
Par Kate STENT.
L’histoire du maire démissionnaire, Yannick Morez, est celle d’un homme pris dans un tourbillon. De l’incendie à la démission, il est devenu le symbole d’une France déchirée politiquement.
Difficile d’imaginer le tourbillon dans lequel le maire démissionnaire de Saint-Brevin, Yannick Morez, est placé depuis le 10 mai dernier. En quelques jours, ce médecin généraliste de 62 ans a été entendu au Sénat, reçu par la Première ministre Élisabeth Borne à Matignon et a accueilli sur le perron de sa mairie, mercredi 24 mai, l’ensemble des personnalités de la gauche, lors d’une grande marche organisée en son honneur. Sans compter les milliers de témoignages reçus, dont beaucoup transmis par des élus locaux qui y ont, spontanément, confié leur propre désarroi.
En annonçant sa décision de quitter la ville dans laquelle il vit depuis 32 ans, en raison de menaces le visant, lui et sa famille, sur fond de tensions liées au transfert du Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), Yannick Morez est devenu un symbole. Très rapidement, la sphère politique a brandi son exemple pour dénoncer la vulnérabilité des élus locaux face à des citoyens de plus en plus agressifs. « Les maires sont devenus les punching-balls de la République », lâchait Roch Chéraud, maire d’une commune voisine de Saint-Brevin, le 16 mai.
« Les élus sont mes domestiques »
« Les gens sont de plus en plus violents et exigeants, nous sommes dans une société de l’immédiateté, estime pour sa part Maryse Carrère, sénatrice des Hautes-Pyrénées et présidente de la « Mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France », lancée en janvier 2023. On vient tout demander au maire mais il y a beaucoup de choses dont il n’a pas la responsabilité, sur lesquelles il n’a pas de prise. »
Directeur de recherches au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Luc Rouban a longtemps travaillé sur les évolutions de l’État et de la démocratie. Lui aussi voit, dans cette affaire de Saint-Brevin, un problème lié à la citoyenneté. « Ces dernières années, s’est développée une relation marchande au politique : je paie mes impôts, donc les élus sont mes domestiques, en quelque sorte, analyse-t-il. Cette emprise de la culture capitalistique sur la chose publique engendre des exigences d’immédiateté. »
Cette tendance, certes minoritaire mais réelle, ne doit pas éclipser l’autre question posée par cette « affaire » de Saint-Brevin : celle de la montée de l’extrême droite dans la société. Car au collectif de riverains opposé au transfert du Cada dans leur quartier, s’est très rapidement greffé le Rassemblement national (RN) puis Reconquête, le parti d’Eric Zemmour. Ces dernières semaines, en raison du durcissement des discours et des manifestations, les deux partis se sont éclipsés au profit de militants ultras, issus notamment du Groupe union défense (Gud) et des jeunes issus de la mouvance « de la jeunesse Charles Martel ».
« Le retour d’une violence politique »
« À Saint-Brevin, on voit le retour d’une violence politique et une radicalisation du débat, y compris dans une ville de taille moyenne, estime Luc Rouban. Les idées d’extrême droite ont pris racine. L’affaiblissement de l’État, dénoncé par Yannick Morez, laisse la place libre à la radicalité politique. » Cette mouvance est extra-communale, avec des militants venus d’ailleurs, notamment ceux qui ont combattu, fin 2022, l’implantation d’un centre pour migrants à Callac. « Les Brévinois sont, dans leur immense majorité, favorables à l’accueil de migrants, confiait récemment Yannick Morez. Depuis 2016, la commune en a accueilli 400 grâce à un élan associatif remarquable. Cela n’a jamais posé le moindre souci. » Des habitants qui vivent d’autant plus mal l’image relayée dans les médias de leur commune.
Comment expliquer que la démission de Yannick Morez ait pris une telle ampleur ? « Je pense qu’il a mis les mots sur ce que vivent beaucoup de maires en France, pense Maryse Carrère. Avec des situations moins violentes, sûrement, mais tout aussi usantes. » « Cette affaire de Saint-Brevin pose la question de la décentralisation, estime Luc Rouban. Les maires ont l’impression qu’on a surtout décentralisé les emmerdements ! Ils se retrouvent piégés avec des politiques qui se déchargent sur eux sur des questions épineuses comme l’immigration, qui ne sont pas du ressort des élus locaux ! »
Dans le sillage de la démission de Yannick Morez, beaucoup d’élus regardent vers l’horizon 2026 et les prochaines élections municipales. « Qui va vouloir se présenter dans un tel contexte ?, interroge Roch Chéraud, également président de l’Association des maires ruraux de Loire-Atlantique. D’autant qu’avec les nouvelles règles d’urbanisme comme le Zéro artificialisation nette des sols, les maires n’auront pas d’autre choix que de refuser des permis de construire… »
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