
L’Administration pénitentiaire « est en souffrance », vient de reconnaître le nouveau ministre de la Justice, Didier Migaud. Exemple à la maison d’arrêt de Brest où le taux d’occupation avoisine les 200 %.
Par Pierrick BAUDAIS.
« Je me dis que je fais les conneries maintenant. Mais c’est pas une vie d’être ici », admet Tom (1), 22 ans, déjà incarcéré il y a peu à la maison d’arrêt de Brest. Pour l’instant, en tant que nouvel arrivant, il est seul dans une cellule. Mais peu de détenus ont cette chance. La maison d’arrêt de Brest, ouverte en 1990, n’échappe pas à la surpopulation pénale. Le député LFI du Finistère, Pierre-Yves Cadalen, est venu s’en rendre compte par lui-même ce vendredi 20 septembre 2024. Ce jour-là, l’établissement héberge un total de 449 détenus au sein de plusieurs unités, dont dix-neuf femmes et huit mineurs. Mais c’est dans la partie de la maison d’arrêt pour hommes que les difficultés se concentrent : 408 détenus pour 212 places, soit une densité de 192 %. Ce fut pire ces derniers mois. Et pour faire tenir toutes ces personnes dans des cellules qui ne sont pas dimensionnées pour un tel afflux, soixante-cinq matelas ont été posés au sol.
« Le moins possible dans la cellule »
Stéphane (1) fait visiter sa cellule au député. Ils sont trois dans 9 m2. Deux lits superposés occupent une grande partie de l’espace avec une table et un placard à partager. Pour le troisième, son matelas est adossé aux barreaux en journée et posé par terre la nuit. Tout déplacement devient alors difficile, y compris pour accéder au WC installé dans un recoin et séparé du reste de la pièce par une porte battante.
Quand l’un de nous s’en va et qu’un nouveau détenu arrive, ce dernier récupère le matelas au sol, celui qui était sur le matelas, récupère la couchette du haut et celui qui était en haut, passe en bas
, explique Stéphane dans une rotation bien ordonnancée.
Chaque détenu peut sortir une heure et demie par jour dans la cour de promenade. Plus une sortie parfois dans la salle de sport ou être conduit à l’une des activités proposées. Stéphane suit, lui, des cours de remise à niveau. Je fais en sorte de rester le moins possible dans la cellule »,
assure-t-il. À l’intérieur de l’enceinte pénitentiaire, un terrain de sport est également accessible de manière ponctuelle. Du moins lorsqu’il n’est pas « sécurisé »
et fermé. Car depuis plusieurs mois, les livraisons de stupéfiants par drones se multiplient. Il y a encore eu une livraison la nuit dernière. Le pilote a été arrêté. Mais ce qui m’intéresserait de savoir c’est à quel détenu ces produits étaient destinés
, note la directrice des lieux, Stéphanie Bilger.
Au final, nombre de détenus peuvent passer plus de vingt-deux heures par jour dans leur cellule. « À trois dans cette même pièce, on a intérêt à faire en sorte que ça se passe bien entre nous », reconnaît Stéphane. Sinon, gare aux coups et aux règlements de compte. Souvent dans les douches, là où il n’y a pas de caméras de surveillance.
Un étage fait exception
De l’autre côté de la porte, les agents ne chôment pas. Entre les douches, les cours de promenade, les parloirs, les rendez-vous médicaux et autres activités réservées aux détenus, les surveillants passent leur temps à ouvrir et à fermer des portes et autres grilles. « On a le sentiment de n’être plus que des porteurs de clés. Dans ce couloir, vous avez un agent pour soixante détenus. Avant, il n’y en avait qu’une quarantaine. Si un gars déprimait ou était un peu trop agressif, on avait le temps de discuter avec lui, de refaire tomber la pression », déplore ce surveillant expérimenté.
Au greffe, service qui gère notamment les entrées et sorties de détenus, cette surpopulation se fait aussi sentir : « A quatre, le service est largement sous-dimensionné. Tout le monde est impacté », reconnaît l’une des fonctionnaires. Même dans le vestiaire de la prison, le responsable des lieux doit trouver des astuces pour pousser les étagères et entreposer toutes les affaires des détenus. « Ce qu’on ne perçoit pas forcément, c’est toute l’implication des agents, qui ont à cœur de maintenir tout cet ensemble à flots », insiste Stéphanie Bilger, la directrice.
À l’intérieur de l’établissement, il y a pourtant des quartiers où l’espace n’est pas aussi saturé. Celui des mineurs reste préservé : « Il y a neuf places et quand on en a neuf, on n’en prend pas un de plus », précise un surveillant. Mais ce qui est vrai pour les ados, ne l’est pas pour les adultes. « La maison d’arrêt pour hommes, ce n’est pas un hôtel : on ne peut pas afficher complet », regrette-t-il.
Le quartier réservé au régime « Respect » fait également figure d’exception. Au sein de cet étage, quarante-trois détenus (pour autant de places) peuvent circuler librement une partie de la journée. Certains sont responsables de certaines activités (hygiène, bibliothèque…). D’autres ont conçu et aménagé un jardin partagé dans l’un des couloirs. « On a davantage de temps pour discuter avec les détenus ; nos relations sont plus apaisées. Et ceux qui sont ici, ne retourneraient en cellule ordinaire pour rien au monde », confirme une surveillante. Mais pour accéder à cet étage, mieux vaut se tenir à carreau et être patient.
Au terme de quatre heures de visite, Pierre-Yves Cadalen en est convaincu : « Il faut un vrai tournant dans la politique pénitentiaire. Cela bénéficiera aux détenus, aux personnels et à la population, puisqu’il permettra de diminuer la récidive. » Sera-t-il entendu ? Lors de sa prise de fonction ce lundi, le nouveau ministre de la Justice, Didier Migaud, a eu un mot pour l’Administration pénitentiaire « en souffrance depuis tant d’années ».
(1) : prénom d’emprunt.
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