Sécurité sociale de l’alimentation : à Lyon, une expérience prometteuse risque de s’arrêter (Reporterre-27/10/25)

Avant de souscrire à la caisse de l’alimentation, Vittoria faisait ses courses à Lidl, sa seule option avec à peine 1 100 euros de pension de retraite. – © Oriane Mollaret / Reporterre

La première caisse de l’alimentation de Lyon est menacée, malgré les souscriptions de 140 foyers, dont plus de la moitié sous le seuil de pauvreté. Faute de financements, cette expérimentation pourrait s’arrêter en mars 2026.

Par Oriane MOLLARET

8ᵉ arrondissement de Lyon (Rhône), reportage

Raphaël Boinay a repris goût à la cuisine. Depuis mars, cet artiste lyonnais a délaissé les supermarchés discount pour les marchés bio et les petits magasins de producteurs. « Je mange du poisson, du fromage de brebis, du vrai pain de campagne, des fruits et légumes frais », énumère-t-il avec gourmandise. Le quadragénaire n’a pas gagné au loto, il a simplement intégré la caisse de l’alimentation, une expérimentation de sécurité sociale de l’alimentation lancée il y a un an dans le 8ᵉ arrondissement de Lyon.

En 2019, un diagnostic commandé par la Métropole de Lyon avait rendu des conclusions accablantes : un tiers des habitants déclaraient ne pas avoir les moyens de s’alimenter correctement, notamment en produits frais. Pire, 15 % disaient ne pas manger à leur faim. En parallèle, un collectif initié par ISF-Agrista, une association d’agronomes qui milite pour la souveraineté alimentaire, posait sur la table un projet de « Sécurité sociale de l’alimentation ».

Celle-ci repose sur trois piliers : l’universalité des allocations qui garantit l’accès de tous à l’alimentation ; la solidarité incarnée par un mécanisme de cotisations sociales versées à une caisse locale de l’alimentation ; une organisation démocratique, notamment pour sélectionner les lieux conventionnés.

« Développer une offre alimentaire de qualité et donner les moyens d’y accéder à ceux qui en ont besoin »

Puis la crise sanitaire du Covid-19 a éclaté, catalyseur d’une prise de conscience de l’importance d’une nourriture saine et de ses inégalités d’accès. En 2021, l’association Territoires à vivres, qui réunit plusieurs structures de l’économie sociale et solidaire, a lancé des expérimentations dans plusieurs villes — dont Lyon — pour « favoriser un accès digne à une alimentation de qualité pour toutes et tous, en particulier les plus vulnérables »

Le 8ᵉ arrondissement n’a pas été choisi au hasard : il y a là les quartiers les plus pauvres de la ville et une offre alimentaire réduite. On y fait ses courses à Lidl ou Aldi, pas à Biocoop. Entre les barres des quartiers prioritaires, des épiceries sociales et solidaires ont vu le jour, ainsi qu’un tiers-lieu alimentaire nommé La Mesa et une microferme urbaine dans le cadre du projet Quartiers fertiles de l’Agence nationale de la rénovation urbaine, dont la ville est lauréate.

« On voulait faire la démonstration de A à Z, retrace Jérémy Camus, vice-président EELV de la Métropole de Lyon en charge de l’alimentation. Développer une offre alimentaire de qualité et donner les moyens d’y accéder à ceux qui en ont besoin. » 

Raphaël, au chômage, a rejoint la caisse en mars 2025. © Oriane Mollaret / Reporterre

La caisse de l’alimentation de Lyon 8ᵉ a été imaginée dès le début de l’année 2024 par 30 foyers volontaires réunis en un comité baptisé Calim8. Pendant six mois, des réunions bimensuelles ont dessiné les contours du dispositif, officiellement lancé le 21 septembre 2024. La caisse rassemble aujourd’hui 140 ménages du 8ᵉ. « L’objectif est que les habitants se réapproprient l’alimentation et qu’ils retrouvent un pouvoir d’agir dessus », décrit Mariella Eripret, de l’association Territoires à vivres Grand Lyon qui porte la caisse. 

Deuxième du genre dans la région avec celle de Dieulefit (Drôme), elle fonctionne comme la Sécu sur le principe de la cotisation. Son budget est de 755 000 € sur trois ans, financé à 46 % par la Métropole de Lyon et 28 % par l’État via le fonds Mieux manger pour tous. De nouveaux contributeurs ont rejoint l’aventure en 2025 : la Ville de Lyon, la Banque des territoires, le fonds de dotation La Poule rousse et le réseau Biocoop. Le reste, qui représente 25 % du fonds de caisse et 11 % du projet global, provient des bénéficiaires eux-mêmes. 

Des cotisations en fonction du niveau de vie

« La cotisation minimum est de 1 euro par personne, puis varie en fonction du niveau de vie, dit Mariella Eripret. Il y a une grille indicative pour que les gens se situent, mais ça reste du déclaratif. » La cerise sur le gâteau, acquiesce Raphaël Boinay : « Ailleurs, il faut montrer plein de papiers, avant qu’on nous ouvre la porte du frigo, expliquer comment on s’est retrouvé au chômage… C’est très stigmatisant. » Et d’annoncer fièrement que ce mois-ci, il pourra verser 5 euros.

