
L’idée que le capitalisme, la démocratie libérale et l’économie de marché constituent un « horizon indépassable », un cadre au-delà duquel la pensée serait interdite, est répétée inlassablement par les Georges-Louis Bouchez et Bart De Wever de ce monde. En face, des syndicalistes et militants de gauche se sont réunis à ManiFiesta pour échanger sur l’après-capitalisme.
Par Jonathan LEFEVRE.
« Capitalisme ou socialisme : quel projet de société pour la gauche ? » Le débat a attiré du monde en ce dimanche à la Plaza PTB de ManiFiesta pour écouter les dirigeants syndicaux invités par Benjamin Pestieau, secrétaire général adjoint du PTB.

Angeline Van Den Rijse, présidente de la FGTB Flandre-Orientale : « La question est naturellement de savoir si nous, la population, on peut encore s’imaginer un modèle sociétal socialiste. Et bien moi oui et vous probablement aussi. » Elle dénonce la « narration capitaliste » qui discrédite le socialisme et appelle à ne pas céder à la pression de le taire : « On doit continuer à parler de notre modèle socialiste. On ne peut pas éliminer le mot socialisme de la société. » Pour raviver cet idéal, elle insiste sur le pouvoir des symboles, citant par exemple le drapeau de sa centrale syndicale, où figure « le triangle antifasciste qui, au début, symbolisait la lutte des 8h : les trois pointe signifiaient 8h de travail, 8h de détente et 8h de sommeil. » Ce drapeau intègre également une main blanche et une main noire symbolisant la lutte contre le racisme, un moulin à vent pour l’environnement, et une représentation de l’égalité et de la diversité, incluant un « symbole de la LGBTQ+ ».
La possibilité du socialisme
Hilal Sor, secrétaire général des métallos de la FGTB, rebondit sur l’idée d’un capitalisme indépassable : « Oui, la société socialiste, l’organisation différente de la société, est possible. »
Le capitalisme est en échec sur plusieurs plans : « Sur le plan démocratique, on voit très bien que les gens ne se sentent pas écoutés par les élites des partis traditionnels. » Sur le plan industriel, « le système capitaliste est incapable de répondre aux besoins de la société ». Enfin, sur le plan international, « on compte 60 conflits armés aujourd’hui dans le monde. Des milliers de gens meurent tous les jours sous les bombes ».
Démocratie confisquée et lutte des classes
Laurent Pirnay, vice-président de la CGSP (Services publics, FGTB) met en lumière la nécessité pour la gauche de « créer un récit », car « au travers des médias, on se fait confisquer toute une partie du récit et notamment l’idéal démocratique ». « Le capitalisme n’est pas soluble dans la démocratie et la démocratie n’est pas soluble dans le capitalisme. » Il explique : « Chaque fois que, via les urnes, la démocratie a été en mesure de lancer des offensives qui remettaient en cause l’existence même du capitalisme, ce dernier et ses défenseurs ont toujours fait alliance avec l’extrême droite pour mettre à mal la démocratie. Pour eux, la démocratie est un moyen d’assurer une soi-disant paix sociale, un moyen d’assurer la continuation du commerce. Si, demain, la démocratie venait à prendre trop de place et à contrecarrer tout cela, ils risquent de prendre d’autres voies pour maintenir leur système. » Il rappelle que la démocratie belge de 1830-1831 était « élitiste » et que le suffrage universel n’a rien de libéral et a été conquis par le mouvement ouvrier. Il ajoute aussi que la démocratie c’est beaucoup plus que les élections et qu’elle se vit « dans nos assemblées syndicales, dans les meetings, dans la rue, sur les ronds-points, les manifestations et sur les piquets de grève, lieux essentiels de la démocratie, de la socialisation et de la capacité qu’on doit avoir à se réunir, s’unir et à se faire entendre ».

Laurent Pirnay insiste sur le fait que les politiques actuelles sont des « politiques de classe » : « La réforme des pensions, c’est une politique de classe. Elle va attaquer gravement les travailleurs avec les métiers les plus durs, les travailleurs avec les plus petites pensions etc. L’attaque contre les chômeurs, c’est une politique de classe qui touche les plus fragiles. »
Choisir entre tendre la main et lever le poing
Il pointe également que « le capitalisme vit sous perfusion des dépenses publiques ». La dette publique est un « chantage perpétuel sur les États et donc sur la démocratie », car elle impose des plans d’austérité et met l’État « sous la tutelle des marchés financiers ».
