Sionisme : des jalons pour une histoire coloniale -1 (PRC-10/07/25)

Un récit établi sur des mensonges

Les récits mythologiques antiques ne sont pas historiques, même s’ils évoquent parfois des faits réellement historiques. Pour ce qui est de la Bible, en tout cas du récit de l’histoire du peuple hébreu, rien n’est vrai. En se basant sur « La Bible dévoilée », des archéologues israéliens Neil Asher Silberman et Israël Finkelstein (2001) ou encore sur « Comment le peuple juif fut inventé » (2008) ou « Comment la Terre d’Israël fut inventée » (2014) de l’historien israélien Schlomo Sand, dont les thèses font aujourd’hui consensus chez la majorité des historiens, on s’aperçoit que rien ne tient. Les recherches des historiens et archéologues, depuis la seconde moitié du XIXème siècle, qui visaient, au début, à trouver des preuves de l’historicité de la Bible ont peu à peu permis d’infirmer le récit.

Pas de traces de l’arrivée des Hébreux depuis la Mésopotamie. Pas de traces non plus d’une entrée et d’une sortie d’Egypte des Hébreux. La première mention égyptienne du nom « Israël » date de 1200 avant notre ère et évoque un peuple vassal.

Il faut se rendre à l’évidence, les Hébreux étaient un peuple autochtone. Peut-être étaient-ils des pasteurs nomades vivant en Transjordanie, peut-être étaient-ils simplement des Cananéens, on voit apparaître vers 1000 avant notre ère un peuple qui ne mangeait pas de porc en Cisjordanie actuelle.

Pas de royaume unifié ni de David et Salomon hors la légende.  A l’époque de ce soi-disant royaume, Jérusalem n’était qu’une petite bourgade de l’Âge de Fer de quelques centaines d’habitants. Les deux petits royaumes d’Israël et de Juda sont détruits par les Assyriens pour le premier, par les Babyloniens pour le second. C’est à cette occasion que les prêtres, les dirigeants et leurs familles sont déportés à Babylone. C’est fort probablement durant cette période que la Bible fut écrite, entre 586, seconde vague de la déportation à Babylone et 539, la chute de Babylone, tombée aux mains des Perses qui libèrent les Hébreux.

Le second mythe important est celui de la dispersion et de l’exil des Hébreux. La doxa consiste à dire qu’après la prise de Jérusalem et la destruction du second temple par les Romains de Titus en 70 de notre ère, les Hébreux se sont dispersés dans le monde romain. Or, contrairement à tout le récit officiel, les Juifs étaient prosélytes et c’est ainsi que la religion s’est répandue, d’abord au Moyen Orient dominé par les successeurs d’Alexandre, après la traduction en grec de la Bible, ensuite dans l’ouest du monde Romain, au Maghreb, en Espagne, à Rome même. La religion juive perdure en Palestine, et, à la fin de l’Empire romain, il y a des communautés juives un peu partout dans l’ancien monde romain, on a des traces de leur présence à Sardes (Asie Mineure / Turquie), Ostie (Italie), Cologne (Allemagne), près du mur d’Hadrien en Grande Bretagne, à Volubilis (Maroc), au bord de l’Euphrate (Irak) et, à chaque fois, ce sont des autochtones, souvent des soldats, pas des exilés. Les historiens ont cherché en vain des sources documentant cet exil, ils n’ont rien trouvé. Les juifs d’aujourd’hui, pour l’essentiel, ne sont pas des descendants des Hébreux. Il faudrait plutôt chercher les descendants de Cananéens et des Hébreux parmi les Palestiniens ; ces descendant se sont probablement convertis, d’abord au christianisme, ensuite massivement à l’islam, au gré des dominations byzantine puis arabo-musulmane.

Les Séfarades (juifs d’Afrique du Nord) sont des Berbères, descendants de convertis du temps de Rome. L’empire Khazar (un peuple turc) qui dura de 700 à 1100 de notre ère opéra une conversion massive au judaïsme, tant des dominants que des peuples soumis, notamment slaves et arméniens. On connaît un royaume juif au Yémen, le royaume Himyarite, qui dura du IVème au VIème siècle de notre ère. Enfin, les Mizrahim, juifs arabes et kurdes descendent probablement de communautés juives installés dans le Kurdistan actuel. Il n’y a donc pas un mais des peuples judaïsés.

La laïcisation de la Bible et les débuts du sionisme

Au XIXème siècle, des historiens juifs européens ont utilisé la Bible comme une source historique et établi cette idée double de l’histoire mythique des Hébreux et de l’exil en 70. C’est sur ce terreau que naît le sionisme. Il apparaît au sein de la Bourgeoisie juive de Vienne, en Autriche, sous l’impulsion du journaliste et écrivain Theodor Herzl, auteur en 1896 de « L’État des Juifs », sorte de manifeste du sionisme. Dès le début, c’est une théorie de la séparation. Herzl pense l’antisémitisme inévitable et en déduit que les Juifs et les non-juifs ne peuvent vivre ensemble, ni dans leur pays d’origine, ni dans le futur État juif.