En retour de ces cotisations, les bénéficiaires de la caisse reçoivent une allocation mensuelle de 150 euros pour une personne seule, et jusqu’à 450 euros pour une famille. Cet argent peut être dépensé dans 24 commerces, épiceries sociales et solidaires, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne, producteurs sur les marchés, choisis par les bénéficiaires eux-mêmes pour leurs produits de qualité, locaux et bio. 

« On y prend goût à ces produits-là ! »

D’après Territoires à vivres, 56 % des foyers de la caisse vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 1 250 euros nets par mois. Une vingtaine d’entre eux y ont été orientés par les services sociaux de la Métropole de Lyon. C’est le cas d’Hichem Daoud, un ancien facteur qui vivote avec environ 700 euros d’allocation par mois depuis un accident de travail. « Je vais pouvoir avoir une nourriture saine et bien produite, tout en encourageant le travail des agriculteurs », s’étonne-t-il.

« Au début, je n’osais pas acheter ces produits tellement ils sont chers », reconnaît Vittoria Capogrossi. Cette retraitée faisait ses courses à Lidl, peinant à boucler les fins de mois avec son loyer de 600 euros qui grignote plus de la moitié de sa pension. Elle a rejoint la caisse en décembre 2024, après en avoir entendu parler sur les réseaux sociaux. « Je remange du poisson ! » sourit-elle, ravie. Un an plus tard, la septuagénaire n’a qu’une crainte : que l’expérimentation s’arrête : « On y prend goût à ces produits-là ! » 

Epi c’est bon, une épicerie et cantine solidaire du 8e arrondisseent de Lyon, fait partie des lieux conventionnés par la caisse de l’alimentation. © Oriane Mollaret / Reporterre

Un premier bilan, réalisé six mois après le début de l’expérimentation, a constaté des changements « notables » dans les habitudes alimentaires des bénéficiaires de la caisse : ils cuisinent plus régulièrement, consomment des produits diversifiés et font preuve d’une meilleure compréhension des enjeux liés à l’alimentation durable.

« C’est un engagement politique concret »

Certains n’en avaient pas besoin pour manger bien et bio. Ils cotisent quand même, davantage qu’ils ne reçoivent. « C’est un engagement politique concret », affirme Delphine Franco, qui fait partie des 30 premiers foyers à s’être portés volontaires. Cette consultante en réglementation des produits chimiques, son mari et leurs deux ados vivent en lisière d’un quartier populaire du 8ᵉ arrondissement.

« Il y a beaucoup de familles précaires. J’ai souvent vu des camarades de classe de mes enfants arriver à l’école le ventre vide, raconte-t-elle. Nous, le bio, on pouvait se l’acheter, mais pas eux. » Chaque mois, ils versent 255 euros à la caisse, qui leur en donne 225 en retour. 

Delphine Franco fait partie de ceux qui cotisent plus qu’ils ne reçoivent, par militantisme. © Oriane Mollaret / Reporterre

Malgré cet enthousiasme partagé, ce pourrait bientôt être la fin des haricots pour la caisse du 8ᵉ. L’expérimentation devait initialement durer jusqu’en novembre 2025. Une rallonge de 100 000 euros votée le 23 juin par la Métropole de Lyon doit lui permettre de tenir jusqu’à la fin du mandat, en mars 2026, date des élections municipales et métropolitaines.

De son côté, Territoires à vivres a lancé une campagne de financement participatif. L’association s’est donnée jusqu’à décembre pour récolter 30 000 euros supplémentaires. D’après Jérémy Camus, une pérennisation est impossible en l’état. « On sait faire, mais financièrement on ne peut pas généraliser cette expérimentation à d’autres quartiers, déplore l’élu. Pour avoir un vrai budget, il faudrait l’adosser à celui de la Sécurité sociale. »

Une proposition de loi toujours pas discutée

Une proposition de loi visant à expérimenter l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation a été déposée en octobre 2024, portée par plusieurs députés de gauche et écologistes dont Charles Fournier (Indre-et-Loire) et Boris Tavernier (Rhône), également cofondateur du réseau Vrac (Vers un réseau d’achat en commun).

Le texte évoquait l’expérimentation de 30 caisses de l’alimentation locales pour une durée de cinq ans, financées par « un fonds national d’expérimentation ». Censé être examiné le 20 février 2025, il n’a pas pu être discuté à l’Assemblée nationale, faute de temps.

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Source: https://reporterre.net/Securite-sociale-de-l-alimentation-a-Lyon-une-experience-prometteuse-risque-de-s-arreter

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/securite-sociale-de-lalimentation-a-lyon-une-experience-prometteuse-risque-de-sarreter-reporterre-27-10-25/

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