaménagés pour les vélos et les transports en commun. À ceux qui s’inquièteraient de ne plus pouvoir venir en voiture au centre-ville, la maire soutient que « l’offre de stationnement dans les parkings à proximité est suffisante. Les parkings ne sont jamais saturés ».

Quatre parkings publics sont à moins de cinq minutes à pied du cœur de la ville. Ils pourront absorber à 100 % la suppression des 249 places, selon une étude menée par les services de Rennes Métropole.

Petit à petit, la biodiversité a repris ses droits sur les berges. © Scandola Graziani / Reporterre

Après soixante ans d’utilisation, cette dalle avait de toute façon besoin d’être rénovée et consolidée. Sous la voûte vieillissante, le plafond se lézarde, laissant l’eau s’infiltrer à plusieurs endroits. Les chevêtres, qui maintiennent les poutres de béton sur lesquelles repose le tablier du parking, commencent à ployer, alors que certains ont déjà été rafistolés.

« L’ouvrage a mal vieilli, d’autant qu’à l’époque, les voitures pesaient la moitié de ce qu’elles pèsent aujourd’hui », précise Jean-François Papin, qui conduit les opérations pour la ville. Muni de sa lampe torche, il passe en revue chaque défaut de la structure : corrosion, fissure, infiltration… Restaurer cette dalle aurait coûté 2,5 millions d’euros. « Exactement le prix de sa démolition », rappelle Nathalie Appéré, la maire.

Chauves-souris et oiseaux

Problème : plusieurs chiroptères nichent dans les anfractuosités du béton, notamment le murin du Daubenton, une espèce de chauves-souris qui affectionne particulièrement les plans d’eau. Une colonie de verdiers d’Europe, un oiseau protégé, a aussi trouvé refuge dans le feuillage dense des chênes verts plantés en bac sur la place de la République, concernée par les travaux. L’ensemble de l’opération a donc fait l’objet d’une étude d’impact et d’une demande d’autorisation environnementale, pas encore obtenue.

Pour les chauves-souris, un système d’éclairage permanent sera mis en place sous la dalle dès septembre, pour les faire fuir avant le début des travaux et de leur période d’hibernation. « Des nichoirs seront immédiatement installés sous d’autres ponts à proximité, afin de recréer un habitat artificiel », ajoute Jean-François Papin. L’éclairage public sera aussi adapté pour que la Vilaine reste plongée dans une trame noire, propice aux chauves-souris.

Ces solutions peuvent fonctionner, selon Thomas Le Campion, chargé de mission au Groupe mammalogique breton, qui étudie les populations de chiroptères. Les travaux peuvent même leur être « favorables, grâce au retour des insectes et de la végétation qu’ils permettront », pense le spécialiste.

Des canards colverts sur les berges actuelles. © Scandola Graziani / Reporterre

Quant aux verdiers d’Europe, les arbres dans lesquels ils nichent seront déplacés pour préserver leur habitat le temps des opérations. D’autres essences au feuillage touffu, propice au retour de cette espèce, seront ensuite implantées en pleine terre, et un suivi des populations sera effectué.

« La préservation de la biodiversité était l’une de nos préoccupations les plus importantes, témoigne Julien, 35 ans, ingénieur et membre du jury citoyen ayant participé au projet. On a le sentiment d’avoir été entendu, et que les maîtres d’œuvre vont faire ce qu’il faut. » Julien a défendu ce projet « corps et âme ». « C’est un peu notre bébé », dit-il, ému.

Certains ne sont pas de cet avis. Ces travaux pourraient entraîner des nuisances préjudiciables aux commerçants et aux habitants du centre-ville, craint par exemple Charles Compagnon, le leader de l’opposition rennaise, dans Ouest-France.

« Il faut pouvoir accompagner les riverains, les commerçants et toutes celles et ceux qui fréquentent le centre-ville. Un comité de suivi servira à informer sur l’avancement du chantier et à faire des ajustements pour minimiser le plus possible l’impact de la phase travaux », promet Nathalie Appéré. La maire de Rennes insiste sur l’importance de la concertation citoyenne pour que ce chantier « signe le règne du XXIe siècle ».

Ces villes renouent avec leur rivière

Le projet rennais n’est pas un cas isolé. De plus en plus de villes aménagent les berges de leurs rivières pour les remettre en valeur. C’est le cas de Paris, avec la Seine que l’on cherche à rendre baignable, et Lyon, qui a réaménagé les berges du Rhône. La métropole de Nantes a aussi renoué avec la Loire, en intégrant un réseau de navettes fluviales aux transports en commun. La ville de Morlaix, dans le Finistère, prévoit aussi de redécouvrir prochainement sa rivière, le Dossen, pour tenter d’endiguer les inondations. Coût de l’opération : 22 millions d’euros.

À l’étranger, Séoul, en Indonésie, avait mis d’énormes moyens pour redécouvrir un fleuve caché sous une autoroute.

« Si la plupart des villes sont nées de leur cours d’eau, ce lien originel a été coupé dans une logique de séparation des espaces urbains et des berges, destinées progressivement aux fonctions industrielles, puis à celles de circulations routières transformant ces berges en autoroutes et en parkings », analyse Jean Debrie, professeur en aménagement de l’espace public, dans une tribune publiée dans Le Monde en 2022.

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Source: https://reporterre.net/Rennes-veut-faire-reapparaitre-son-fleuve-en-centre-ville

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/rennes-casse-le-bitume-pour-faire-reapparaitre-son-fleuve-reporterre-14-06-25/

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