Le contexte de cette fin du XIXème siècle est épouvantable pour nombre de Juifs ashkénazes, ceux d’Europe centrale et orientale, descendants des Khazars ou des peuples qu’ils avaient soumis. Majoritairement installés dans l’empire russe, ils sont, à partir de 1881 et de l’avènement du tsar Alexandre III, massivement victimes de pogroms. Cela déclenchera une émigration massive vers les USA (plus de deux millions de Juifs entre 1881 et 1914). Le sionisme va tenter de profiter de cette réalité pour offrir une autre perspective.

Toutefois, le sionisme n’est pas bien accueilli par les Juifs d’Europe dans la première moitié du XXème siècle. Le mouvement ouvrier dispose d’organisations, comme le Bund qui rassemblent bien plus et dans une perspective révolutionnaire. Pour les Juifs religieux, il était interdit de « retourner » en Terre sainte avant l’arrivée du Messie, pour les Juifs laïques, l’important était d’obtenir des droits dans les pays où ils vivaient. Ils n’avaient aucune ambition d’aller en Palestine.

Le sionisme repose sur un mensonge originel « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », c’est dès le départ un projet colonialiste de substitution : occuper la terre et chasser ou tuer les autochtones. Mais c’est aussi un nationalisme, il a copié sur les nationalismes européens le modèle de l’État ethniquement pur. Mais ce nationalisme est très particulier car il a inventé, le peuple, la terre, mais aussi la langue. En effet, l’hébreu était réservé à un usage strictement religieux. Il existait plusieurs langues juives comme le Yiddish, parlé par les Ashkénazes ou le Judéo-arabe, ensemble des dialectes parlés par les Séfarades.

Enfin, l’apparition du sionisme est un tournant majeur dans l’histoire juive. Pour reprendre les mots de Pierre Stamboul : « Les Juifs étaient considérés par les antisémites comme des « Parias asiatiques inassimilables en Europe ». Le sionisme va chercher à les transformer en colons européens en Asie. »[1].

Les instruments de la réalisation de l’État colonial sioniste

Dès les années 1880 des colons sionistes arrivent et s’installent en Palestine. David Ben Gourion, arrivé en 1906, fait partie de la deuxième vague. De nombreux militants sociaux-démocrates font comme lui. C’est l’époque de la fondation des premiers kibboutz. En 1914, à l’issue de la deuxième vague, on compte en Palestine, 65 à 70 000 émigrants européens. En 1931, ils seront 175 000.

Deux créations majeures interviennent au début des années 1920. D’abord, en 1920, la Haganah, la milice armée, précurseur de l’armée d’occupation actuelle. Fondée dans la foulée de la « Légion juive » intégrée à l’armée britannique en 1917, dirigée par les sionistes les plus réactionnaires, comme Jabotinsky, elle se retrouve très vite contrôlée par les sociaux-démocrates. Ensuite, la Histadrout, le syndicat sioniste, en 1920 également. Cette organisation syndicale unique défend et défendra le « travail juif », organisant des grèves contre les patrons juifs employant des autochtones. Elle sera d’ailleurs interdite aux non-juifs pendant plus de 50 ans. C’est le fer de lance de l’activité politique sioniste en Palestine. David Ben Gourion devient son secrétaire-général en 1921, et, la même année, la Haganah est placée sous les ordres du syndicat, donc de Ben Gourion. La Histadrout va devenir une puissance financière, créant et dirigeant des banques, des assurances, les caisses de retraite et acquérant un monopole d’embauche dans certains secteurs. Son mot d’ordre est que la production et les échanges ne doivent concerner que la société juive.

Une troisième création suit ; en 1929 naît l’Agence juive, exécutif de l’Organisation Sioniste Mondiale (OSM) en Palestine mandataire. Comme direction sioniste en Palestine, elle prend en charge, à la place de la Histadrout, la direction de la Haganah en 1931. Elle est bien vite dominée par la gauche sioniste et en 1935, David Ben Gourion, quitte la direction de la Histadrout[2] pour celle de l’Agence, qui sera le futur gouvernement sioniste.

Entre 1932 et 1939, la cinquième vague d’émigration juive européenne fait arriver 247 000 nouveaux colons, ensuite, avec son livre blanc, la Grande Bretagne va tenter de limiter la migration européenne juive, mais 118 000 migrants clandestins vont parvenir en Palestine entre 1939 et 1948. Avant la création de l’État sioniste, il y a donc plus de 500 000 colons européens ou descendants en Palestine. Depuis 1932, il s’agit plus de fuite d’Europe que de volonté d’aller en Palestine.

