
Ils s’appellent Robert, Frédéric, Michel, Joël et François. Ils ont en commun d’avoir été scolarisés au collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon (Finistère), entre 1965 et 1980. Une période qu’ils décrivent comme « traumatisante » à bien des égards. Alors que se crée un collectif de victimes, ils témoignent de la violence physique et psychologique, et de ses séquelles.
Par Emmanuelle FRANCOIS & Delphine VAN HAUWAERT.
Robert T., 62 ans, n’a rien oublié de la violence qui a rythmé trois années de sa vie, de 1976 à 1979, lorsqu’il était au collège Saint-Pierre, au Relecq-Kerhuon, près de Brest (Finistère). Des scènes « traumatisantes », gravées à vie dans sa mémoire. Comme ces remises des copies au petit matin, dans l’ordre décroissant des notes. « Arrivé à 10/20, on se dit : « Oh punaise, là on va prendre cher ». On défile pour chercher notre copie. On est droit devant le professeur et il nous gifle. Il avait de ces paluches… Plus la note est basse, plus le nombre de gifles est conséquent. C’était terrifiant. »
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Comme Robert T., des générations d’élèves passés par « le bagne » de Saint-Pierre ont vécu la violence quotidienne des professeurs, de la fin des années 1960 jusqu’aux années 1980. François Barat, élève de 1968 à 1973, se rappelle s’être retrouvé « à dix, les genoux sur l’estrade, en attendant la gifle. Des énormes claques. En plus, ils feintaient ; on ne savait pas de quel côté ça allait arriver ». Il est le seul à accepter de témoigner à visage découvert. Les autres ne sont « pas prêts » pour le moment, ou ne souhaitent pas que leur famille l’apprenne.
« Il n’y avait aucun délinquant »
Saint-Pierre avait une réputation d’établissement dur en termes de discipline, où l’on mettait les fortes têtes en situation d’échec scolaire, qu’il fallait « redresser ». Une réputation qui ne correspondait en rien à la réalité, selon les anciens élèves, aujourd’hui réunis dans un collectif. « Il n’y avait aucun délinquant. J’étais un enfant calme, timide », raconte Michel S., présent dans l’établissement de 1972 à 1976 et qui venait en car depuis Brest. « J’étais un enfant dissipé, on ne parlait pas encore d’hyperactivité », avance Robert T. Plus tard, d’autres anciens élèves, comme François Barat, se feront diagnostiquer un trouble du déficit de l’attention.
Ce dont l’établissement se vantait, c’est un taux de 95 à 100 % de réussite au BEPC, le brevet d’études du premier cycle. Pour les anciens élèves, « ce n’était pas grâce aux qualités du professorat, mais à cause des neuf heures de classe, en 3e. De la violence et des punitions à faire parfois jusque tard dans la nuit », assure Joël L., élève de 1969 à 1972. « On était entre 40 et 50 par classe, tous serrés comme des sardines, se rappelle Frédéric B. Dès qu’il y avait un chuchotement, une question sans réponse, on assistait à des lancers de lourde brosse à tableau ou de compas à travers la classe. On frappait les enfants pour un rien. » « Il fallait suivre, sinon c’était la beigne », témoigne Michel S.
De 1968 à 1977, l’établissement était dirigé par le père L., « un petit bonhomme extrêmement nerveux et violent qui rôdait dans les couloirs », selon Frédéric B. « Il se mettait à l’estrade et l’élève qui avait des mauvaises notes se prenait une beigne, selon Michel S. Il avait la main leste. » Parfois, il convoquait les élèves dans son bureau. « C’était soit pour une méga raclée, décrit Joël L., soit il me prenait sur ses genoux et disait : « On commence à en avoir marre de toi », en me caressant les cuisses et les cheveux. »
« Ne rien laisser passer et cogner sans relâche »
En tant que directeur, le père L. s’est chargé du recrutement des professeurs. Toutes les victimes interrogées utilisent le terme de « psychopathes » pour parler d’eux. « J’ai regardé dans le dictionnaire la définition, et cela coche tous les éléments : manque d’empathie, pas de remord, impulsivité… », liste Michel S., qui est déjà rentré chez lui avec des touffes de cheveux en moins. « Il y avait un ticket d’entrée évident pour les professeurs : ne rien laisser passer et cogner sans relâche », poursuit Joël L. « Ils avaient chacun leur spécialité : coup de poing, coup de pied, lancers d’objets divers… », détaille Frédéric B.
