
Thomas Brail, opposant historique à l’autoroute A69, annonce à Reporterre qu’il lancera une grève de la soif dès que le chantier reprendra. Il décrit son action comme « un vrai cri de désespoir ».
Par Gaspard d’ALLENS.
La cour administrative d’appel de Toulouse a acté mercredi 28 mai la reprise temporaire du chantier de l’A69, permettant aux machines de revenir sur le tracé dès les prochains jours et de continuer à bitumer le sud du Tarn. Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres et opposant historique au projet, confie à Reporterre vouloir entamer une nouvelle grève de la soif pour s’opposer au retour des travaux, un an et demi après la première. Il appelle à un surcroît de mobilisation et à faire de la lutte contre l’A69 la bataille écologiste du moment.
Reporterre — À la suite de l’annonce de la reprise des travaux de l’A69, vous déclarez à Reporterre vouloir faire la grève de la soif. Pourquoi ?
Thomas Brail — S’ils remettent un seul engin sur les chantiers, c’est reparti, j’entamerai une grève de la soif. Je le dis avec gravité et sérieux, je mesure la portée de ce geste. C’est juste qu’à un moment donné, je ne sais plus quoi faire. Face à leur violence et leur acharnement, nous sommes dépassés.
Lire aussi : A69 relancée : « Notre colère n’a jamais été aussi forte »
La justice a manqué de réalisme : un coup, elle dit qu’il faut arrêter le chantier, et une autre fois, qu’il faut le reprendre. Il n’y a aucune cohérence. Reprendre temporairement le chantier, le temps que l’appel sur le fond soit examiné, est une aberration. Une absurdité totale. Ils auront coulé le bitume une fois que la justice, d’ici un an, actera à nouveau que le projet était illégal. Nous sommes face à un vrai problème institutionnel. Pour le contrer, il nous faut des actes forts.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que vous engagez ce rapport de force. Vous aviez déjà entamé une grève de la faim et de la soif, en septembre 2023.
Oui, et j’avais failli y laisser des plumes. J’avais fait quarante jours de grève de la faim dans les arbres, puis j’ai entamé ensuite une grève de la soif que je n’ai tenu que douze heures. Normalement, une grève de la soif, c’est trois jours si on est en pleine forme, mais vu que j’étais déjà très affaibli, j’ai tenu très peu de temps et j’ai perdu connaissance avant d’être transporté à l’hôpital. À l’époque, on avait tenté de faire réagir les politiques et on avait mené un gros barouf pour visibiliser le combat de l’A69. Cela n’avait pas été inutile.
« On les sort par la porte en disant que l’autoroute est illégale, et on les voit rentrer par la fenêtre »
Qu’attendez-vous de cette nouvelle grève de la soif ? Qu’espérez-vous obtenir des autorités ?
L’État a fait appel de la décision victorieuse du 27 février. J’exige que les travaux soient au moins suspendus le temps de l’examen de cet appel, c’est la moindre des choses. Je trouve la situation actuelle hallucinante. On les sort par la porte en disant que l’autoroute est illégale, et on les voit rentrer par la fenêtre grâce à ce sursis à exécution. C’est révoltant.
Lire aussi : A69 : « L’État a tant investi que renoncer lui serait inacceptable »
C’est la politique du fait accompli. Une fois que l’autoroute sera faite, ils diront que c’est trop tard pour l’annuler. Ils vont attaquer les travaux en juillet et en août, quand tout le monde sera en vacances, quand les gens voudront se couper de toutes ces informations anxiogènes. Ils jouent sur la sidération. Mais cette autoroute ne peut pas objectivement continuer. On ne peut pas laisser faire ça.
Comment réagissez-vous à cet acharnement de l’État ?
Ça me conforte dans le fait que l’on n’est jamais écoutés, que le citoyen n’a pas voix au chapitre. On n’est jamais entendus. Mon action, c’est un vrai cri de désespoir, on ne sait plus quoi faire. Tout cela s’inscrit dans un contexte général, la conjoncture mondiale est terrible, avec Trump, avec la loi Duplomb et le retour des néonicotinoïdes, etc. À un moment donné, quand on cumule tout, c’est trop. Le vase est plein. Il va falloir que les citoyens se mobilisent et se révoltent. Qu’on s’entende bien, je n’ai aucune pulsion suicidaire, je n’ai pas envie de jouer au martyr, mais il y a un moment donné où il va falloir qu’on agisse vraiment. Il faut entrer en résistance.
« Le plus grand danger, ce n’est pas moi. C’est ce que va vivre mon fils si on ne fait rien aujourd’hui »
J’ai toujours essayé de dialoguer avec le gouvernement, et cela pendant des années. J’ai tendu la main, j’ai discuté avec [Clément] Beaune, avec [Élisabeth] Borne, j’ai dialogué avec le président de la République sur la problématique des forêts. Mais il faut faire le bilan aujourd’hui : rien ne s’est mis en place, il n’y a pas d’actes. J’en ai ras le bol.
