Santé : les urgences à deux vitesses durant les Jeux olympiques (H.fr-1/08/24)

Des patients attendent sur des brancards au service des urgences du centre hospitalier de Perpignan, dans le département des Pyrénées-Orientales, le 17 juillet 2024. © Arnaud Le Vu / Hans Lucas

Alors que les moyens ont été mis sur la table pour répondre aux besoins sanitaires lors des Jeux olympiques de Paris 2024, les fermetures de services d’urgence se multiplient partout dans le pays cet été. En cause : le sous-effectif et le manque de lits encore accentué par l’afflux de touristes.

Par Cécile ROUSSEAU.

Coup de chaleur sur les urgences. Pas un jour ne passe depuis fin juillet-début août sans qu’un service ne soit mis en régulation systématique avec l’appel au 15 ou fermé la nuit. Par endroits, les récents pics de température ont encore accru la pression.

Pourtant, avec les jeux Olympiques, le tableau est un peu différent des autres saisons estivales. Comme le souligne Marc Noizet, président du syndicat Samu-Urgences de France : « Le sentiment est contrasté. D’un côté, là où il y a des épreuves de Paris 2024, on s’est préparé et on a mis les moyens pour être en nombre suffisant afin de répondre aux besoins. Cela occulte tout le reste. De l’autre, des services d’urgence sont en difficulté, probablement plus qu’en 2022-2023, et rien n’a été fait pour que cela aille mieux. »

À l’AP-HP, seulement 5 % de bénéficiaire de la prime JO

De fait, 1 300 lits auraient été ouverts en Île-de-France, dont 750 à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) notamment en médecine, chirurgie ou obstétrique (MCO) pour soigner au mieux les 15 millions de visiteurs attendus. 16 lignes de Smur supplémentaires sont arrivées en renfort, ainsi qu’une polyclinique éphémère, installée au cœur du village olympique. Sommés de décaler leurs vacances ou de les réduire, les soignants se sont sacrifiés.

Mais seule une infime minorité, 5 % d’entre eux à l’AP-HP, serait bénéficiaire de la prime JO selon le collectif Inter-Urgences. Début juillet, une grève a été déclenchée à l’appel de la CGT aux urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), à Paris, puis à Necker, pour dénoncer les conditions de travail dégradées et cette attribution de primes ultrasélective. Malgré cette débauche de moyens ciblés, la situation reste loin d’être idyllique dans la zone francilienne.

« Nous avons une antenne des urgences psychiatriques mais il n’y a pas de psychiatre… Certains patients peuvent rester 48 heures dans le service. Les soignants, eux, ont peur de venir travailler. »Sophie*, représentante CGT à l’HEGP

Aux urgences de l’HEGP, hôpital de référence pour les délégations de Paris 2024, les derniers jours ont été particulièrement tendus. Si le nombre de patients a grimpé, avec 150 lits toujours fermés en aval, les faits de violence se sont également succédé.

Dans la nuit du 26 au 27 juillet, un ancien aide-soignant s’est introduit dans le service en se faisant passer pour un médecin et a ausculté des malades : « Il a demandé à l’une d’entre elles, mineure, de se déshabiller, les personnels sont vite intervenus, explique Sophie*, une représentante de la CGT. Nous avons déclenché un danger grave et imminent. Aucune mesure n’a été prise depuis. Le lendemain, c’est un vigile qui a été agressé. Nous avons une antenne des urgences psychiatriques mais il n’y a pas de psychiatre… Certains patients peuvent rester 48 heures dans le service. Les soignants, eux, ont peur de venir travailler. »

Des heures supplémentaires couplées à un manque d’effectifs

À Nice (Alpes-Maritimes), qui a accueilli des matchs de foot olympiques, la pression est montée d’un cran cette semaine avec la flambée du thermomètre. Si la canicule n’est pas encore installée, le CHU est passé en hôpital en tension de niveau 1.

« On a vécu des journées chaudes, dont une à 350 passages dont 100 personnes en même temps dans le service, explique Pierre-Marie Tardieux, chef de pôle des urgences. Pourtant, nous sommes en effectif complet. 50 % des patients ont plus de 70 ans. Nous avons aussi subi la vague de départs en vacances des médecins généralistes… Nous commençons à réfléchir à des déprogrammations d’interventions et une cellule de crise recommande d’appeler le 15 avant de venir. »

« Ça me fait halluciner, on laisse la population en danger. »Alexandre Robert, secrétaire FO du centre hospitalier du Chinonais

Pour la CGT, outre les heures supplémentaires qui explosent, dix infirmières et cinq aides-soignantes manqueraient à l’appel pour travailler décemment. « La population triple pendant l’été mais rien de spécifique n’a été mis en place alors que nous sommes un des CHU les plus fréquentés de France », pointe Stéphane Gaubert, secrétaire de la CGT sur place.

