
Le parquet a commencé, mardi 25 mars, son long réquisitoire dans le procès du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy. Entre l’intermédiaire libanais et le futur président de la République, tous les éléments du pacte corruptif sont, selon lui, constitués.
Par Elizabeth FLEURY.
Fil conducteur : l’intermédiaire Ziad Takieddine et son rôle auprès de Nicolas Sarkozy et son entourage. Devant une salle d’audience pleine à craquer, le parquet national financier a offert au tribunal, ce mardi, la démonstration implacable du « pacte corruptif » qui est au cœur du procès du financement libyen présumé de la campagne présidentielle de 2007 du « candidat de la droite républicaine ». Un supplice, pour l’intéressé, qui peine à contenir ses soubresauts sur sa chaise et devra attendre jeudi soir avant de connaître les peines réclamées par le parquet. Ses coprévenus, Brice Hortefeux et Claude Guéant, sont absents – et excusés.
Un entremetteur sulfureux à l’origine de tout
« Agent corrupteur ». C’est avec ce qualificatif, maintes fois répété, que le procureur Quentin Dandoy désigne l’entremetteur libanais Ziad Takieddine. On le croise en Arabie saoudite, dès la fin des années 1990, en marge de gigantesques contrats d’armement conclus par le camp Balladur – et qui donneront lieu à plusieurs condamnations. Puis en Libye, fin 2005, dans l’affaire actuellement jugée. Grand absent du procès, en fuite depuis une condamnation dans le dossier Karachi, c’est lui, le sulfureux Ziad Takieddine, qui est aux yeux du parquet à l’origine de tout.
Avril 2005. Takieddine est nommé « conseiller spécial » auprès des autorités libyennes. Fin mai, sous la présidence de Jacques Chirac, Dominique de Villepin vient de succéder à Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Un rival de taille, pour l’ambitieux Nicolas Sarkozy. Nommé ministre de l’Intérieur le 2 juin, il dispose de deux ans pour réaliser son rêve présidentiel. Et d’une garde rapprochée toute dévouée à sa cause : son directeur de cabinet, Claude Guéant, et Brice Hortefeux, qui vient d’être nommé ministre délégué aux Collectivités territoriales dans le même gouvernement que lui. Un ami. Un « frère », dit Nicolas Sarkozy.
Le parquet moque les explications « surréalistes » et « rocambolesques » des prévenus
À Tripoli, le « conseiller spécial » Ziad Takieddine active ses réseaux. Nicolas Sarkozy est invité par son homologue libyen à une visite officielle, fixée au 6 octobre 2005. Pour préparer le voyage, Claude Guéant se rend à Tripoli le 1er octobre où il rencontre, en présence de Ziad Takieddine, le chef du renseignement militaire libyen Abdallah Senoussi. L’homme, fiché par Interpol, a été condamné par la France à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat du DC10 d’UTA en 1989. « Un traquenard », prétend Claude Guéant. « Une rencontre parfaitement planifiée », affirme le parquet. Comment expliquer, sinon, que Guéant et Takieddine aient continué à se voir « comme si de rien n’était » ?
Comment expliquer, surtout, que Brice Hortefeux ait à son tour rencontré Abdallah Senoussi, le 21 décembre, lors d’une visite organisée par le même Ziad Takieddine ? Le « frère » de Sarkozy parlera d’un « guet-apens ». Le parquet y voit, lui, « la preuve du pacte corruptif ». Contrairement à ce qu’avancent les prévenus, les relations entre les trois hommes vont d’ailleurs se poursuivre. « Ziad Takieddine est resté un intermédiaire de choix pour Nicolas Sarkozy et son entourage. »
Rencontres secrètes, isolées, hors des cadres diplomatiques, entre des hommes politiques et un terroriste recherché, en présence d’un intermédiaire : entre octobre et décembre 2005, les anomalies se succèdent. « Ces anormalités sont la normalité d’un processus corruptif », estime le parquet, ironisant sur les explications « surréalistes » et « rocambolesques » données par les prévenus. « On se moque de vous, madame la présidente ! »
Une charge sévère contre Nicolas Sarkozy
Pour le parquet, le schéma est évident. Le pacte de corruption a été « mis au point » par Senoussi et Guéant lors de la visite du 1er octobre. Il a été scellé « par une poignée de mains » entre Sarkozy et Kadhafi, le 6 octobre. Il s’est conclu, le 21 décembre 2005, par la remise de Brice Hortefeux à Abdallah Senoussi d’un relevé d’identité bancaire correspondant à un compte de Ziad Takieddine. Compte sur lequel les enquêteurs trouveront, à partir de janvier 2006, la trace de trois versements de l’État libyen pour un montant de six millions d’euros.
La première partie du réquisitoire touche à sa fin. Nicolas Sarkozy n’a jamais été aussi blême. Le procureur Quentin Dandoy marque une pause. Puis, les yeux dans les yeux, il lance à l’ancien président de la République une dernière charge, la plus sévère sans doute.
« Derrière l’image de l’homme public, du ministre, du président de la République, de l’homme à qui des millions de nos concitoyens ont accordé leur confiance, se dessine au gré des enquêtes judiciaires qui émaillent désormais son parcours, la silhouette d’un homme porté par une ambition personnelle dévorante, prêt à sacrifier sur l’autel du pouvoir les valeurs essentielles que sont la probité, l’honnêteté et la droiture dont il devait pourtant être l’incarnation au regard de la grandeur des fonctions auxquelles il prétendait et auxquelles il a accédé. »
Le réquisitoire du parquet national financier est prévu pour durer jusqu’à jeudi.
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