Mais êtes-vous prêt à prendre des risques pour votre santé et votre intégrité physique ?
Mais le plus grand danger, ce n’est pas moi. Ce n’est pas ma santé. C’est ce que va vivre mon fils si on ne fait rien aujourd’hui. C’est ça qui me fait peur. Faire attention à son fils, c’est évidemment rester présent, être là pour lui, mais c’est aussi se battre pour que les conditions futures de son existence soient préservées. Et donc dire stop à ces projets d’un autre âge. On ne veut pas le black-out total, mais on doit réfléchir à des projets vertueux, dans la transition écologique.
Moi, je m’en fiche que les laboratoires Pierre Fabre aient envie d’une autoroute, c’est un caprice d’aménageur. On ne fait pas une autoroute pour un projet privé. On n’investit pas dans un projet privé avec des millions d’argent public ! L’éducation nationale, les agriculteurs, les hôpitaux ont besoin de cet argent. Il faut arrêter de jeter l’argent du contribuable comme ça.

Vous dites que cette grève de la soif est un acte de désespoir.
Bien sûr.
« Je ne veux pas jouer au martyr, mais je vois bien que ce mode d’action fait réagir »
Mais comment cultiver des pratiques de lutte qui continuent à être joyeuses malgré le contexte ?
Je pense qu’on peut continuer à lutter dans la joie, mais je pense aussi qu’il faudrait plus de monde. C’est ça le problème, on n’est pas assez nombreux à lutter. Parfois, on se compte sur les doigts de la main, on est essorés. Il y a des gens qui se bougent, mais comparé à la masse de la population française, ce n’est rien. Regardez, on est 10 000 personnes sur une manifestation… mais 67 millions en France ! C’est dérisoire. Il va falloir que tout le monde s’y mette.
Quel est le sens que vous donnez à cette grève de la soif ?
Les politiques doivent se réveiller. Je ne sais pas où je vais, mais il y aura dans tous les cas deux perdants dans cette affaire. Eux aussi risquent de perdre. S’ils veulent un deuxième Rémi Fraisse, c’est à eux de voir. C’est en train de prendre ce chemin. Encore une fois, je ne veux pas jouer au martyr, mais je vois bien que ce mode d’action fait réagir, qu’il crée de la mobilisation et intéresse les médias. Donc voilà, c’est une action choc.
Mais croyez-vous que les décideurs se soucient de votre sort ?
Je n’en sais rien. Ils seront, je pense, quand même bloqués avec ça. La dernière fois, ils n’étaient pas bien. Si la pression populaire est forte, cela va être compliqué pour eux d’assumer. Je vais faire en sorte que cette action soit bien médiatisée.
« Il va vraiment falloir que l’on se révolte. L’époque actuelle n’est plus tenable »
Comment peut-on vous accompagner dans cette bataille ?
Il faut continuer à se mobiliser. Il y a un grand rassemblement prévu le week-end des 4 et 5 juillet. Il ne faut pas s’endormir et rester vigilant cet été, faire de cette saison estivale un grand moment de lutte.
Vous avez également un procès le 5 juin, de quoi êtes-vous accusé ?
On me reproche de m’être accroché dans les arbres à Vendine [Haute-Garonne] et d’avoir bloqué une pelleteuse sur un chantier de l’A69. Une fois de plus, je me retrouve devant les tribunaux, mais où sont les vrais coupables ? NGE [la maison mère du concessionnaire, Atosca] ? Le préfet ? Sont-ils, eux, inquiétés ? Ce sont toujours les mêmes qui sont jugés. Cela ne va plus du tout.
Que risquez-vous ?
Je m’en fous de ce que je risque. Je vous le dis sincèrement. Cela ne m’importe pas. Qu’ils me mettent en prison, en garde à vue ou qu’ils me collent une amende, je m’en fous. Dans tous les cas, qu’ils sachent bien une chose : dès que je sortirai du tribunal, je repartirai lutter. Il n’y a rien qui m’en empêchera. Et surtout pas leur verdict. Cela ne m’intéresse absolument pas.
Je suis remonté, j’en ai marre. On a eu trois mois de répit, on était tous heureux, et là, on se retrouve de nouveau dans une situation terrible. Ils ne nous laissent aucun temps pour souffler. Il va vraiment falloir que l’on se révolte. L’époque actuelle n’est plus tenable.
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/thomas-brail-sur-la69-jentame-une-greve-de-la-soif-des-la-reprise-du-chantier-reporterre-28-05-25/