Royaume-Uni. Entretien avec Alex Gordon : « Cette lutte révèle l’alternative politique dont a besoin notre pays »(LH.fr-6/09/22)

Forte de 80 000 adhérents, la National Union of Rail, Maritime and Transport Workers (RMT) mène une grève, inédite depuis les années 1980, contre le gel des salaires et pour de meilleures conditions de travail.

Entretien avec Pierre BARBANCEY, envoyé spécial de l’Humanité.

Le dirigeant syndical analyse la situation sociale en Royaume-Uni et se félicite du renouvellement en cours. Les militants de son syndicat multiplient les débats sur les lieu de travail.

Comment ce mouvement social s’est-il développé en Grande-Bretagne ?

Alex GordonPrésident du syndicat des cheminots (RMT)
ALEX GORDON
Président du syndicat des cheminots (RMT)

Depuis les mois de mai et juin, un mouvement est né de la frustration des travailleurs, dont les salaires étaient bloqués depuis deux ans. Cela a coïncidé avec une énorme augmentation du coût de la vie. Selon nos paramètres, l’inflation au mois d’août a dépassé les 13 %. Les économistes parlent maintenant d’une inflation qui pourrait atteindre les 20 % au mois de décembre. Tout le monde est touché, mais les pauvres encore plus. Certaines personnes travaillent quarante à cinquante heures par semaine mais ont besoin des aides de l’État parce que leurs salaires sont insuffisants. Les patrons profitent de cette aide pour maintenir des bas salaires. Pour toutes ces raisons, on assiste à cette explosion sociale. Ce sont les cheminots qui se sont mobilisés en premier, car notre profession a su maintenir une tradition syndicale forte, de lutte et idéologique. C’est ce qui explique notre importante mobilisation en mai contre le gel des salaires et pour de meilleures conditions de travail. Il faut ajouter l’atmosphère populaire de révolte qui existe contre le gouvernement conservateur.

Ces attaques ramènent-elles aux années Thatcher ?

On peut comparer, mais il est dangereux d’établir une équivalence. La société d’aujourd’hui est très différente de celle des années 1980. Lorsque Thatcher est arrivée au pouvoir, en 1979, il y avait 13 millions de salariés syndiqués. Aujourd’hui, ils sont 6,5 millions. À l’époque, 83 % dépendaient de conventions collectives. Celles-ci, dans le secteur public, ne concernent que 25 % d’entre eux. Dans le privé, ces conventions ont été réduites drastiquement. Les jeunes sont désespérés. Le coût du logement est tel qu’il est impossible de louer un appartement à Londres. Les salaires baissent année après année. Ce n’est pas nouveau, mais c’est arrivé à un point tel que les gens disent : « Ça suffit ! » (« Enough is enough ! »). Le moment est important. Il s’agit de savoir si les mouvements sociaux et les organisations syndicales peuvent s’unir pour affronter le gouvernement néolibéral. Si le mouvement travailliste et la gauche ne se saisissent pas de la situation pour développer de nouvelles perspectives, alors l’extrême droite pourrait tirer son épingle du jeu.

Comment les conservateurs et les travaillistes se comportent-ils ?

Les deux partis de gouvernement sont très proches. Le Parti travailliste, fondé par les syndicats au début du XXe siècle, a viré à droite, et le Parti conservateur a gouverné plus que toute autre formation au monde. C’est un parti politique retors, intelligent et dangereux. On le voit dans la manière de changer les dirigeants depuis le référendum sur le Brexit.

Le Parti travailliste est encore un parti lié organiquement au mouvement syndical. Mais sa direction est dans les mains de gens qui ne veulent être qu’un parti de gouvernement et sont prêts à tout pour y arriver. Ils n’ont pas de liens politiques avec notre mouvement, avec la gauche ou avec le socialisme. Si nous ne sortons pas victorieux de la lutte que nous engageons et que nous avons un gouvernement, travailliste ou conservateur, qui continue à baisser les salaires, à casser le niveau de vie de la classe ouvrière, il y aura une situation de vide politique. Et l’extrême droite tentera de le remplir.

En réalité, la lutte qui s’engage révèle l’alternative politique dont a besoin la Grande-Bretagne. Il est important que les syndicats et le mouvement social gagnent.

Comment caractériseriez-vous le mouvement actuel ?

On voit maintenant de plus en plus de jeunes travailleurs participer aux actions. On les rencontre dans les piquets de grève, alors qu’ils ne viennent pas aux réunions syndicales. Ils veulent s’identifier à la lutte. Ils viennent avec leurs musiques, leurs amis, leurs drapeaux. Ils dansent. Pour eux, ce n’est pas contraignant. Ce qui change de l’image des vieux travailleurs, au milieu de l’hiver, qui tentent de se réchauffer autour d’un brasero. Ces jeunes prennent le mouvement en main. Ils veulent gagner quelque chose. Avec le mouvement syndical, ils ont trouvé leur outil pour cela. Et c’est aussi ce que nous voulons : un renouvellement du mouvement syndical.

Entretien réalisé par Pierre BARBANCEY

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10 downing street l’ennemie des syndicats et des pauvres

Liz Truss, 47 ans, ministre des Affaires étrangères, a été élue ce lundi à la tête du Parti conservateur et du gouvernement britanniques en remplacement de Boris Johnson. Elle l’avait soutenu jusqu’au bout avant qu’il ne chute sous le poids de scandales à répétition. Elle devient la troisième femme à occuper le poste de premier ministre après avoir mené une campagne très à droite contre son collègue des Finances, Rishi Sunak. Liz Truss, qui se réclame de Margaret Thatcher (1979-1990), envisage une baisse massive d’impôts et des coupes claires dans les services publics. Elle promet des aides aux ménages en difficulté face à une inflation de plus de 10 % et une hausse de 80 % de la facture d’électricité à court terme, mais elle se garde bien d’en détailler les mesures. Dans un contexte social très tendu, marqué par des luttes massives dans de nombreux secteurs, elle s’est dite disposée à en découdre avec les syndicats. Elle n’a pas hésité non plus à fulminer contre les fonctionnaires et les grévistes. Selon un sondage YouGov, 52 % des Britanniques s’attendent à voir débarquer au 10 Downing Street une très mauvaise première ministre.

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source: https://www.humanite.fr/monde/royaume-uni/royaume-uni-alex-gordon-cette-lutte-revele-l-alternative-politique-dont-besoin-notre-pays-762392

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