Richard Ferrand à la tête du Conseil Constitutionnel : pourquoi sa nomination provoque un tollé ( H.fr-10/02/25)

Richard Ferrand, le 29 juin 2022, à Matignon. Emmanuel Macron a annoncé sa nomination à la tête du Conseil constitutionnel « C’était un président de l’Assemblée totalement au service de l’Élysée », se souvient la députée PCF Elsa Faucillon. Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

Le président de la République souhaite envoyer Richard Ferrand, l’ancien président de l’Assemblée à la présidence du Conseil constitutionnel, ce qui inquiète grandement élus et juristes sur le devenir et le rôle de l’institution.

Par Marion GUEDOT.

Un homme lige d’Emmanuel Macron va-t-il présider demain le Conseil constitutionnel ? C’est ce qui inquiète élus et juristes depuis que le président de la République a annoncé lundi 10 février sa volonté de voir Richard Ferrand siéger à la tête des sages. La partialité, l’indépendance et même la compétence de l’ancien président de l’Assemblée nationale, fidèle parmi les fidèles de l’hôte de l’Élysée, sont pointées du doigt.

« Le Conseil ne doit pas être l’endroit où l’on recase ses amis », s’inquiète le coordinateur national de la France insoumise, Manuel Bompard. « Ce choix va indubitablement affaiblir la légitimité de cette institution », prévient Pierre Ouzoulias, vice-président PCF du Sénat. « Exemplarité et indépendance par rapport au pouvoir exécutif sont indispensables pour occuper une telle fonction. Tout profil qui s’écarterait de ces deux importantes qualités contribuerait à affaiblir le Conseil et par voie de conséquence tout l’équilibre institutionnel prévu par notre Constitution », souligne le député LR Patrick Hetzel, quand Olivier Marleix, ancien président du groupe LR à l’Assemblée, dénonce auprès du Monde un « copinage malsain ».

« Sherpa du chef de l’État »

La levée de boucliers n’est pas seulement venue des parlementaires. Le constitutionnaliste Benjamin Morel s’alarme d’avoir demain « un président du Conseil qui apparaîtra comme étant le sherpa du chef de l’État », ce qui viendrait « fragiliser encore plus notre État de droit ». « Cette nomination, c’est probablement la pire idée possible pour rétablir la légitimité d’un Conseil qui, peut-être demain, sera le seul contre-pouvoir à Marine Le Pen », ajoute le juriste.

Le choix d’Emmanuel Macron « ne s’intègre ni dans une exigence de compétence technique ni dans une impartialité, objective comme subjective, le plaçant au-dessus des contingences politiques », alertent le constitutionnaliste Dominique Chagnollaud et le professeur de droit public Jules Lepoutre dans une tribune du Monde. « Ce qui est choquant aujourd’hui, c’est ce double discours qui consiste à revendiquer d’un côté l’aspect le plus juridictionnel du Conseil constitutionnel pour le contrôle des lois et des élections, et à maintenir d’un autre côté un Conseil dont la composition est à la main des politiques, avec une institution hyperpolitisée qui ne respecte plus les canons d’une juridiction impartiale », pointe la professeure de droit public Charlotte Girard.

De fait, avec les arrivées probables de Richard Ferrand, nommé par Emmanuel Macron, de l’ancienne députée Modem Laurence Vichnievsky, nommée par la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, et du sénateur LR Philippe Bas, nommé par le président du Sénat, Gérard Larcher, le Conseil constitutionnel serait composé demain par sept profils politiques, et seulement deux techniciens du droit (contre quatre actuellement…).

Or, parmi les deux juristes encore en place, figurent François Seners, ancien directeur de cabinet de Gérard Larcher, et Véronique Malbec, ancienne procureure générale de la cour d’appel de Rennes, dont l’autorité s’étend jusqu’au tribunal de grande instance de Brest, lequel a classé sans suite l’enquête visant Richard Ferrand dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne, en 2017. C’est d’ailleurs Richard Ferrand qui, en tant que président de l’Assemblée nationale en 2022, l’a nommée parmi les sages. S’il s’agit d’une malheureuse coïncidence, elle fait tache…

« C’était un président de l’Assemblée totalement au service de l’Élysée »

Pour être définitivement nommés, les trois candidatures devront être validées en commission des Lois de l’Assemblée et du Sénat. Trois cinquièmes des voix, à bulletin secret, sont requis pour bloquer une nomination. Richard Ferrand saura-t-il surmonter cet obstacle, prévu le 19 février ? En campagne auprès des parlementaires, l’ancien député essuie les reproches de la gauche. « C’était un président de l’Assemblée totalement au service de l’Élysée », se souvient la députée PCF Elsa Faucillon.

« Il y a une dérive. Il doit y avoir au sein du Conseil des gens indépendants de l’exécutif », mesure le sénateur écologiste Guy Benarroche. « Je suis inquiet de cette manière d’utiliser les institutions pour y placer des proches. Quel va être le retour d’ascenseur attendu par Macron ? » ajoute Antoine Léaument.

Le fait que Richard Ferrand ait annoncé en 2023 qu’il était personnellement favorable à ce qu’un président de la République puisse faire un troisième mandat est de plus vu comme un très mauvais signal. « Notre théorie sur la démission de Macron et sa capacité à se représenter commence à prendre une forme de consistance solide », relève l’élu FI. Sans oublier que Richard Ferrand aura à se prononcer sur l’inéligibilité de Marine Le Pen. Plus son profil apparaîtra comme partial, plus sa décision sera remise en cause…

Or, ce profil semble déjà disqualifié aux yeux de beaucoup. « Le pire serait que le chef de l’État, par le choix qu’il ferait d’un président trop proche de lui, donne l’impression de vouloir reprendre indirectement la main sur des institutions dont les élections lui ont fait perdre le contrôle », prévient Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, dans une tribune du Figaro.

Changer la loi

Laurent Fabius, actuel président du Conseil, n’a pour le moment pas réagi à son probable successeur, mais il déclarait en 2024 que les sages doivent disposer d’une « expérience juridique solide » et « répondre à trois exigences : la compétence, l’expérience et l’indépendance ». Qui peut croire que Richard Ferrand, qui doit tout à Macron, saura faire preuve du « devoir d’ingratitude » qu’un sage doit avoir vis-à-vis de celui qu’il l’a nommé, comme le disait Robert Badinter ?

Et plutôt que de parier sur l’esprit d’indépendance de Ferrand, le mieux ne serait-il pas de changer la loi ? C’est ce que souhaitent les députés PCF, qui ont déposé un texte de loi en ce sens. « Nous estimons indispensable que cette institution, parmi les plus essentielles de notre État de droit, évolue. À l’heure où notre démocratie est traversée par une profonde crise de défiance citoyenne à l’égard de ses propres institutions, le Conseil ne peut plus se permettre d’être l’objet de soupçons », écrivent-ils.

C’est pourquoi ils proposent que le président du Conseil constitutionnel « soit élu par ses pairs à chaque renouvellement triennal et non plus désigné par le président de la République ». Les fonctions de membres seraient de plus « incompatibles avec celles d’anciens membres du gouvernement ou du Parlement dans les dix ans qui précèdent leur nomination ». Mais ce texte de loi, déjà présenté en 2023, avait été superbement ignoré par la Macronie.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/conseil-constitutionnel/richard-ferrand-a-la-tete-du-conseil-constitutionnel-pourquoi-sa-nomination-provoque-un-tolle

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