Dans ce deux poids deux mesures sanitaire, l’absence de ministre de la Santé désigné, pour cause de gouvernement démissionnaire, n’est pas pour rassurer Alexandre Robert, secrétaire FO du centre hospitalier du Chinonais (Indre-et-Loire). « Ça me fait halluciner, on laisse la population en danger. Ici, les patients ne savent jamais quand le service est ouvert car c’est actualisé au jour le jour. Deux médecins sont en arrêt maladie. Ceux qui restent font des semaines de 72 heures. »

Dans ce centre hospitalier, au croisement des châteaux de la Loire mais loin des terrains de compétition, les paramédicaux des urgences avaient déjà fait un burn-out collectif il y a deux ans. « Mais il n’y avait pas eu de recrutements, poursuit-il. En 2023, une enquête du syndicat avait montré qu’un agent sur deux était encore surmené aux urgences et en gériatrie. Dans tout l’hôpital, nous avons un taux d’absentéisme de 11 %. »

« J’aimerais bien connaître le montant de la facture »

Les petits établissements comme celui-ci sont touchés de plein fouet par les fermetures estivales, leurs activités se reportant ensuite sur les plus grandes structures. C’est ce qui s’est passé au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine), mis en régulation téléphonique pour la première fois de son histoire du 8 au 15 juillet. Aux alentours, les alternatives sont minces. Les urgences de Vitré sont fermées la nuit depuis 2020, celles de Fougères le sont aussi ponctuellement comme celles de deux hôpitaux privés de l’agglomération rennaise.

« La fréquentation a été forte en juin et juillet, notamment à cause du Covid. Les urgences seront à nouveau régulées du 10 au 20 août, glisse Louis Soulat, vice-président de Samu-Urgences de France et chef du Samu 35. Le centre Bretagne est aussi en difficulté. À Pontivy (Morbihan), le Smur a été fermé trois nuits, il a fallu organiser un redécoupage des secteurs d’intervention. »

Comme tient à le préciser Marc Noizet : « Il faut distinguer les régulations d’accès instaurées à cause des tensions et celles du service d’accès aux soins (SAS), pour donner la possibilité au patient d’être pris en charge au bon endroit, notamment en ville. Mais en ce moment, nous sommes particulièrement dans ce premier cas de figure. »

En Ille-et-Vilaine, ce contexte compliqué n’a pas empêché l’agence régionale de santé (ARS) d’autoriser des agents du Smur de venir prêter main-forte sur leurs congés pour Paris 2024. « Les ARS ont essayé de régler les problèmes de carence et ont veillé à ce que les plannings soient remplis pour que l’on puisse participer aux JO. Tout cela reste fragile », constate Louis Soulat.

Au centre hospitalier de Perpignan (Pyrénées-Orientales), François Sanchez, représentant de FO, regarde presque ce branle-bas de combat de la santé autour de cet événement planétaire avec envie. « Ici, le week-end dernier, il y a eu beaucoup de monde pour des problématiques de fractures. Avec l’afflux de touristes, on se retrouve avec 200 à 240 patients par jour pour un service calibré pour 140. Il manque la moitié des médecins : il y en a 25 au lieu de 48. Et on pense que nous ne sommes pas encore dans le dur. Pas étonnant que nous n’arrivions plus à fidéliser les soignants. » Le service a été mis en régulation par le 15 le soir.

« Quand les gens appellent le numéro pour des cas comme un AVC, on sait qu’il y a des pertes de chances, estime-t-il. Certaines personnes ne savent pas non plus qu’il faut passer un coup de fil avant de venir et ça échauffe les esprits quand ils se présentent. » Tous savent que cette minuscule trêve instaurée pendant les JO dans une zone bien délimitée n’est pas appelée à durer. « Les fermetures de lits vont reprendre à l’AP-HP à partir du 9 août, assure Pierre Schwob du collectif Inter-Urgences, et les Parisiens qui ont quitté l’Île-de-France vont aussi finir par revenir. »

Mais ces moyens renforcés durant les Jeux sont gardés en mémoire par les professionnels. « J’aimerais bien connaître le montant de la facture, pointe Marc Noizet. Tout a été maintenu à 100 %. Comment faire pour que cela soit le cas partout ? » Alors que les causes de la crise hospitalière sont connues, il espère qu’une loi de programmation pluriannuelle pourra un jour être mise en place pour la santé. « Quand nous aurons recensé les services en difficulté d’ici mi-septembre, nous transmettrons l’information à notre futur ministre. Nous en avons connu cinq en deux ans. Nous sommes fatigués de rester sans perspective. »

* Le prénom a été changé.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/hopital/sante-les-urgences-a-deux-vitesses-durant-les-jeux-olympiques

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sante-les-urgences-a-deux-vitesses-durant-les-jeux-olympiques-h-fr/

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