
Longuement interviewé sur son bilan le 13 mai, sur TF1, Emmanuel Macron a évacué la thématique écologiste en moins de 6 minutes, entre affirmations erronées et promesses vagues.
Par Justine GUITTON-BOUSSION.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’émission a été à l’image des deux mandats d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État était interviewé pendant plus de trois heures, le 13 mai sur TF1, pour défendre son bilan — cela fait huit ans qu’il a été élu président de la République — et donner un cap aux deux années qu’il lui reste. Habituée à être la dernière roue du carrosse, la thématique de l’écologie s’est retrouvée reléguée en fin d’émission, après la guerre en Ukraine, les droits de douane étasuniens, la dette publique française, l’immigration, etc.
Elle a été évacuée en moins de 6 minutes — contre près de 40 minutes pour les sujets sécuritaires. 360 secondes pendant lesquelles le président a défendu un bilan climatique avec des affirmations erronées, des chiffres obsolètes et des promesses vagues sur la protection des océans.
Les téléspectateurs les plus patients ont dû attendre les coups de 23 heures — quand les plus fatigués avaient déjà éteint leur écran — pour enfin entendre parler d’écologie, après trois heures passées à écouter un chef de l’État visiblement ravi de montrer sa connaissance des dossiers les plus variés les uns que les autres.
Jamais contredit
C’est le militant Féris Barkat, cofondateur de l’association Banlieues climat, qui a mis le sujet sur la table. « Comment faire pour que [la transition énergétique] ne rende pas plus vulnérables les gens [qui le sont déjà], pour ne pas rendre des pays encore plus vulnérables [en allant extraire chez eux] du lithium, du cobalt ? » a interrogé le jeune homme. Le militant n’étant pas présent sur le plateau — sa question était filmée —, Emmanuel Macron a pu dérouler sa réponse sans être interrompu.
« On peut extraire de l’uranium, du lithium dans des conditions sociales et environnementales exemplaires », a prétendu le chef de l’État. Et de citer le groupe minier français Eramet : « Il le fait aux meilleures normes sociales et environnementales », a-t-il répété. Au Sénégal, une filiale d’Eramet est pourtant accusée d’avoir un effet dévastateur sur l’environnement et les conditions de vie des locaux, comme Reporterre le racontait récemment. Des espaces agricoles ont été détruits et plusieurs milliers de personnes ont dû abandonner leur village pour laisser la place à la mine.
« Emmanuel Macron a poursuivi
son monologue »
Par ailleurs, il est documenté scientifiquement que l’extraction minière a des conséquences sur la biodiversité, notamment sur les espèces de vertébrés. Les mines consomment également énormément d’énergie, d’eau et de produits chimiques. Mais personne sur le plateau de TF1 n’a contredit ou demandé des précisions à Emmanuel Macron, qui a poursuivi son monologue, affirmant que la France allait mettre en place des « filières pour recycler les batteries de lithium première génération ».
« [Cela] va créer des emplois et nous permettre de moins extraire », a-t-il déclaré. La filière est pourtant en difficulté — plusieurs projets d’usines de recyclage prévus dans les Hauts-de-France sont tombés à l’eau. La demande en minerais ne cessant d’augmenter pour nos différents appareils électroniques, il conviendrait aussi de s’interroger sur nos modes de consommation. Une énième question qui n’a pas été posée au président de la République.
Vieux chiffres
Pour « défendre [son] bilan écologique », Emmanuel Macron a rappelé que les émissions de gaz à effet de serre ne baissaient que de 1 % par an au moment de son accès au pouvoir, en 2017. « On est passés à plus de 4 % par an », s’est-il réjoui. Problème : ce n’est plus le cas. Si les émissions de CO2 ont bien baissé de 4,8 % en 2023 par rapport à 2022, elles n’ont réduit que de 1,8 % en 2024 par rapport à 2023. Un net ralentissement, alors qu’il faudrait au minimum 5 % de réduction par an pour respecter l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Un Conseil de planification écologique avait d’ailleurs été convoqué le 31 mars par Emmanuel Macron, au moment de la publication de ces résultats, pour « remobiliser » le gouvernement sur le sujet. Mais peu d’annonces concrètes avaient émergé.
Depuis, l’écologie ne cesse d’être la variable d’ajustement du gouvernement. Le 26 avril, le gouvernement a annulé 549 millions d’euros de crédits pour la mission « écologie, développement et mobilité durable » pour l’année 2025. Mais là encore, personne n’a repris le chef de l’État pour le faire réagir sur ces coupes budgétaires, à un moment clé de ralentissement de la réduction des émissions de CO2.
Flou sur les océans
Le journaliste de TF1 Gilles Bouleau était même prêt à conclure là la courte séquence sur l’écologie, quand Emmanuel Macron lui a rappelé la seconde partie de l’intervention de Féris Barkat. « Allez-vous interdire les méthodes de pêche destructrices dans les aires marines protégées ? » avait aussi demandé le militant écologiste quelques minutes plus tôt. « Très rapidement, en un mot », a dit Gilles Bouleau, pressant le chef de l’État pour répondre.
« Vous ne pourriez pas avoir de coquilles Saint-Jacques, vous n’auriez pas de langoustines [si les pêcheurs] ne faisaient pas du chalutage en eau profonde », a rétorqué Emmanuel Macron. Une affirmation erronée, puisque certains pêcheurs utilisent bien des méthodes alternatives. Reporterre était ainsi parti à la rencontre de Tomy et son équipe, des marins pêcheurs qui plongent au fond de la Manche pour ramasser des coquilles Saint-Jacques à la main. Des pêcheurs continuent aussi de capturer des langoustes à l’aide de casiers.
Le chef de l’État n’a ensuite pas clairement répondu à la question de Féris Barkat. « C’est la décision qui sera annoncée au sommet des Nations unies [sur l’océan, que la France accueillera en juin à Nice] : en concertation avec les scientifiques et les pêcheurs, dans les aires marines protégées, […] on va mettre le holà », a déclaré Emmanuel Macron. Sans préciser si le « holà » signifie une interdiction pure et simple du chalutage en eau profonde ou non. Seulement a-t-il affirmé qu’il s’opposait à l’extraction dans les grands fonds marins — contrairement au président étasunien Donald Trump, qui a signé fin avril un décret en ce sens.
La séquence s’est achevée sans plus de précisions, le chef de l’État étant ensuite pressé par Gilles Bouleau de répondre rapidement à l’influenceur Tibo InShape sur l’obésité infantile. Un sujet pouvant être considéré comme écologique, l’obésité étant aussi une maladie environnementale. Un peu plus tôt, la journaliste spécialiste de l’écologie Salomé Saqué avait aussi interrogé le président sur la santé mentale des jeunes qui s’aggrave, notamment en raison de leur écoanxiété. Mais la question a également été évacuée en quelques minutes, laissant aux téléspectateurs la sensation que l’écologie et la santé des Français est la dernière priorité du chef de l’État.
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Source: https://reporterre.net/Sur-TF1-Macron-zappe-encore-l-ecologie
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sur-tf1-macron-zappe-encore-lecologie-reporterre-14-05-25/