Face à la diminution de la fiscalité sur les riches depuis « 30 ou 40 ans », il oppose une alternative à la « théorie du ruissellement » chère à la droite : « Plutôt que d’attendre que ça tombe de leur poche et attraper des piécettes en tendant la main, il faut pouvoir leur faire les poches rapidement, radicalement. On ne peut tendre la main et lever le poing en même temps. » Il propose un « impôt progressif qui globalise l’ensemble des revenus, pour pouvoir toucher les 20 % les plus riches qui profitent du système et qui ont vu le taux d’impôt baisser ». Il est aussi favorable à un impôt sur la fortune des 1 % les plus riches. Ces revenus permettraient de financer des « éléments subversifs au capitalisme que sont la sécurité sociale et les services publics », prouvant qu’une économie moderne peut fonctionner « sans accumulation capitaliste ».
Vers un socialisme de rupture, concret et radical
Pour Angeline Van Den Rijse, il est crucial de s’organiser pour une perspective à long terme, même si les problèmes quotidiens doivent être résolus : « Ce n’est qu’en nous occupant de cette perspective à long terme qu’on peut sortir de la m… à court terme. »
« Pas besoin de 20 pages pour convaincre les gens du socialisme », selon elle. Il faut allier perspective de changement de société et des campagnes concrètes et ciblées comme celle de la réduction collective du temps de travail : « Il y a 150 ans, la revendication du monde ouvrier était la journée de 8h : 8h de travail, 8h de sommeil, 8h de loisirs. Aujourd’hui, remettons cette question sur la table : 6h de travail, 8h de sommeil et 10h de loisirs », en opposition aux projets de l’Arizona de « nous faire travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. » Elle rappelle que des campagnes syndicales pour le « salaire minimal à 14 euros » et la « pension minimale à 1500 euros » ont prouvé leur efficacité ces dernières années en influençant l’agenda politique et l’opinion publique.
La militarisation est un frein
Hilal Sor, lui, met en garde contre la « militarisation [qui] va être un enjeu fondamental dans les prochaines semaines », car « si les décideurs politiques et économiques arrivent à militariser notre société, s’ils transfèrent autant d’argent dans une société du contrôle, des armes et de la guerre, évidemment, ça nous éloignera encore de notre projet de société socialiste ». Il alerte sur les projets antidémocratiques du gouvernement qui permettraient d’interdire des « organisations radicales » par arrêté royal : « Un événement comme ManiFiesta pourrait être alors dans le viseur car ici on échange sur la manière de créer un autre monde, une société nouvelle débarrassée de l’ordre établi, du capitalisme. Ça, c’est radical. » Il embraye ensuite sur l’unité des forces de gauche, qui doivent s’appuyer sur un projet clair : « Il faut savoir quel socialisme on veut. ». Il plaide pour un « socialisme de rupture et pas un socialisme d’accompagnement du système capitaliste ». « On veut vraiment mener ce projet avec les organisations syndicales, les partis politiques qui veulent la rupture avec le système capitaliste. Sans radicalité, sans rupture, les travailleurs trouveront une autre radicalité à défendre malheureusement. Ils risquent d’être appelés par les sirènes de l’extrême droite, ce qui amènera la classe travailleuse dans le mur. »
Le socialisme est aussi une lutte culturelle
Le mot de la fin est pour Benjamin Pestieau, qui tente une synthèse : « La promotion du socialisme part d’abord d’une critique du capitalisme, que les problèmes auxquels on fait face au quotidien sont reliés à un système politique et économique. »
Il souligne que cette connexion doit être faite en permanence. Il rappelle l’importance de « sortir du cadre » en envisageant « la propriété publique de grands moyens de production ou de secteurs stratégiques comme l’énergie et les banques ou en envisageant l’économie de manière planifiée et ne pas laisser l’économie dans le cadre de l’anarchie du marché », ainsi que des relations internationales basées sur « la coopération, à partir de la diplomatie, à partir de la solidarité, à partir de l’internationalisme et non à partir de la de la concurrence, à partir de l’escalade militaire ». Ce combat pour le socialisme se mène « à travers des luttes concrètes, avec des revendications concrètes qu’on doit pouvoir mener au quotidien », et est aussi un « combat culturel qui se passe autour de la langue, de la culture, des symboles. C’est pour cela qu’il est tellement important de les propager ».
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