L’entité sioniste comme pays des rescapés de l’Holocauste : une vaste blague

La cinquième vague est notamment alimentée par l’accord de Haavara (transfert en hébreu) négocié par l’Agence juive avec les nazis. C’est en 1933, les nazis n’en sont pas encore à la solution finale, ils sont prêts à laisser partir des Juifs pour la Palestine, à leurs conditions. Il s’agissait de laisser une bonne partie de son patrimoine en Allemagne et de permettre à l’État allemand d’exporter des marchandises en Palestine, à destination des membres du Yichouv (Juifs européens vivant en Palestine mandataire). 50 000 Juifs allemands fortunés en bénéficieront. Les pauvres ne sont pas concernés. A ce sujet, revenons à Pierre Stamboul : « Il faut comprendre le sens idéologique de cet accord. L’écrasante majorité des Juifs du monde entier considère, à l’époque, que le combat antifasciste est prioritaire. Ils seront très nombreux, en 1936, à aller combattre le fascisme en Espagne. De nombreuses organisations juives des USA appellent au boycott de l’Allemagne nazie dès 1933. La priorité de Ben Gourion est différente, la construction du futur État juif passe avant tout. En rompant le boycott, il facilitera pour Hitler un accès libre aux marchés du pétrole et de l’acier indispensables à son réarmement. ».

En 1945, les rescapés du génocide des Juifs demandaient des visas pour les USA, la France, la Grande Bretagne… Le retour à l’Est était difficile, car tout avait été détruit. Mais les autorités des puissances impérialistes occidentales ne proposèrent qu’une seule destination, pour ceux qui occupaient les camps de transit en Europe centrale : la Palestine mandataire, puis Israël. Et Pierre Stamboul d’ajouter : « Le discours tenu aux Juifs était toujours le même : « maintenant, vous avez un pays, vous partez quand vous voulez » ». 200 000 rescapés parvinrent entre 1945 et 1948 en Palestine, renforçant le sionisme. En complicité avec les sionistes, l’Europe s’est débarrassée de la réparation des dommages subis par les Juifs d’Europe sur le dos des Palestiniens, qui n’avaient aucune responsabilité dans l’affaire.

L’ œuvre de conquête et de colonisation des sionistes de gauche

Dirigeant l’Agence juive, la Histadrout et la Haganah, les sociaux-démocrates sionistes sont les maîtres d’œuvre de tout ce qui s’est passé en 1947 et 1948.

Les généraux de l’armée sioniste, Moshé Dayan, Itzhak Rabin, Ygal Allon sont tous de gauche et non croyants. Ils utilisent l’apport religieux, c’est tout. « Dieu n’existe pas, mais il nous a donné une terre » a dit Ben Gourion. Ils ont organisé la déportation de près de 800 000 Palestiniens, leur ont volé terres et maison, ont tué tous ceux qui résistaient. Si le massacre emblématique de cette guerre de 1948, celui de Deir Yassin, fut perpétré par l’Irgoun de Begin, donc la droite sioniste, c’est tout de même une unité de la Haganah qui prend ensuite et occupe le village. L’utilisation (déjà) de l’aviation a causé des dommages immenses.

Ce sont les sionistes de gauche qui ont refusé le droit au retour, inscrit dans la résolution 194 de l’ONU. Ce sont eux qui, en 1956, ont attaqué l’Egypte, aux côtés des impérialistes français et britanniques qui refusaient la nationalisation du canal de Suez. Ce sont eux encore qui ont attaqué l’Egypte et la Syrie en 1967. C’est le premier ministre travailliste Lévi Eshkol, qui, en 1967, a prévu les plans pour la déportation de la population de Gaza dans le Sinaï, en particulier dans la ville d’El Arish. C’est celle qui lui a succédé, la travailliste Golda Meir qui, en 1969, a déclaré : « On nous demande de rendre les territoires occupés, mais, il n’y a rien de tel, le peuple palestinien n’existe pas. ». C’est enfin son ministre des Affaires étrangères, le travailliste Abba Eban, qui déclara, toujours en 1969, à propos de la résolution 242 de l’ONU, exigeant le départ des « territoires occupés », comparant cette dernière au « retour aux frontières d’Auschwitz ».

Enfin, la colonisation de la Cisjordanie, puis de Gaza, ont été initiées largement par les gouvernements travaillistes de Golda Meir, puis de son successeur Rabin, Il se trouve que ces colons ont été les principaux artisans de la chute politique de la gauche sioniste. Mais c’est elle qui a préparé le terrain pour le passage d’un direction sioniste laïque incroyante a une direction messianique, c’est elle qui a fait le sale boulot. Et, à un moment, la population sioniste a, comme dit encore Pierre Stamboul : « préféré l’original à la copie ». Nous verrons la semaine prochaine comment ce changement s’est opéré et quelles sont les idées dominantes du sionisme actuel.

[1] Pierre Stamboul « Du projet sioniste au génocide », une œuvre remarquable à consulter pour celles et ceux qui souhaitent approfondir le sujet.

[2] Notons que la Histadrout est aujourd’hui membre de la Confédération Syndicale Internationale (CSI) où siègent également la CGT, FO et la CFDT. Son actuel secrétaire-général Arnon Bar David, s’est fait filmer en plein génocide en train d’écrire sur un obus destiné au bombardement de la Bande de Gaza.

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Source: https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/proche-et-moyen-orient/3460-sionisme-des-jalons-pour-une-

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