Sous le feu des critiques, le festival Agir pour le vivant divise les écologistes (Reporterre-26/08/25)

Discussion autour de l’aide publique au développement, organisée en partenariat avec l’Agence française de développement lors du festival Agir pour le vivant, le 25 août 2025. – © Estelle Pereira / Reporterre

Invités absents, conférences annulées… Le festival Agir pour le vivant a été bousculé par un appel au boycott. Des écologistes dénoncent ses partenaires financiers, son manque de « courage politique » et ses incohérences.

Par Estelle PEREIRA.

Arles (Bouches-du-Rhône), reportage

Des tables rondes remaniées, des chaises volontairement laissées vides, des voix attendues mais finalement absentes : la sixième édition du festival Agir pour le vivant, qui se tient du 23 au 27 août à Arles, a été secouée par un appel au boycott.

Le 15 août, sur les réseaux sociaux, le collectif local Politic Social Club, qui organise toute l’année depuis huit ans des « ateliers d’autodéfense critique » autour des questions des dominations raciales et sexistes, a invité ses « camarades décoloniaux, antiracistes, anti-impérialistes, antifascistes, anticapitalistes, féministes et écologistes » à déserter la scène.

Le collectif reproche au festival — né dans le giron des éditions Actes Sud — de s’inscrire dans un mouvement de gentrification d’Arles et de privatisation de la culture. À leurs yeux, l’événement capte des idées radicales pour mieux les neutraliser de sorte qu’ils « ne puissent plus porter de rupture franche avec les structures capitalistes qui les soutiennent ».

Ses membres en veulent pour preuve un manque de « courage politique dans le programme », avec l’absence des termes « génocide » et « Gaza ». La seule fois où le terme « Palestine » apparaît, c’est pour nommer l’association Urgence Palestine. Aucune mention du peuple kanak en Nouvelle-Calédonie, de la situation à Mayotte ou de la question du chlordécone dans les Antilles alors que l’événement est censé parler de lutte « décolonisée », pointe du doigt le collectif, contacté par Reporterre.

Discussion autour de l’aide publique au développement, organisée en partenariat avec l’Agence française de développement lors du festival Agir pour le vivant, le 25 août 2025. © Estelle Pereira / Reporterre

Les thèmes abordés cette année — décoloniser l’écologie, articuler luttes sociales et écologistes, questionner les infrastructures numériques et inventer des outils d’action collective — ont ainsi été amputés de plusieurs voix attendues.

La conférence « Sortir de l’emprise de la mégamachine » avec l’historienne Fanny Lopez a été annulée, comme la discussion « Un détour par l’utopie » avec Corinne Morel Darleux et Alice Carabédian, ou « la conversation autour des infrastructures du numérique dans les Bouches-du-Rhône » avec le collectif marseillais Le Nuage était sous nos pieds. Les Soulèvements de la Terre qui devaient intervenir dans une table ronde sur la lutte « contre le numérique et son monde », ont finalement décliné leur participation.

Des partenaires financiers qui fâchent

Les financeurs du festival cristallisent aussi les critiques. Parmi eux : la Fondation Hermès — appartenant à l’entreprise de maroquinerie du même nom, devenue première capitalisation boursière du CAC 40 atteignant 253,8 milliards d’euros en 2025 —, la Fondation Thalie et la Fondation Carmignac, très présente à Arles.

Pour le collectif Politic Social Club, ces partenariats relèvent d’un « capitalisme philanthropique » qui permet à de grandes fortunes de « se laver à peu de frais » de leurs responsabilités, en pratiquant un greenwashing à grande échelle.

Ce n’est pas la première fois que le festival est pointé du doigt pour ses financeurs. En 2020, déjà, un appel au boycott depuis la zad de Notre-Dame-des-Landes dénonçait le soutien financier de BNP Paribas au festival, « le plus grand financeur européen de l’industrie des combustibles fossiles », écrivaient Isabelle Frémeaux et John Jordan dans la revue Terrestres.

Malaise des personnes invitées

Ce nouvel appel à déserter a suscité de nombreux débats parmi les intervenantes et intervenants, activistes, artistes et écrivaines engagées dans les luttes antiracistes et écologistes.

Le 25 août, lors de l’ouverture de la journée consacrée aux « écologies queer », la philosophe et traductrice Emma Bigé a évoqué au micro l’appel au boycott, précisant que plusieurs intervenantes « partageaient le sentiment d’intervenir dans un espace particulièrement toxique ». Celui-ci serait construit « pour maintenir le statu quo et laver la conscience d’une classe extractiviste qui ne désire le changement que si elle se maintient au pouvoir, et qui contribue donc à la perpétuation du capitalisme racial et colonial contre lequel il s’agit de penser et de se battre ».

La militante féministe antiraciste Françoise Vergès a finalement choisi de se retirer. Contactée par Reporterre, elle juge que le festival élude les urgences actuelles : « Alors que le génocide à Gaza se poursuit, que la famine organisée par l’État d’Israël y sévit, peut-on aller à Arles discuter ? Jusqu’où doit-on mettre cela à distance au nom du “dialogue” ? Pour moi, un événement qui s’appelle “Agir pour le vivant” devrait être centré sur Gaza et comment s’organiser contre une politique de mort à l’œuvre sous nos yeux. »

« Y aller ou pas ? Proposer autre chose et subvertir l’événement ? s’est interrogée Alexandra Picheta, doctorante en études de genre, qui a fini par décliner sa participation. Je ne me sentais pas les épaules de porter un discours sur toutes ces contradictions. »

Lors de la conférence «  Pratiques de dissidence relationnelle  », l’autrice Harriet de Gouge (à g.), le chercheur Cy Lecerf Maulpoix et la journaliste Clémentine Labrosse ont laissé volontairement la chaise vide d’Alexandra Picheta, doctorante en études de genre, le 25 août 2025, à Arles. © Estelle Pereira / Reporterre

Un autre point de réflexion touche à la rémunération : pour beaucoup d’intervenantes et d’intervenants précaires, les cachets proposés par le festival représentent une aide non négligeable, souligne la chercheuse. Face à l’appel au boycott, Corinne Morel Darleux regrette cependant qu’aucune réponse collective n’ait été formulée « faute de temps pour l’organiser ».

D’autres personnes confient à Reporterre avoir été déstabilisées par l’organisation — jusqu’aux repas, annoncés comme se déroulant « chez Françoise Nyssen », fondatrice d’Actes Sud et ancienne ministre de la Culture sous la présidence de Macron.

Présente lors du festival, cette dernière défend l’ouverture d’esprit du festival et de la maison d’édition : « Que les personnes puissent venir ici soulever toutes ces questions montre bien que nous sommes un festival ouvert. Actes Sud œuvre au dialogue et mène un combat pour l’indépendance de l’édition face à l’empire Bolloré. Je pense que ce collectif ne s’attaque pas à la bonne partie du problème. »

Dans l’équipe du festival, les critiques du Politic Social Club ne sont pas balayées d’un revers de main. Hortense Guégan, chargée de la programmation pour l’association Agir pour le vivant, le reconnaît : « L’équipe partage ce qui a été critiqué. Je suis très consciente des limites d’un festival d’idées porté par une grosse institution. Mais si le Politic Social Club nous accusait de faire une parodie de conflictualité politique, cette année, on s’éloigne un peu plus de la parodie. »

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Source: https://reporterre.net/Sous-le-feu-des-critiques-le-festival-Agir-pour-le-vivant-divise-les-ecologistes

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