Les anciens élèves n’ont oublié ni leurs noms, ni leurs actes. « Ils étaient tous épouvantables », selon François Barat, qui se rappelle être souvent resté en retenue, le soir. « Monsieur A. regardait le car passer depuis la fenêtre. Il me disait alors : « c’est bon, tu peux y aller ». Je suis rentré à Brest à pied ou en stop au moins cent fois. » « On recevait des coups de poing. Pas dans la mâchoire, pour pas que ça se voie, mais dans l’épaule », se remémore Joël L. « Ils tapaient tous, avec plus ou moins d’intensité ou de force », affirme Michel S.
« Monsieur L., rien que son regard nous terrorisait, ajoute Robert T. Il gueulait, il nous traitait de cossard [fainéant]. Il nous prenait la tête par les cheveux, sur les côtés, et nous secouait comme un prunier. Il nous tartait la tronche et donnait des coups de poing dans le ventre, des coups de genoux. Tant que je n’étais pas par terre, il tapait. » Beaucoup se rappellent également de l’abbé D., l’adjoint du directeur, « qui glorifiait le IIIe Reich ».
« Une brutalité institutionnalisée pire qu’à Bétharram »
« On a vécu une époque charnière, quelques années après mai 1968, souligne Frédéric B. Les normes et la pédagogie ont changé. L’école publique s’est adaptée, l’école catholique pas encore. » Le sexagénaire a également été élève à Bétharram, collège-lycée catholique des Pyrénées-Atlantiques faisant l’objet de dizaines de plaintes pour violences sexuelles et physiques. À Saint-Pierre, il décrit « une brutalité institutionnalisée pire qu’à Bétharram ». Il a pourtant réussi à mettre ces souvenirs dans un coin de sa tête. « J’ai fait comme la plupart. Sinon vous les portez tous les jours et vous vous jetez sous un pont. »
« Ça m’a rendu fragile, peureux et craintif, décrit Robert T., qui est passé ensuite par des phases d’alcoolisme et de dépression. Ces trois années ont été un traumatisme terrible et je crois que c’est pour ça que ma croissance n’a pas été terminée, comparée à mes frères et sœurs qui ont grandi normalement. Mon physique, il est chétif. Je n’ai pas de carrure, je suis resté bizarrement mal foutu. » Lui a appris à pardonner en se réfugiant dans la foi chrétienne, « mais pas celle qu’on nous enseignait à Saint-Pierre ». « J’ai longtemps hésité à avoir une famille et des enfants, j’avais peur que ça se reproduise », poursuit Frédéric.
« J’ai longtemps cru que j’étais taré, que c’était moi le problème, à cause de tout ce que j’avais subi », avance François Barat. « En sortant de là, j’étais comme un fauve », explique Joël L. Il a pris des cours de karaté, s’est formé à la boxe de rue. « C’est un miracle que je ne sois pas tombé dans la délinquance. » Il est, avec Frédéric B., à l’origine du collectif regroupant, une semaine après sa création, 49 victimes du collège Saint-Pierre.
Ensemble, les anciens élèves pensent déposer une plainte collective pour confronter leurs anciens professeurs. Ils espèrent une reconnaissance formelle des faits par l’institution catholique et des excuses publiques de la part d’anciens professeurs. « Que les gens comprennent par quoi on est passés. »
Adresse du collectif : collectifsaintpierrekerhuon@yahoo.com
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