Dans le quartier du Blosne, les voisins de deux copropriétés ont partagé samedi soir un moment de convivialité sur le lieu même où prospère le trafic de drogue. Les dealers sont restés sur place, à moins de vingt mètres.
C’est l’histoire d’habitants du quartier du Blosne qui aspirent à une vie tranquille mais vivent des journées et des nuits d’enfer. L’insécurité de leur quotidien n’est pas un sentiment, mais une réalité soumise au rythme des trafiquants de drogues. Samedi 27 mai 2023, pour ne plus baisser la tête ne serait-ce qu’une soirée, des habitants des résidences Les Jardins enclos et Les Ecoles, square de Serbie, ont installé des tables pliantes pour trinquer ensemble… à l’endroit même où sévit habituellement le marché de stupéfiants.
« Le droit de vivre dans notre quartier »
« Il y avait déjà du deal dans le quartier, mais plutôt au niveau de la station de métro. Et un jour, c’est arrivé ici. Depuis deux ans, depuis le Covid, c’est terrible », raconte Anita, 63 ans, qui vit dans l’une des deux résidences depuis 2004 et a contribué à l’organisation de cet apéritif. Nous entendons affirmer notre droit de vivre dans notre quartier, emmener sereinement nos enfants à l’école Torigné toute proche, d’arrêter de subir les actes d’incivilité et les hurlements 24 heures sur 24 qui nous empêchent de dormir la nuit ».
Pendant que les uns et les autres discutent, partagent un verre, les dealers ne sont pas loin et même tout près… à vingt mètres ! C’est un petit groupe de moins de dix hommes, tous dans la vingtaine. L’un d’eux fait des allers-retours sur son vélo électrique, les autres vont et viennent, s’invectivent bruyamment comme si de rien n’était. Ils s’assoient, se lèvent, regardent les participants à l’apéritif. « Ce sont les mêmes, ils sont toujours là dès le matin, à l’heure du passage des écoliers, observe Corinne, 56 ans, arrivée au square de Serbie en 2010, parce que c’était calme, il y a de la verdure… »
« Ils ne pouvaient plus dormir dans leur chambre »
E n début de soirée, au culot, certains des jeunes du groupe ont voulu participer aux réjouissances. « Il n’en était pas question ! », réagit un habitant, excédé. « C’est dommage, c’est une occasion manquée… », estime l’un des trois médiateurs du quartier pour la mairie qui prônent le dialogue entre résident et dealers… « Ils voudraient que nous soyons copains. Ils vivent dans le monde des bisounours ! », réagit un habitant qui a déjà été menacé, son épouse aussi. « Au rez-de-chaussée, là, il y avait un couple. Ils sont partis. Ils dormaient dans leur salon car leur chambre jouxtait un local squatté en permanence. Le bruit était infernal, poursuit Anita. Ils avaient trop peur. Le matin, pour partir au travail, ça leur arrivait d’enjamber un dealer qui s’était endormi sur leur paillasson. »
Une situation que la maire adjointe Béatrice Hakni-robin, délégué au quartier du Blosne, ne découvre pas. Samedi soir, elle est venue sur place. « Je salue l’initiative courageuse de ces habitants. C’est une préoccupation permanente pour la mairie de Rennes, assure-t-elle. La période du Covid a permis aux réseaux de trafiquants de se réorganiser et de prospérer. Il y a aussi une situation sociale et une population qui trouve dans la drogue une échappatoire. »
La carte de fidélité des dealers
Les parties communes de ces copropriétés privées sont sous le contrôle des dealers. Dans la résidence Les Ecoles, la porte de la pièce du conseil syndical a même été forcée, les lieux sont désormais un cloaque. Même ambiance dans les sous-sols jonchés d’immondices, l’odeur est pestilentielle. Les supports de vélo vides mais encore en place témoignent de la destination originelle des lieux. Désormais, c’est « Traficland » ou plutôt « Serbieland ». « C’est le nom que j’ai retrouvé sur une carte de fidélité. Ici, les toxicomanes peuvent acheter de tout et c’est a priori moins cher qu’ailleurs à Rennes, raconte un habitant. Les dealers apposent un tampon pour un certain montant d’achats. Leurs clients les plus fidèles doivent bénéficier de réductions sur leurs consommations. »
Leur petite organisation tient la route, au grand jour. « Ils installent des canapés sur le trottoir, souvent ils renversent des barrières de chantier en travers des rues pour être tranquilles. Ils se font livrer aussi des repas sur place. L’autre jour, un barbier est même venu avec tout son matériel pour leur couper les cheveux. » Tout à coup, un hurlement. « Arah, arah, arah ! » rugit l’un des dealers. En arabe, ça veut dire « attention ». Les autres jeunes du groupe se dispersent aussitôt. Une voiture de police vient de pointer le bout du capot au bout de la rue. « C’est comme ça tous les jours, même la nuit » Parmi les convives, une habitante des abords du Roahzon Park, venue soutenir des amis, n’en revient pas. « Mais comment faites-vous pour supporter ça ? »
Auteur : Pascal SIMON.
URL de cet article : REPORTAGE. À Rennes, un apéritif entre voisins pour relever la tête face aux trafiquants. ( OF.fr – 28/05/23 ) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)