Reportage-Accusés d’être «barbares», les anti-A69 répondent par la joie (reporterre-7/07/25)

Des manifestants jouent et chantent collectivement devant les forces de l’État venues réprimer la mobilisation dans le Tarn, le 5 juillet 2025. – © Antoine Berlioz / Reporterre

Danses, fanfares et déambulations : la mobilisation contre l’A69 a été festive les 5 et 6 juillet, dans le Tarn, malgré les intimidations de l’important dispositif de répression et des pro-autoroute.

Par Justin CARRETTE et Antoine BERLIOZ (photographies).

Maurens-Scopont (Tarn), reportage

Un marchand de glace, plusieurs fanfares, de grands chapiteaux, une cantine à prix libre, des expositions photos, une friperie… Tout le week-end des 5 et 6 juillet, un camp festif a été déployé sur le domaine du château de Scopont, dans le Tarn, pour réunir les opposants à l’autoroute A69, entre Toulouse et Castres. Entre 1 000 et 2 000 personnes étaient présentes à cette « Turboteuf » pour contester la reprise du chantier de l’autoroute, permise par un sursis à exécution prononcé par la cour administrative d’appel de Toulouse le 28 mai.

Dans cette atmosphère festive et familiale, l’incompréhension régnait samedi 5 juillet quant à la rhétorique déployée par certains politiques sur les réseaux sociaux, abondamment relayée par la presse. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, écrivait notamment sur X que les personnes présentes étaient « des groupes de barbares sans limite ». Son collègue aux Transports, Philippe Tabarot, les qualifiait, lui, de « professionnels de la contestation », et le maire de Lavaur (Tarn), Bernard Carayon, fervent défenseur de l’A69, osait le terme de « groupes armés ».

Batucada du collectif La Voie est libre devant le château de Scopont, le 5 juillet 2025. © Antoine Berlioz / Reporterre

Devant le château, Béatrice, habitante de la commune de Puylaurens, au bord de la future autoroute, en rigole. « Je suis devenue militante à 65 ans, on ne peut pas dire que je suis une professionnelle de la lutte », ironise la retraitée, qui fait partie d’un des douze collectifs « sans-bitume » réunissant des riverains opposés à l’installation de centrales à enrobés le long du tracé de l’autoroute.

« La grande majorité des habitants du Tarn est contre cette autoroute, mais c’est une majorité silencieuse », affirme-t-elle. Elle hausse la voix pour se faire entendre malgré le bruit de l’hélicoptère de la gendarmerie survolant la zone. « Tout le monde se connaît dans nos villages, et les gens ont peur qu’en manifestant publiquement leur opposition à l’autoroute cela leur retombe dessus. Je connais beaucoup de personnes qui craignent l’agressivité des pro-autoroute », poursuit Béatrice, alors que la fanfare passe derrière elle, suivie d’un cortège de danseurs.

«  Siamo tutti antifascisti  » («  Nous sommes tous antifascistes  ») chantent les opposants à l’A69. © Antoine Berlioz / Reporterre

Dans la nuit du 27 au 28 juin, des pro-autoroute ont tenté d’intimider certaines et certains opposants locaux à l’A69. Des pancartes avec leur identité et une cible avaient été placardées près de Castres, des maisons et des entreprises avaient été aspergées de peinture rouge, et le matériel d’un agriculteur avait été partiellement détruit.

« Pour moi, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est ce qui m’a poussé à accueillir cet événement sur mon terrain », explique à Reporterre Bernard d’Ingrando, propriétaire du château de Scopont, dont le nom avait été affiché sur des pancartes avec la mention « hébergeurs ou soutiens de voyous ».

Plusieurs collectifs ont pris la parole devant les opposants présents. © Antoine Berlioz / Reporterre

« Voir son nom avec une cible, cela fait tout drôle, raconte-t-il, alors que l’autoroute va passer à 300 mètres de son château. À la base, la mobilisation était prévue ailleurs, mais certains agriculteurs ont pris peur après l’action des pro-autoroute. Moi, cela m’a fait l’effet inverse, ça a soulevé ma colère. »

Danses, jeux et répression

Sur son château, un imposant drapeau palestinien flottait au vent. « De la Palestine au Tarn, on défend le vivant, et on s’oppose à l’accaparement des terres. La lutte écologiste est intimement liée à la lutte de libération du peuple palestinien », explique un manifestant.

Samedi après-midi, sous une chaleur écrasante, la majorité des personnes présentes sur le camp ont décidé collectivement d’aller « danser » sur le chantier, à quelques centaines de mètres du château.

Des manifestants jouent pacifiquement à «  Un, deux, trois, police  » (alternative de «  Un, deux, trois, soleil  ») vers le tracé de l’autoroute, où se trouvent les forces de l’État venues réprimer la mobilisation. © Antoine Berlioz / Reporterre

Attendus par un important dispositif policier, composé de deux blindés Centaure, de drones et de plus de 1 000 gendarmes mobiles, dont certains à motocross, les manifestants ont tout d’abord déambulé joyeusement sur le chantier, tentant même un « Un, deux, trois, soleil » avec des forces de l’État impassibles.

La nasse policière s’est ensuite resserrée autour des opposants et quelques pierres ont été lancées en direction du cordon de gendarmes mobiles. Un affrontement qui aura duré seulement quelques minutes, rapidement noyé par un déluge de gaz lacrymogènes. Trois personnes ont été interpellées, a annoncé le 7 juillet la préfecture du Tarn.

Un important dispositif a été déployé face aux manifestants. © Antoine Berlioz / Reporterre

Rentrés au camp dans la soirée, les quelques milliers de manifestants ont ensuite profité des concerts et des animations prévues par les organisateurs, avant de lever le camp dimanche dans l’après-midi.

La lutte continue de se jouer sur le terrain malgré l’avancée des travaux, avec des incendies, des sabotages d’engins et des coffrages le long du tracé. Mais également devant les tribunaux, puisqu’en novembre, la cour administrative d’appel de Toulouse doit valider ou non l’annulation de l’autoroute A69, prononcée le 27 février dernier.

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Source: https://reporterre.net/Accuses-d-etre-barbares-les-anti-A69-repondent-par-la-joie

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