
Sud Radio a interviewé des médecins le 6 août sur la situation dans les services d’urgences. Avec l’autorisation des docteurs Cyrille Venet et Caroline Brémaud, nous reproduisons de larges extraits de leur interview.
Sud Radio : Bonjour docteur Cyrille Venet, médecin anesthésiste, secrétaire général du Syndicat national des médecins hospitaliers Force ouvrière, avec vous, on va faire le point parce que des urgences sont en grève à Aix-en-Provence, au Havre, en Mayenne, dans le Var, dans les Bouches-du-Rhône. Concrètement j’ai l’impression que c’est un triste refrain, chaque été. Aujourd’hui quelle est la situation ?
Dr Cyrille Venet : Il y a une dégradation progressive. Je voudrais citer des chiffres sur un CHU que je connais bien (Grenoble). En 1990 il y avait 4 500 lits, dans les années 2000 nous n’avions plus que 2 000 lits, et aujourd’hui on fonctionne avec 650 lits. Cela vous donne une idée de la cinétique. À l’heure où je vous parle il y a entre 100 et 120 patients dans les urgences de Grenoble. Il est faux de dire que c’est un refrain, la situation s’aggrave d’année en année.
Dans mes pires cauchemars, je n’aurais pas imaginé, il y a seulement 3 ans en arrière, ce que je vois aujourd’hui. Il y a un manque de lits, ce qui fait que des patients à hospitaliser restent sur des brancards aux urgences. Il y a des études scientifiques qui ont été publiées dans des revues très sérieuses qui montrent que les patients qui sont là dans les urgences avant minuit et qui sont là encore à 8 heures du matin, ont un taux de mortalité bien supérieur à ce que l’on s’attend pour leurs pathologies. Cela se concrétise par des retards de diagnostic, par des décès indus.
Ce que la presse relate n’est que le sommet de l’iceberg.
Ce qui est nouveau c’est que les médecins commencent à se tourner vers les syndicats pour s’unir avec eux et faire la grève.
Cette situation est structurelle, je suis obligé de dire que cette situation a été organisée, elle a été voulue. Encore aujourd’hui il y a cette volonté de fermer des lits. Cette année il y a 1 500 internes qui sortent en moins que l’an dernier. L’argent qui est débloqué n’est pas orienté sur le soin.
La politique qui pourrait être menée de recrutement d’aides-soignantes, d’infirmières, de secrétaires médicales, on ne les voit pas. On m’a plutôt souvent expliqué dans ma carrière : « Vous n’y pensez pas docteur, ça coûte trop cher ».
Sud Radio : Caroline Brémaud, vous êtes médecin urgentiste à Laval, membre du Mouvement des Gilets Blancs Santé, c’est vous qui l’avez créé. Au niveau national on vous connaît un peu. Vous avez été chef des urgences à Laval, vous avez été rétrogradée après avoir pris la parole à de nombreuses reprises pour dénoncer la situation qui frappe actuellement l’hôpital public. Quelle est la situation à Laval ?
Dr Caroline Brémaud : On a des urgences fermées la nuit depuis novembre 2021. Et ça s’est aggravé. En juillet on avait 22 nuits fermées. En août, on part sur 18 nuits fermées. En septembre j’ai préféré compter les nuits où les urgences seront ouvertes, on sera à 6.
Pendant ce temps-là, on ne prend pas en charge les urgences vitales, et les patients qui nécessitent des soins dans la nuit sont orientés sur d’autres hôpitaux à une trentaine de kilomètres, ou, si c’est un peu plus spécifique, sur le CHU qui est à 70 km. Donc il y a une « perte de chance », un retard de prise en charge par les patients.
Par exemple, nous à Laval, quand on est fermés, on ne prend pas en charge les AVC (accidents vasculaires cérébraux). En ce moment Samu-Urgences de France fait une vidéo pour dire que pour la prise en charge des AVC, chaque minute compte. Et nous, quand on est fermés, on renvoie les AVC, au mieux sur Château-Gontier à 30 km, au pire, s’il y a besoin d’un IRM, on oriente sur le CHU d’Angers qui est à 1 h 15. C’est assez catastrophique.
Aujourd’hui la direction et l’ARS ont trouvé une solution pour ouvrir les urgences, ils proposent de fermer le Samu. C’est catastrophique. On va avoir des morts, c’est clair.
C’est une situation qui existe dans d’autres départements. Je partage point par point ce qu’a dit Cyrille Venet. Il y a un abandon complet du système de santé, et particulièrement du service public.
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« QUAND J’ENTENDS LE MINISTRE PARLER,J’AI ENVIE DE CRIER.» Sud Radio : Docteur Caroline Brémaud, j’aimerais vous faire réagir, puisque vous parlez de décisions politiques, à ce que disait le ministre de la Santé ce matin (6 août) sur France 2 : « Il y a déjà beaucoup de choses qui ont été faites. Aujourd’hui on est sur la bonne voie. On forme beaucoup plus de soignants, médecins, paramédicaux, infirmiers. Cela va produire ses effets dans quelques années. On investit plus, je ne vais pas vous donner les chiffres, ce n’est pas le lieu et le moment. On réouvre des lits dans les hôpitaux, on ne le dit pas assez. Journaliste France 2 : Aujourd’hui on ferme des lits… Le ministre Valletoux : On les ferme parce qu’on n’a pas assez de médecins. Mais dans plein de CHU ou réouvre des lits… Donc on est sur la bonne voie. Mais simplement c’est un chemin qui est long ». D r Caroline Brémaud : Non, on n’est pas du tout sur la bonne voie. En octobre 2021, c’est Jean Castex qui est venu en Mayenne pour dire qu’il allait débloquer 80 millions d’euros pour faire un nouveau bâtiment Urgences-réanimation, qui devait être prêt en 2024-2025. Aujourd’hui il n’y a même pas une pelleteuse pour faire un trou. On a toujours des patients qui urinent derrière des paravents, on a toujours des patients qui dorment sur des brancards dans le couloir des urgences. Moi j’appelle ça le couloir de la honte. Parce que vous êtes dans un service ouvert où il y a en permanence du bruit et de la lumière, et que vous, vous attendez dans le couloir parce qu’il n’y a pas de lit. Peut-être qu’il y a réouverture de lits, mais pas chez nous, et dans plein d’endroits je pense que c’est pareil. Ce sont des techniques de torture en fait la privation de sommeil avec l’exposition à la lumière et au bruit de façon permanente. Ce sont des techniques de torture. Quand j’entends le ministre parler, je me sens humiliée, j’ai envie de vomir, j’ai envie de crier, de pleurer, de tout. |
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