
© Livia Saavedra
Faisant partie des 280 salariés licenciés par le sous-traitant MA France, Jean a tenté de mettre fin à ses jours à plusieurs reprises depuis le début de la grève, le 16 avril. Il livre à l’Humanité son désespoir causé par des difficultés financières accrues.
Par Léa PETIT SCALOGNA.
Les yeux vitreux, Jean 1 se remémore le jour où il a dû mentir à ses enfants. L’ouvrier leur a raconté qu’il se rendait sur son lieu de travail, cachant sa présence sur le piquet de grève, devant l’usine MA France, un sous-traitant de Stellantis. « Mes petits étaient inquiets de me voir à la maison en train de déprimer », confie-t-il, presque toujours à voix basse, comme pour faire taire sa souffrance. Il ralliait alors Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), naviguait dans la zone industrielle, pour finir par se garer devant les grilles de l’usine.
Le désespoir
Une pancarte est apposée « Carlos Tavares, tu mets 280 familles au chômage ». Le foyer de Jean est l’une d’entre elles. Ce lundi 12 août, un de ses camarades grévistes a tenté se suicider en s’immolant, piégé sous le poids de ses difficultés financières. « Si j’avais été là, je l’aurais accompagné dans son geste », avoue Jean, désespéré. Lui aussi a tenté de mettre fin à ses jours, tant son licenciement a été brutal. « Je pensais provoquer un accident avec ma voiture, j’ai aussi tenté de me jeter par la fenêtre… admet-il pudiquement. Stellantis m’a enlevé mon travail, ma source de revenus. »
« Le donneur d’ordres Stellantis nous abandonne, nous met dehors comme des malpropres »Jean, 45 ans, licencié par MA France
Ce n’est qu’à son retour de congé qu’il apprend son licenciement. Le lendemain, le 16 avril, il rejoint une grève qui perdure en cette fin d’été. L’homme de 45 ans espère un accord, une négociation, de quoi sauver sa peau et celle de ses camarades.
Mais le couperet tombe : « Le donneur d’ordres Stellantis nous abandonne, nous met dehors comme des malpropres », lorsque le tribunal de commerce de Bobigny place l’usine en liquidation judiciaire, le 13 mai. La fin de l’espoir, le début d’une descente aux enfers économique et psychologique. « Il était complètement livide à une période », témoigne Patrice Lemoine, de la CGT Seine-Saint-Denis, qui soutient la lutte des salariés de MA France.
Les poches vides
« Stellantis m’a détruit avec une telle sauvagerie ! » s’exclame ce père de trois enfants. Pendant qu’il luttait pour conserver son salaire, ses dettes, elles, s’accumulaient, et les difficultés s’amplifiaient. Les poches vides, il se souvient d’une période où il n’avait même plus 50 euros pour aller faire ses courses.
Son découvert se creusait à hauteur de 7 000 euros. Avec l’aide de Patrice Lemoine, il réussit à repousser les échéances de remboursement de son crédit. Même chose pour ses loyers auprès de son bailleur social. « Il coulait, cela lui a permis de se remettre à flot », se rassure son camarade qui lui téléphonait presque tous les jours après son licenciement, « pour lui remonter le moral ».
Parce que « la déprime », selon les mots de Jean, a anéanti son quotidien pendant plusieurs mois. Son état psychologique se détériorait au fur et à mesure que les jours de grève s’enchaînaient. « Pour m’empêcher de faire une bêtise, je pensais à mon épouse et mes enfants », deux filles et un garçon âgés de 8, 11 et 14 ans.
Un CV presque vierge
L’homme de 45 ans a organisé sa vie autour de son emploi à MA France, qu’il travaille la nuit, le matin ou l’après-midi. Il se réveille parfois en pleine nuit, habitué à un sommeil haché et interrompu. Lui qui était autrefois pontier au sein de l’usine repart sans aucune qualification à faire valoir sur le marché du travail.
Un curriculum vitae presque vierge. Jean finit par perdre confiance en ses capacités et se décrit comme « seulement pontier », dévalorisé. Il sait le marché de l’emploi exigeant et excluant, « surtout à cet âge ». Le permis cariste qu’il avait passé à ses débuts à MA France, il y a dix-sept ans, n’est plus valide. Les 500 euros du PSE destinés à la formation ne suffisent pas à financer ce maigre sésame de départ. « Il s’agit d’un montant dérisoire pour une reconversion professionnelle », déplore Patrice Lemoine. La majorité des autres formations dépassent également ce montant, laissant Jean hagard et incertain quant à son avenir
- Le prénom a été modifié. ↩︎
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