
© Romain GAILLARD/REA
Sur les 29 gardes à vue prononcées par le parquet à la suite de la mobilisation du 18 septembre à Paris, une douzaine étaient jugées mardi, selon la procédure de comparution immédiate. Deux des prévenus se sont succédé dans le box. Compte rendu d’audience.
Par Lionel VENTURINI.
Le soir de la manifestation du 18 septembre, P., un graphiste parisien trentenaire, est en garde à vue dans le commissariat du 19e arrondissement. Outre sa participation au défilé, on lui reproche une rébellion lors de laquelle une jeune policière a eu le coude cassé.
Des « violences sur fonctionnaire ayant autorité » pour lesquelles ce célibataire encourt sept ans de prison. Les policiers s’appuient sur des captures d’écran. L’avocat du prévenu, Me Alexis Baudelin, réclame le visionnage intégral de la séquence, filmée par la caméra de surveillance du commissariat.
On y voit P., assis sur son banc, en train de s’agiter. Un policier le démenotte puis, soudainement, le prend à la gorge et le colle au mur. L’homme se retrouve ensuite plaqué à terre par des policiers venus en renfort, et traité de « connard de gaucho » – la caméra, qui enregistre l’image mais pas le son, n’a pas conservé les injures. « J’ai pris peur », dit-il.
C’est dans ce même mouvement que la policière voit son coude fracturé. « Sans votre rébellion, pas de blessure », résume la procureure. Mais P. est formel : s’il a pu paraître agité sur son banc, c’est parce qu’il réclamait des soins pour son voisin, blessé au crâne. Ce que l’intéressé vient confirmer à la barre : « On m’a juste proposé quelques feuilles de papier toilette pour éponger le sang. »
« Si vous vous trouvez à 18 h 19 place de la Nation, ce n’est pas par hasard »
Avant cette algarade au commissariat, P. manifestait dans le cortège parisien. Des policiers en civil affirment l’avoir suivi pendant quarante-cinq minutes. Ils jurent l’avoir vu jeter des pierres. « Mais durant ce laps de temps, ils ne parviennent pas à prendre une seule photo où mon client jetterait quelque chose », s’étonne Me Baudelin. Dans les propos des magistrats, un certain effroi se devine. « Est-ce que vous vous considérez comme un révolutionnaire ? » demande le président. « Je me définis comme un socialiste », répond P. Le magistrat lève un sourcil.
Au milieu de ces débats, la juge rapporteuse entend donner des « éléments de contexte ». Parmi eux, les extraits d’un PV policier répertoriant « les codes des black blocs ». La magistrate détaille comment un parapluie ouvert dans la foule donne le top départ d’une action. Elle pointe aussi leur dress code, tous de noir vêtus. Problème : P., ce jour-là, portait une chemise à carreaux et un béret – le soleil tapait.
D. , qui lui succède dans le box, arborait, lui, un jean bleu et un bob blanc. Ce quinquagénaire californien venu passer quelques jours de vacances à Paris a suivi son épouse française dans la manif. Il a été arrêté et incarcéré dans la foulée. « Si vous vous trouvez à 18 h 19 place de la Nation, ce n’est pas par hasard, cingle la procureure. C’est dans le but de participer à un climat de tension. »
En garde à vue, sonné, paniqué et tardivement aidé par une interprète, D. a reconnu avoir retourné un palet de gaz lacrymogène lancé par les CRS. De quoi constituer une « participation à un groupement formé en vue de la préparation d’infractions de violences », infraction fourre-tout dénoncée par les avocats. « Je ne veux plus le savoir en France ! » tonne la procureure, qui réclame deux ans d’interdiction du territoire.
Traîné violemment par les pieds sur une dizaine de mètres
Tour à tour, les avocats pointent les manquements et les incongruités des procédures : PV non signés, lieux d’interpellation fantaisistes. Ainsi, pour D., prétendument interpellé « rue du Faubourg-Saint-Antoine », une artère longue de près de deux kilomètres. Son arrestation, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, est visionnée à l’audience. On y voit le prévenu, traîné violemment par les pieds sur une dizaine de mètres de bitume.
Sur les images, aucun doute, on est place de la Nation. Qu’importent, pour le tribunal, ces approximations. Les droits de D. lui ont été notifiés près de sept heures après le début de sa garde à vue, soulève son avocate Camille Vannier. Pas de quoi, non plus, justifier une nullité de procédure, tranchent les magistrats.
Le gaillard a un gabarit qui fait de son corps une arme, se risque même la procureure. Pour le père de famille états-unien, ce sera 100 jours-amendes et une interdiction du territoire de deux ans. Les policiers qui l’ont interpellé réclamaient des dommages et intérêts, dans deux plaintes copiées-collées, avec les mêmes fautes d’orthographe.
Les magistrats ne les ont pas suivis. D. a finalement quitté sa cellule de prison à quatre heures du matin, dans la nuit de mardi à mercredi. Il reste sous le coup d’une interdiction de territoire. P., le graphiste, a lui écopé de quatre mois ferme avec mandat de dépôt. Les avocats des deux prévenus feront appel.
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Six mois de prison ferme pour un jet de peinture sur Matignon
C’est « la sanction la plus lourde jamais prononcée en France à l’encontre d’une activiste pour une action de désobéissance civile non violente », s’indigne le collectif Dernière Rénovation (DR), en réaction au verdict tombé mardi 23 septembre : Rachel, militante chez DR de 23 ans, a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris à six mois de prison ferme. En novembre 2023, la jeune femme avait recouvert la façade de Matignon de peinture lavable orange.
Par ce geste, elle entendait dénoncer le manque de moyens accordés à la rénovation thermique des bâtiments, alors qu’en France, près de 12 millions de personnes doivent parfois choisir entre manger ou se chauffer l’hiver.
Rachel a été aussi reconnue coupable de violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, « malgré les très maigres preuves en ce sens », dénonce le collectif qui parle de sanction « d’une sévérité incroyable » et s’inquiète d’un « grave recul du droit des citoyens à défendre pacifiquement un futur vivable pour toutes et tous ».
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