
Après des mois de mobilisation commune contre la réforme des retraites, les syndicats sont à un tournant.
Après des manifestations moins mobilisatrices mardi, l’intersyndicale où se font jour des dissensions ne devrait pas annoncer de nouvelle journée d’action contre la réforme des retraites, mais va s’efforcer de maintenir son unité autour de nouveaux combats.
« Il y a des rythmes différents. C’est un peu compliqué d’accorder les violons », a convenu mardi en marge de la manifestation parisienne Benoît Teste, secrétaire général de la FSU.
Signe de ce flottement, l’intersyndicale ne s’est pas réunie cette semaine, et n’a communiqué ni sur la journée de mardi, ni sur l’échec jeudi de la proposition de loi Liot visant à abroger la loi du 14 avril.
Les numéros un devraient échanger en début de semaine prochaine, avant une réunion de l’intersyndicale au siège de la CFE-CGC jeudi, suivie d’une conférence de presse.
Il est peu probable que ce soit pour annoncer une nouvelle journée de grèves et de manifestations. « Ca ne sera plus opérant, on ne sera pas suivi », a estimé jeudi sur franceinfo le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger.
« Le texte a été promulgué (…) moi je n’ai pas envie de mentir à ces salariés qui se sont mobilisés (…) de leur dire on peut continuer comme ça et égrainer des journées de mobilisation pour finir par faire la démonstration d’une faiblesse », a-t-il expliqué.
Mercredi, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, qui a pris fin mars la succession de Philippe Martinez, n’avait pourtant pas exclu cette possibilité, refusant de dire à l’instar de M. Berger mardi que « le match est en train de se terminer ».
« Laurent Berger il passe la main (le 21 juin à sa numéro 2 Marylise Léon, NDLR). C’était peut-être sa dernière manifestation à lui, en ce qui concerne l’intersyndicale nous allons nous réunir la semaine prochaine et nous allons débattre ensemble des suites », a-t-elle cinglé sur franceinfo .
« On va voir si Sophie Binet appelle à une mobilisation d’ici fin juin », a balayé M. Berger.
« Affichage de radicalité »
Un autre responsable syndical confirme sous couvert d’anonymat: « On ne va pas faire une journée de grève d’ici l’été », pointant chez Mme Binet un « affichage de radicalité, y compris pour appeler à des journées où il n’y a personne », lié aux équilibres internes de la CGT.
Autre sujet sur lequel les organisations pourraient adopter des postures différentes: la participation ou non à une « conférence sociale » à l’invitation de l’exécutif. Si le président de la CFTC Cyril Chabanier a jugé mardi que c’était « le bon moment pour négocier sur d’autres sujets », Frédéric Souillot (FO) « n’ira pas », ne voulant pas se prêter à une opération de « communication ».
Ces divergences signent-elles la fin de l’intersyndicale ? Toutes les organisations s’en défendent, conscientes que le mouvement social a en partie puisé sa force dans son unité.
« Non, ce n’est pas la fin de l’intersyndicale », a dit M. Berger. « On a créé une force (…) La semaine prochaine on va se voir pour travailler ensemble à de propositions communes (…) et je crois qu’il faut utiliser la force qui a été la nôtre ces dernières semaines, ces derniers mois, pour justement obtenir des avancées concrètes sur la question des salaires, de la transition écologique, de l’égalité etc. », a-t-il dit.
Fin connaisseur des organisations syndicales, le consultant Pierre Ferracci ne doute pas que la CGT et la CFDT seront « attentives à ne pas lâcher le processus de l’intersyndicale qui leur a valu beaucoup de crédibilité », même si elles souhaiteront certainement « retrouver un peu d’autonomie ».
Ce dans un contexte où le binôme Berger-Martinez, dont la bonne entente était une des clés de la réussite de l’intersyndicale, cède la place au duo Léon-Binet, où la concurrence va peut-être être plus vive.
Sophie Binet a « une forte personnalité, elle est intelligente, elle est courageuse (…) Elle a besoin de construire une unité, de fédérer les énergies dans sa maison et en même temps d’occuper l’espace. La connaissant elle va essayer d’aller reconquérir la première place », que lui a arrachée la CFDT en 2018, analyse M. Ferracci.
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6 mois de lutte et toujours mobilisés
Ce mardi 6 juin, ce sont encore plus de 900 000 salariés, jeunes et retraités qui sont descendus dans la rue et ont fait grève. Un record après 6 mois de mobilisation. La colère s’est fait entendre dans plus de 250 rassemblements dont certains dans des lieux inédits comme à Saint-Marcellin (38) ou dans beaucoup d’autres lieux de proximité.
La dynamique de cette journée revendicative s’illustre aussi par un plus grand nombre d’entreprises où les salariés ont décidé de faire grève sur tout ou partie de la journée, en liant, souvent, la contestation de la réforme des retraites avec des revendications sur les salaires et les conditions de travail.
Malgré le passage en force et les multiples manœuvres du gouvernement, les opérations de diversion, de division et de répression les salariés refusent de tourner la page et sont toujours aussi nombreux à être opposés à la réforme du gouvernement pour empêcher que leur retraite ne redevienne « l’antichambre de la mort », à l’opposé de ce que voulait Ambroise Croizat.
La CGT, avec l’intersyndicale, appelle solennellement le président de la République et la présidente de l’Assemblée nationale à respecter les prérogatives du Parlement. Le 8 juin, les députés doivent pouvoir voter sur la réforme des retraites. Le gouvernement doit respecter ce vote et renoncer à appliquer cette réforme à marche forcée.
Un nouveau passage en force le 8 juin prochain approfondirait encore plus la crise démocratique et ouvrirait une crise institutionnelle. Cela créerait un précédent grave. Si le gouvernement persiste à passer en force, comme le dit l’intersyndicale depuis des mois, rien ne sera plus comme avant.
Confronté à une défiance profonde, Emmanuel Macron n’a plus ni majorité sociale, ni majorité politique et va être en grande difficulté pour finir son quinquennat.
La CGT et le mouvement syndical sont d’ores et déjà confortés par des dizaines de milliers de nouvelles adhésions qui vont permettre de transformer le rapport de force dans la durée.
La CGT refuse le jeu de rôle hypocrite entre le patronat et le gouvernement et appelle à l’ouverture de vraies négociations, dans les entreprises et les branches mais, aussi, au niveau national de façon interprofessionnelle. La base de la négociation doit être la plateforme de l’intersyndicale et les sujets de préoccupation des salariés : les salaires, les conditions de travail, l’égalité femmes/hommes ou encore l’environnement, par exemple.
La CGT réunira ses organisations pour débattre des suites et nourrir les échanges de l’intersyndicale qui communiquera le 15 juin prochain sur les suites.
Si le gouvernement et le patronat persistent dans leur refus d’entendre les exigences du monde du travail, alors, ils ne sont pas prêts d’en avoir fini avec la mobilisation.
Montreuil, le 6 juin 2023
URL de cet article : RETRAITES : l’intersyndicale appelée à durer malgré des tensions. ( CommunCommune – 11/06/23 ) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)